Actualité

Retour sur la disparition d’Enrique Badia Romero, un des dessinateurs de Modesty Blaise, Rahan et Axa

Par Pascal AGGABI le 25 février 2024                      Lien  
Nous vous en parlions pas plus tard qu'hier : le dessinateur espagnol Enrique Badía Romero est décédé le 15 février dernier, à 93 ans. Auteur de bande dessinée et illustrateur sur une longue carrière, principalement connu pour son travail dans le genre romantique et, plus tard, pour son travail pour le marché britannique dans des séries telles que "Modesty Blaise "ou "Axa", il a aussi dessiné Rahan pour les lecteurs de Pif Gadget.On revient aujourd'hui en détail sur sa carrière.

Enrique Badia Romero qui, parmi ses différents pseudos a signé tout simplement Romero est né à Barcelone, le 24 avril 1930. Grand amateur de BD et de dessin dans son enfance, c’est en parfait autodidacte, comme beaucoup de dessinateurs BD de sa génération qu’il commence sa formation. Ainsi il observe pour apprendre ses favoris de l’époque parmi lesquels Hal Foster et Alex Raymond bien sûr, et les dessinateurs "locaux" comme Jésus Blasco, mais surtout un des pionniers de la BD espagnole et incontournable artiste hispanique, très reconnu, Emilio Freixas.

Retour sur la disparition d'Enrique Badia Romero, un des dessinateurs de Modesty Blaise, Rahan et Axa
Cobalto pour les publications de l’éditeur Símbolo.
Copyright Romero, Editorial Símbolo.

Ce même Freixas pour qui -chance on le devine pour le jeune Romero- il devient, au milieu des années 1940, l’assistant. Freixas toujours, qui en 1947 recommande son apprenti-auteur de BD pour faire ses débuts comme un grand, à 17 ans, auprès de la revue El Coyote (juste avant, le débutant Romero a vendu sa première bande dessinée à la maison d’édition German Plaza) ainsi que pour diverses publications de l’éditeur Símbolo, comme Disco, Héroes Bélicos ou Cobalto dans des récits d’aventures.

Une belle mise au pied à l’étrier. Au fil du temps, Romero va même s’essayer à l’écriture de scénario.

Publication dans le journal El Coyote.
© Romero.

École.

Romero est un autodidacte, mais il n’hésite pas, en 1953, accompagné du dessinateur Ramón Monzón, à fonder une école de dessin par correspondance nommée Estudios Alex -un hommage à Alex Raymond- qui va compter plus de mille élèves et, un peu plus tard, un magazine BD dont il devient le rédacteur en chef. Un mag titré comme il se doit : Alex !

En plus d’y faire débuter son jeune frère Jordi qui signe Jobaro ou Jorge pour "Jordi (ou Jorge en castillan) Badía Romero" et avec qui il va souvent collaborer avant son décès prématuré, il a la fierté, comme il le soulignera, de publier aussi, durant la vie relativement courte du journal, quelques-uns des plus grands artistes espagnols du genre.

La couverture du premier numéro du magazine Alex.
Copyright Romero, Ramón Monzón, Editorial Símbolo.

Donc pendant onze ans (1947-1958) le dessinateur catalan travaille entièrement avec des éditeurs de sa ville, il est surtout spécialisé dans la BD destinée à un public féminin, mais dessine aussi des couvertures de livres, de la publicité...

Travail en agence.

Mais c’est en 1959, que sa carrière va prendre une impulsion décisive qui va définitivement orienter la destination de son travail quand il rejoint l’agence de Editorial Bruguera, qui fournit des pages de bandes dessinées à l’étranger. Comme pas mal de ses confrères qui ont choisi cette même orientation nettement plus rémunératrice que celle proposée par l’édition locale, il va travailler pour l’éditeur londonien Fleetway.

Pour faire avant-tout de la BD de romance. Ce qui tombe bien pour Romero qui se veut plus sûrement un dessinateur de la figure humaine, bien plus que de la représentation technique comme les voitures ou les avions. Surtout la figure féminine dont il va devenir un spécialiste assez recherché.

© Warren Publishing, Romero.

