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Dupuis peut publier Gaston, mais pas sans l’accord d’Isabelle Franquin

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 31 mai 2023                      Lien  
Par une décision arbitrale acceptée par les deux parties et sur laquelle il n’y a aucun recours, il a été constaté que « Le principe d’une résurrection de Gaston est licite mais [que] Dupuis et Dargaud-Lombard n’ont pas respecté le processus contractuel d’approbation et [qu'] Isabelle Franquin a toujours le droit de faire valoir ses observations. » Sans cette approbation, Dupuis ne pouvait publier l’album de Gaston par Delaf.

En mars 2022, déroulant son programme de l’année, le directeur éditorial de Dupuis, Stéphane Beaujean présentait fièrement « la » nouvelle de l’année : Gaston s’apprêtait à revenir gaffer dans nos librairies. Un gros coup : on parlait de près d’un million d’exemplaires de mise en place. Pendant la conférence de presse, notre consœur de Télérama, Laurence Le Saux, posait la question qui fâche : quid de l’avis de l’ayant droits, Isabelle Franquin  ? La réponse fut un peu embarrassée. Mais Isabelle Franquin ne s’est pas laissée impressionner : elle a assigné l’éditeur de Marcinelle en justice.

Dupuis peut publier Gaston, mais pas sans l'accord d'Isabelle Franquin
Stéphane Beaujean à Angoulême en mars 2022
Photo : Jérôme Blachon

La cause n’était pas simple. Car si le droit moral est clairement inscrit dans le code du droit d’auteur français ( « Le droit moral est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Ce qui signifie que l’auteur ne peut pas y renoncer, ni le céder à un tiers, même s’il est prêt à le faire. Toute clause d’un contrat qui prévoirait le contraire est nulle juridiquement), c’est moins clair dans le droit belge, d’application dans le cadre du contrat qui liait André Franquin aux éditions Dupuis. C’est d’autant plus compliqué que, de son vivant, Franquin avait cédé ses droits à la société Marsu Productions de Jean-François Moyersoen, laquelle est régie par le droit… monégasque où la notion de droit moral est tout aussi évanescente. Face à cet embrouillamini juridique qui aurait entraîné un procès de plusieurs années, les parties ont confié la décision à un arbitrage indépendant. Il a pris le temps mais sa décision est prise : certes, Dupuis a le droit de publier Gaston, mais il doit soumettre le projet au préalable à l’ayant droits qui peut influer sur le choix de l’auteur et sur la forme de la publication.

Est-ce pour autant une victoire d’Isabelle Franquin ? Pas sûr. Le communiqué des éditions Dupuis publié ce matin stipule :

La décision arbitrale rendue ce jour met définitivement un terme au litige opposant Isabelle Franquin et Dupuis. « Nous regrettons les malentendus et les incompréhensions qui ont pu mener à ce différend », souligne Julie Durot, Directrice générale de la maison d’édition. « Dupuis a en effet toujours eu la plus grande considération pour le travail et le droit moral de Franquin, comme pour celui de tous les auteurs et toutes les autrices. La décision arbitrale vient confirmer notre respect du contrat signé par André Franquin.  »

Gaston Lagaffe par Delaf
Dessin de Delaf d’après André Franquin - © Editions Dupuis

Souvenons-nous que dans le cas dans l’adaptation cinématographique de Gaston à laquelle Isabelle Franquin s’était opposée, Dupuis était passé en force. La fille du créateur du Marsupilami a tenté de renverser la vapeur avec l’album de Gaston. L’arbitrage confirme qu’elle détient le droit moral. Mais l’avis de l’arbitrage mérite une lecture nuancée car il fixe des limites à cette soumission : elle doit être appliquée « selon les formes prévues dans un contrat conclu entre parties en 2016  » mais précise que « Tout refus de sa part doit être justifié par des motifs éthiques ou artistiques ». Là encore, la marge d’appréciation est large.

Selon le communiqué de Dupuis, cette approbation n’est qu’une formalité puisque l’éditeur de Marcinelle annonce d’ores et déjà que la publication de l’album de Delaf sera «  l’aboutissement d’un travail remarquable et passionné de plusieurs années ». Le dessinateur canadien lui-même déclare : « Je me réjouis de cette décision et suis impatient de partager le fruit de mon travail avec le public. J’espère qu’en refermant l’album, les lecteurs ressentiront tout l’amour et le respect que j’ai pour Gaston et son inégalable créateur André Franquin. »

Certes, mais il reste à recueillir l’avis d’Isabelle Franquin…

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

En médaillon : Dessins de Delaf d’après André Franquin - © Editions Dupuis

Gaston Lagaffe Dupuis ✏️ André Franquin ✏️ Marc Delaf Belgique
 
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12 Messages :
  • Autrement dit : Dupuis ne peut pas publier (de nouveaux) Gaston sans l’accord d’Isabelle Franquin

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 31 mai 2023 à  09:48 :

      Pas sûr. Ils ont en tout cas intérêt à se rapprocher d’elle. Sinon un tribunal statuera de savoir si ses demandes sont légitimes ou non, et on revient à la case départ.

