SEMELLES DE VENT. Hugo Pratt et Arthur Rimbaud devaient se rencontrer, du moins sur le papier. L’un et l’autre sont poètes dans leur genre, l’un et l’autre ont eu une vie d’aventures quelque peu chaotiques, ils ont l’un et l’autre des « semelles de vent », l’un et l’autre enfin ont connu l’empire éthiopien d’Abyssinie à cette nuance près : Pratt y vécut ses premières années ; Rimbaud, les dernières de sa courte vie.
Dominique Petifaux, notre prattologue préféré, dit que le créateur de Corto Maltese « tenait la poésie comme la forme la plus haute de l’expression littéraire » Il met en parallèle la narration du poète maudit avec celle du dessinateur vénitien : « Le poème le plus connu de Rimbaud, « Le Dormeur du val », est une sorte de zoom progressif, qui mène le lecteur d’un plan général (« un trou de verdure ») jusqu’à un endroit très précis (« deux trous rouges au côté droit ») qu’il met en parallèle avec le travelling arrière des Ethiopiques de Pratt où des rayures noires et blanches deviennent peu à peu des zèbres.
Ce qui fascina Pratt, sans aucun doute, c’est que ce poète majeur cessa d’écrire à l’âge de vingt ans pour aller vendre des armes au fin fond de l’Afrique, dans l’espoir de devenir rapidement riche. Il s’y ruina, en particulier la santé. Reste que ces lettres sont pathétiques. L’Abyssinie, pour lui, ces sont « sept années de fatigues qu’on ne peut imaginer et des privations les plus abominables… »
À 33 ans, il a des cheveux gris, des rhumatismes partout. Il écrit à ses proches : « Je me figure que mon existence périclite. » Effectivement, il mourra quatre ans plus tard à Marseille, ruiné, épuisé, d’un cancer généralisé.
Il n’y a que quelques dessins de Pratt dans cet ouvrage, mais la rencontre est précieuse.
DP
Lettres d’Afrique – Par Arthur Rimbaud – Illustré par Hugo Pratt – Ed. Le Tripode
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