Il rejoint aussi les rangs de la très active agence barcelonaise Selecciones Ilustradas de Josep Toutain où il dessine plusieurs histoires pour l’éditeur américain Warren Publishing et ses mensuels en noir et blanc comme Creepy et Eerie.

Consécration.

Cependant, en 1970, le dessinateur Jim Holdaway tombe malade. Le journal londonien Daily Express demande à Romero de le remplacer sur les comic-strips de la très célèbre Modesty Blaise, avec le scénariste Peter O’Donnell.

Modesty Blaise par Romero qui va "latiniser" le personnage..
© Peter O’Donnell, Romero.

Des débuts difficiles puisque O’Donnell est très exigeant, habitué au travail, excellent, d’Holdaway qui se sert, comme beaucoup de dessinateurs de strips, de références photos. De plus il encre ses dessins à la plume, alors que Romero dessine plus volontiers de mémoire en encrant ses dessins au pinceau.

Modesty Blaise par Jim Holdaway. Typique d’une certaine école du comic-strips anglaise et américaine.
© Peter O’Donnell, Jim Holdaway.

Finalement, les deux créateurs finissent par s’entendre pour une fructueuse collaboration qui va s’installer dans le temps, d’autant que, Hélas, Jim Holdaway décéde.

Modesty Blaise par Romero.
© Peter O’Donnell, Romero.

Rahan.

Grâce à Modesty Blaise, Romero devient célèbre et reconnu. C’est comme ça qu’il se retrouve, en 1976, à dessiner Rahan pour le journal Pif Gadget, en relais de l’immense André Chéret, et, ce, jusqu’en 1978. Année où quelques tensions vont l’éloigner du personnage.

© Éditons Vaillant, Lécureux, Chéret, Romero.

Bien meilleur encreur que crayonneur, plus raide, Romero ne va pas démériter en comparaison avec l’incroyable Chéret, au dessin et à la narration si dénoués.

Pour marcher dans les pas (de géant) de Chéret...
© Éditons Vaillant, Lécureux, Chéret, Romero.
... Romero dynamise sa narration, plutôt bien.
© Éditons Vaillant, Lécureux, Chéret, Romero.

Même et surtout s’il n’hésitera pas à souvent reprendre les dessins de ce même Chéret dans ses pages. Un véritable plagiat.

S’il reprend à l’identique des postures de personnages de Chéret, en excellent encreur il fait jouer son sens des textures et matières.
Romero dessine de magnifiques jungles et marécages dans une ligne de code pas du tout photographique et très BD. © Éditons Vaillant, Lécureux, Chéret, Romero.
Voici Axa ! Le personnage préféré de Romero où il peut laisser libre cours à son goût pour le dessin de la figure humaine, surtout féminine. D’autant que les fans en redemandent.
© Romero, Donne Avenell.

Axa.

Fort de son succès et inspiré par celui de la version féminine de James Bond qu’est sans conteste Modesty Blaise, Romero va, comme il en rêve depuis longtemps, donner naissance, en 1978, à son propre personnage de strips pour journaux quotidiens : la blonde et si peu frileuse Axa ! Une série fantastique et post-apocalyptique, passablement érotique. En collaboration avec Donne Avenell, surtout dialoguiste.

Axa en version strips...
© Romero, Donne Avenell.

C’est le journal The Sun, quotidien tabloïd peu rebuté par la nudité surtout si elle est féminine, qui accepte volontiers le projet, avec un certain succès encore.

... Et en version BD plus classique..
© Romero, Donne Avenell.

Débordé, Romero abandonne à son grand regret Modesty Blaise en 1978, pour se consacrer à sa propre création. Ce, jusqu’en 1986 où encore quelques contrariétés, cette fois avec la rédaction du journal The Sun arrêtent, en plein milieu d’une histoire, la publication du strip - dans le cas d’Axa on peut sans hésiter parler du strip-tease.

... Mais aussi en couleur, suivant les projets éditoriaux.
© Romero, Donne Avenell.

Retour.

En 1986 donc, Romero reprend avec joie Modesty Blaise et retrouve, en plus d’immédiatement ses marques et avec le même plaisir, Peter O’Donnell. D’un commun accord entre les deux créateurs, la série sera arrêtée le 27 novembre 2000. Même si très vite un regret viendra à ce sujet, tant l’attachement, après 38 ans, à l’intrépide brune vêtue de noir était fort.

