Est-il besoin de rappeler que l’animal imaginaire venu de Palombie (pays tout aussi imaginaire d’Amérique du Sud), se trouve doté des capacités physiques et de particularités comportementales les plus étonnantes ? Queue préhensile de plusieurs mètres de long et multi-usage, animal amphibie (depuis Le Repaire de la murène), à l’appétit considérable (voir la colonne de fourmis avalée dans Tembo Tabou), redoutable et invaincu combattant lorsqu’il affronte des ennemis (le lion du Gorille a bonne mine), au flair extraordinaire (dans Les Pirates du silence), doté du sens du jeu et de l’humour (quand Fantasio s’emprisonne dans un filet dans Spirou et les héritiers). Pourtant, le Marsupilami déprime lorsqu’il est enfermé au zoo (1ère planche des Voleurs de Marsupilami).
Voilà pour le Marsu de Franquin auquel Frank Pé et Zidrou rendent un hommage appuyé tout en revisitant l’animal et son univers.
Si la série régulière reprise par Batem, est intéressante, la relecture faite par Flix en 2022, par Benjamin Chaud en albums jeunesse en 2017 et, a fortiori aujourd’hui, celle de Frank Pé et de Zidrou se situent à un tout autre niveau.
Revisitant le Marsupilami, sans Spirou et Fantasio et loin de la parodie de documentaire animalier du Nid des Marsupilami, les deux auteurs présentent un animal sauvage, blessé mais résilient et en profitent pour partager une galerie de personnages adultes grotesques ou attachants et d’enfants d’abord cruels puis magnifiques de solidarité.
Prépublié dans le magazine hebdomadaire Spirou (en suppléments hebdomadaires réservés aux abonnés), ce second volume de La Bête était très attendu. La première partie sortie en 2020 avait déjà été fortement recommandée.
Si plusieurs années ont été nécessaires avant la finalisation du tome 2, c’est dû au perfectionnisme des auteurs et au grand nombre de pages que comporte l’ouvrage. La couverture, lumineuse, rassure. L’histoire se termine bien. Il faudra toutefois attendre la dernière planche pour entendre le célèbre "Houba" du marsupial.
Ce second volume débute avec le professeur Sneutvelmans, un expert en cryptozoologie "que le kraken le croque !", de retour du Royaume-Uni, sur les traces du « tapir laineux » et du « pipit à gorge profonde » (plus communément nommé l’Antrhus Vociferus du fait de son cri impressionnant).
À peine ses valises posées, il apprend la présence du « Cola-Cola » à Bruxelles même ! Une occasion en or de faire la une des journaux, La Libre Belgique ou Le Soir illustré.
La Seconde Guerre mondiale est encore proche. Franz surnommé « Fut-Fut » par ses camarades, se lance dans l’opération « Libérez Lange Staart ». Sa mère, sensible au prestige de l’uniforme et au désarroi de Monsieur Boniface (personnage hommage graphique à André Franquin), aura plus d’ "un oeuf à peler" avec Franz.
Les choix graphiques appuient le récit : des cases pleines pages (exemples : quand le Marsu s’électrocute, page 148 ; l’orage violent en page 168 peu avant que le Marsu ne soit disséqué par le professeur), des onomatopées géantes (on se souvient de l’usage qu’en faisait Franquin), des personnages secondaires aux tronches grotesques.
On sait l’intérêt et le regard tendre de Zidrou pour l’enfance parfois bien cabossée (Tamara, Ducobu, l’Adoption, Boule à zéro…) et son talent hors norme pour reprendre des séries classiques (Ric Hochet, Spirou avec Frank Pé dans La Lumière de Bornéo...).
De même, Frank Pé, auteur de Broussaille et d’une revisite de Little Nemo (narrant les rêve d’un petit garçon), a marqué le 9e art avec sa trilogie Zoo (avec Philippe Bonifay). La parution de cet étrange zoo, dernier havre de paix dans la fureur de la Grande guerre, s’étala sur 15 ans (!) et le talent de son auteur pour le dessin animalier force l’admiration.
Bref, la rencontre des deux artistes donne au 9e art l’un de ses plus beaux albums du XXIe siècle.
Voir en ligne : Site officiel de Frank Pé
(par Christian GRANGE)
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