Enrique Badia Romero qui, parmi ses différents pseudos a signé tout simplement Romero est né à Barcelone, le 24 avril 1930. Grand amateur de BD et de dessin dans son enfance, c’est en parfait autodidacte, comme beaucoup de dessinateurs BD de sa génération qu’il commence sa formation. Ainsi il observe pour apprendre ses favoris de l’époque parmi lesquels Hal Foster et Alex Raymond bien sûr, et les dessinateurs "locaux" comme Jésus Blasco, mais surtout un des pionniers de la BD espagnole et incontournable artiste hispanique, très reconnu, Emilio Freixas.
Ce même Freixas pour qui -chance on le devine pour le jeune Romero- il devient, au milieu des années 1940, l’assistant. Freixas toujours, qui en 1947 recommande son apprenti-auteur de BD pour faire ses débuts comme un grand, à 17 ans, auprès de la revue El Coyote (juste avant, le débutant Romero a vendu sa première bande dessinée à la maison d’édition German Plaza) ainsi que pour diverses publications de l’éditeur Símbolo, comme Disco, Héroes Bélicos ou Cobalto dans des récits d’aventures.
Une belle mise au pied à l’étrier. Au fil du temps, Romero va même s’essayer à l’écriture de scénario.
École.
Romero est un autodidacte, mais il n’hésite pas, en 1953, accompagné du dessinateur Ramón Monzón, à fonder une école de dessin par correspondance nommée Estudios Alex -un hommage à Alex Raymond- qui va compter plus de mille élèves et, un peu plus tard, un magazine BD dont il devient le rédacteur en chef. Un mag titré comme il se doit : Alex !
En plus d’y faire débuter son jeune frère Jordi qui signe Jobaro ou Jorge pour "Jordi (ou Jorge en castillan) Badía Romero" et avec qui il va souvent collaborer avant son décès prématuré, il a la fierté, comme il le soulignera, de publier aussi, durant la vie relativement courte du journal, quelques-uns des plus grands artistes espagnols du genre.
Donc pendant onze ans (1947-1958) le dessinateur catalan travaille entièrement avec des éditeurs de sa ville, il est surtout spécialisé dans la BD destinée à un public féminin, mais dessine aussi des couvertures de livres, de la publicité...
Travail en agence.
Mais c’est en 1959, que sa carrière va prendre une impulsion décisive qui va définitivement orienter la destination de son travail quand il rejoint l’agence de Editorial Bruguera, qui fournit des pages de bandes dessinées à l’étranger. Comme pas mal de ses confrères qui ont choisi cette même orientation nettement plus rémunératrice que celle proposée par l’édition locale, il va travailler pour l’éditeur londonien Fleetway.
Pour faire avant-tout de la BD de romance. Ce qui tombe bien pour Romero qui se veut plus sûrement un dessinateur de la figure humaine, bien plus que de la représentation technique comme les voitures ou les avions. Surtout la figure féminine dont il va devenir un spécialiste assez recherché.
Il rejoint aussi les rangs de la très active agence barcelonaise Selecciones Ilustradas de Josep Toutain où il dessine plusieurs histoires pour l’éditeur américain Warren Publishing et ses mensuels en noir et blanc comme Creepy et Eerie.
Consécration.
Cependant, en 1970, le dessinateur Jim Holdaway tombe malade. Le journal londonien Daily Express demande à Romero de le remplacer sur les comic-strips de la très célèbre Modesty Blaise, avec le scénariste Peter O’Donnell.
Des débuts difficiles puisque O’Donnell est très exigeant, habitué au travail, excellent, d’Holdaway qui se sert, comme beaucoup de dessinateurs de strips, de références photos. De plus il encre ses dessins à la plume, alors que Romero dessine plus volontiers de mémoire en encrant ses dessins au pinceau.
Finalement, les deux créateurs finissent par s’entendre pour une fructueuse collaboration qui va s’installer dans le temps, d’autant que, Hélas, Jim Holdaway décéde.
Rahan.
Grâce à Modesty Blaise, Romero devient célèbre et reconnu. C’est comme ça qu’il se retrouve, en 1976, à dessiner Rahan pour le journal Pif Gadget, en relais de l’immense André Chéret, et, ce, jusqu’en 1978. Année où quelques tensions vont l’éloigner du personnage.
Bien meilleur encreur que crayonneur, plus raide, Romero ne va pas démériter en comparaison avec l’incroyable Chéret, au dessin et à la narration si dénoués.
Même et surtout s’il n’hésitera pas à souvent reprendre les dessins de ce même Chéret dans ses pages. Un véritable plagiat.
Axa.
Fort de son succès et inspiré par celui de la version féminine de James Bond qu’est sans conteste Modesty Blaise, Romero va, comme il en rêve depuis longtemps, donner naissance, en 1978, à son propre personnage de strips pour journaux quotidiens : la blonde et si peu frileuse Axa ! Une série fantastique et post-apocalyptique, passablement érotique. En collaboration avec Donne Avenell, surtout dialoguiste.
C’est le journal The Sun, quotidien tabloïd peu rebuté par la nudité surtout si elle est féminine, qui accepte volontiers le projet, avec un certain succès encore.
Débordé, Romero abandonne à son grand regret Modesty Blaise en 1978, pour se consacrer à sa propre création. Ce, jusqu’en 1986 où encore quelques contrariétés, cette fois avec la rédaction du journal The Sun arrêtent, en plein milieu d’une histoire, la publication du strip - dans le cas d’Axa on peut sans hésiter parler du strip-tease.
Retour.
En 1986 donc, Romero reprend avec joie Modesty Blaise et retrouve, en plus d’immédiatement ses marques et avec le même plaisir, Peter O’Donnell. D’un commun accord entre les deux créateurs, la série sera arrêtée le 27 novembre 2000. Même si très vite un regret viendra à ce sujet, tant l’attachement, après 38 ans, à l’intrépide brune vêtue de noir était fort.
Bien sûr, durant toutes ces années, Romero reprendra les aventures d’Axa pour différents projets éditoriaux. En 2002, il est tout heureux de dessiner encore une aventure de Modesty Blaise : une adaptation de la nouvelle The Dark Angels, publiée au format roman graphique dans les pays nordiques, où Modesty connait son succès le plus grand.
À partir de là, le dessinateur espagnol va lever le pied question production où il va surtout dessiner des commandes pour ses fans, donc certains lui demanderont (bravo c’est très fin) de dessiner la tête de leur copine sur le corps d’Axa... Ce qui amusait beaucoup le dessinateur.
Ses dernières productions BD incluent une histoire du juge Anderson pour le fameux magazine anglais 2000 AD, une autre de Durham Red pour le magazine Judge Dredd Megazine et une courte histoire pour le spécialiste en arts martiaux Shang-Chi, pour le compte de Marvel Comics en 2009. En 2011, il dessine des petites histoires de Djustine, un western horrifique et légèrement érotique pour les marchés italien et américain.
Enrique Badia Romero était heureux de sa vie et de sa fructueuse carrière passée à dessiner ce qu’il aimait. Il était un des derniers représentants de sa génération, ces dessinateurs "d’agence" de la BD latine, au noir et blanc somptueux, capables de tout dessiner, vite et bien. Pas si simple vous pouvez en être sûr.
(par Pascal AGGABI)
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