Bien sûr, durant toutes ces années, Romero reprendra les aventures d’Axa pour différents projets éditoriaux. En 2002, il est tout heureux de dessiner encore une aventure de Modesty Blaise : une adaptation de la nouvelle The Dark Angels, publiée au format roman graphique dans les pays nordiques, où Modesty connait son succès le plus grand.

DR.

À partir de là, le dessinateur espagnol va lever le pied question production où il va surtout dessiner des commandes pour ses fans, donc certains lui demanderont (bravo c’est très fin) de dessiner la tête de leur copine sur le corps d’Axa... Ce qui amusait beaucoup le dessinateur.

© Peter O’Donnell, Romero.

Ses dernières productions BD incluent une histoire du juge Anderson pour le fameux magazine anglais 2000 AD, une autre de Durham Red pour le magazine Judge Dredd Megazine et une courte histoire pour le spécialiste en arts martiaux Shang-Chi, pour le compte de Marvel Comics en 2009. En 2011, il dessine des petites histoires de Djustine, un western horrifique et légèrement érotique pour les marchés italien et américain.

Enrique Badia Romero était heureux de sa vie et de sa fructueuse carrière passée à dessiner ce qu’il aimait. Il était un des derniers représentants de sa génération, ces dessinateurs "d’agence" de la BD latine, au noir et blanc somptueux, capables de tout dessiner, vite et bien. Pas si simple vous pouvez en être sûr.

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Rahan Axa ✏️ Romero tout public à partir de 13 ans Espagne Décès 2024
 
Participez à la discussion
7 Messages :
  • Bonsoir et merci pour ce bel article, bien détaillé !

    Ceci dit, je ne suis pas spécialiste en Rahanneries, alors c’est quoi ce beau dessin où l’on voit Rahan avec un dinosaure agressif à l’arrière-plan ? Les hommes et femmes de la préhistoire ne pouvaient rencontrer les dinosaures, ils étaient morts bien avant !

    Répondre à ce message

    • Répondu le 28 février à  13:33 :

      Rahan a plusieurs fois rencontré des survivants des dinosaures. C’est de la bande dessinée de divertissement, pas de la littérature scientifique.

      Répondre à ce message

    • Répondu par Pascal Aggabi le 28 février à  14:15 :

      Ce beau dessin vient de l’épisode "Le piège fantastique" publié début 80, qui voit le monstre finir au fond d’un large précipice.

      Avec Rahan nous sommes dans l’imaginaire, pas un documentaire donc tout est permis. De nos jours la BD est suffisamment scolaire comme ça, non ?

      Répondre à ce message

  • Quand vous écrivez "accompagné du dessinateur Ramón Monzón", je suppose qu’il s’agit de l’auteur qui publia des bandes dessinées d’humour dans les pages de Vaillant, années soixante ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par Pascal Aggabi le 28 février à  14:24 :

      Oui, c’est bien lui. On se rappelle facilement le joli trait aiguisé de Ramón Monzón typique d’une certaine école comique espagnole, qui, hélas, n’aura pas rencontré chez nous où il a fait le plus gros de sa carrière, le succès mérité.
      Peut-être trop en avance sur son temps alors que le lecteur d’ici avait l’habitude d’un trait plus doux et enveloppant.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Michel Dartay le 28 février à  19:58 :

        Ramon Monzon, assez proche de Mandryka à l’époque, du non-sens et de l’absurde : il avait une BD nommée Group-Group, je crois ?

        Répondre à ce message

        • Répondu par Pascal Aggabi le 29 février à  13:56 :

          Personnage pour lequel on le soupçonnera parfois d’ avoir plagié le Marsupilami, alors qu’apparemment il en ignorait l’existence à la création de la série.
          Mandryka qui l’appréciait beaucoup, comme un certain nombre de professionnels plus, hélas pour Monzón, que le simple lectorat. Mandryka qui l’aurait invité, en vain, à participer au journal "L’Écho des Savanes". Assurément un rendez-vous manqué pour Monzón.

          Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Pascal AGGABI  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD