En mars 2022, déroulant son programme de l’année, le directeur éditorial de Dupuis, Stéphane Beaujean présentait fièrement « la » nouvelle de l’année : Gaston s’apprêtait à revenir gaffer dans nos librairies. Un gros coup : on parlait de près d’un million d’exemplaires de mise en place. Pendant la conférence de presse, notre consœur de Télérama, Laurence Le Saux, posait la question qui fâche : quid de l’avis de l’ayant droits, Isabelle Franquin ? La réponse fut un peu embarrassée. Mais Isabelle Franquin ne s’est pas laissée impressionner : elle a assigné l’éditeur de Marcinelle en justice.
La cause n’était pas simple. Car si le droit moral est clairement inscrit dans le code du droit d’auteur français ( « Le droit moral est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Ce qui signifie que l’auteur ne peut pas y renoncer, ni le céder à un tiers, même s’il est prêt à le faire. Toute clause d’un contrat qui prévoirait le contraire est nulle juridiquement), c’est moins clair dans le droit belge, d’application dans le cadre du contrat qui liait André Franquin aux éditions Dupuis. C’est d’autant plus compliqué que, de son vivant, Franquin avait cédé ses droits à la société Marsu Productions de Jean-François Moyersoen, laquelle est régie par le droit… monégasque où la notion de droit moral est tout aussi évanescente. Face à cet embrouillamini juridique qui aurait entraîné un procès de plusieurs années, les parties ont confié la décision à un arbitrage indépendant. Il a pris le temps mais sa décision est prise : certes, Dupuis a le droit de publier Gaston, mais il doit soumettre le projet au préalable à l’ayant droits qui peut influer sur le choix de l’auteur et sur la forme de la publication.
Est-ce pour autant une victoire d’Isabelle Franquin ? Pas sûr. Le communiqué des éditions Dupuis publié ce matin stipule :
La décision arbitrale rendue ce jour met définitivement un terme au litige opposant Isabelle Franquin et Dupuis. « Nous regrettons les malentendus et les incompréhensions qui ont pu mener à ce différend », souligne Julie Durot, Directrice générale de la maison d’édition. « Dupuis a en effet toujours eu la plus grande considération pour le travail et le droit moral de Franquin, comme pour celui de tous les auteurs et toutes les autrices. La décision arbitrale vient confirmer notre respect du contrat signé par André Franquin. »
Souvenons-nous que dans le cas dans l’adaptation cinématographique de Gaston à laquelle Isabelle Franquin s’était opposée, Dupuis était passé en force. La fille du créateur du Marsupilami a tenté de renverser la vapeur avec l’album de Gaston. L’arbitrage confirme qu’elle détient le droit moral. Mais l’avis de l’arbitrage mérite une lecture nuancée car il fixe des limites à cette soumission : elle doit être appliquée « selon les formes prévues dans un contrat conclu entre parties en 2016 » mais précise que « Tout refus de sa part doit être justifié par des motifs éthiques ou artistiques ». Là encore, la marge d’appréciation est large.
Selon le communiqué de Dupuis, cette approbation n’est qu’une formalité puisque l’éditeur de Marcinelle annonce d’ores et déjà que la publication de l’album de Delaf sera « l’aboutissement d’un travail remarquable et passionné de plusieurs années ». Le dessinateur canadien lui-même déclare : « Je me réjouis de cette décision et suis impatient de partager le fruit de mon travail avec le public. J’espère qu’en refermant l’album, les lecteurs ressentiront tout l’amour et le respect que j’ai pour Gaston et son inégalable créateur André Franquin. »
Certes, mais il reste à recueillir l’avis d’Isabelle Franquin…
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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En médaillon : Dessins de Delaf d’après André Franquin - © Editions Dupuis
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