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      • Répondu par vainvain le 31 mai 2023 à  10:53 :

        En tous cas si on en juge par la couverture (projet ?) du "nouveau" Gaston, Isabelle Franquin n’aura pas de mal à faire valoir ses motivations pour que la publication ne se fasse pas en l’état… Un "non-gag" complètement nul, à un million d’années lumière du génie de Franquin…

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        • Répondu le 31 mai 2023 à  11:37 :

          Je ne trouve pas cette couverture terrible non plus, mais dire que c’est complètement nul et que tout ce que faisait Franquin était du génie "à un million d’années-lumière" me semble très exagéré.

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        • Répondu par Itomi Bhaa le 31 mai 2023 à  13:10 :

          Je ne suis pas d’accord avec vous.
          Je pense que ça va être difficile pour elle d’argumenter d’un point de vu artistique.
          On peut être critique envers la démarche de Delaf*, mais on pourra faire difficilement plus proche de Franquin.

          * Ce n’est pas mon cas.

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          • Répondu le 31 mai 2023 à  13:58 :

            Le but d’une reprise est d’abord de relancer le fonds de catalogue. C’est donc d’abord une démarche commerciale. Mais une fois la décision prise, l’objectif ne peut pas être d’être le plus proche possible de l’original : c’est tout simplement impossible. Il faut continuer en restant dans l’esprit, aussi bien en terme de scénario que de dessin, mais faire oeuvre de faussaire serait vain et malhonnête. Les nouveaux auteurs doivent aussi apporter leur personnalité. Exemples de reprise réussie : Asterix et Corto Maltese (et pourtant c’était très difficile a priori) : les nouveaux auteurs sont bien dans l’esprit, mais ils ne copient pas servilement les oeuvres originales, et ils lui restent de toute façon inférieurs : l’inventivité du scénario et le volume de gags pêchent dans les nouveaux Asterix, la caractérisation des personnages féminins fait défaut dans les nouveaux Corto. C’est pas mal, pourtant. Pour Gaston, il faut souhaiter qu’il en soit de même, puisque la fille de Franquin ne pourra probablement pas empêcher la reprise : coller à l’esprit de la série sans singer Franquin. Par contre, croire qu’on va vendre 1 million d’exemplaires d’un nouveau Gaston me semble très présomptueux.

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            • Répondu par lorentzo.B le 5 juin 2023 à  14:39 :

              D’accord avec votre analyse, sauf que je ne trouve pas du tout les reprises d’Astérix et de corto réussies malgré le talent des repreneurs (auteurs que j’apprécie par ailleurs) ; prenons notre gaulois national par exemple : ce qui fait son intemporalité s’appuie notamment sur des albums que l’on peut qualifier de classiques, avec des phrases, des gags, des situations qui sont devenus des références pour les (vieux) lecteurs. J’avais, il y a quelques années, dû batailler au tribunal pour la garde de mon enfant ; pour me défendre et expliciter les contradictions et autres situations ubuesques liées au caractère de la maman, j’avais demandé à la juge si elle avait lu Astérix en Corse, et de citer ainsi le passage sur "elle te plaît ma soeur ?" etc que vous ...connaissez tous ou presque. La juge avait ri et compris immédiatement... Plus récemment, mon frère aîné avait singé Obélix sans le citer en entamant une danse joviale avec des "on va aller au cirque, on va aller au cirque", ou encore un copain - qui n’est ni un collectionneur ni un gros lecteur - chez qui je prenais l’apéro, et qui me dit à voix basse "tu connais Séraphin Lampion ?" tant il n’en pouvait plus d’un voisin qui lui vantait les qualités d’un outil dont on ne pouvait se passer... Quant au graphisme, je suis d’accord avec le dessinateur Franck Biancarelli (mince, je balance !) qui ne reconnaissait pas le regard d’Astérix - à l’époque des Pictes - et le gênait ainsi dans son appropriation du personnage... Dans l’après Goscinny, combien d’albums peut-on qualifier de "classiques" ? Pareil, et je suis tenté de dire hélas, pour Lucky luke (notamment)... Mais ce n’est que mon avis (là je sors le parapluie, parce que les forums..).

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          • Répondu le 31 mai 2023 à  14:47 :

            « Son accord est indispensable pour toute nouvelle création, en ce compris sur le choix de l’auteur », insiste l’arbitre d’après le communiqué, qui précise que « tout refus de sa part doit être justifié par des motifs éthiques ou artistiques ».
            Je voudrais croire que la notion d’"artistique" inclue la qualité des scénarios/gags… Effectivement le dessinateur se débrouille bien avec le style (quoi qu’en y regardant de près on voit assez vite la distance qui le sépare du maître…), mais dès lors que les gags sont mauvais et ne respectent pas l’esprit de Gaston… Voilà qui va enrichir les avocats, sans doute — si toutefois madame Franquin souhaite encore se battre après cette petite victoire de principe…

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  • L’empressement de Dupuis est un peu cavalier et ressemble quand même à un passage en force puisque la décision de justice ne clôt pas le dossier, semble-t-il. Va-t-on repasser devant les juges dans les mois qui viennent ? On attend la réponse d’Isabelle Franquin, effectivement.

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  • Dans l’article ici, il semblerait que les avocats d’Isabelle Franquin ait déjà répondu, notamment sur le fait que Dupuis ne l’aurait pas informée du projet Gaston alors qu’ils étaient légalement obligés de le faire. Et qu’ils auraient dû obtenir son autorisation. A mon humble avis, la bataille juridique n’est pas finie, quoi qu’en dise Dupuis...

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  • Consternant cynisme éditorial ...

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