Le récit, tiré du Premier Livre de Samuel extrait de la Bible hébraïque, est mondialement connu et a donné lieu à de multiples interprétations artistiques. Pour rester dans le domaine de l’image, plus précisément de la peinture, il a été représenté par Michel-Ange, Le Titien et Le Caravage notamment. Il en est venu à symboliser la lutte des petits contre les gros, des faibles contre les forts. Il est mobilisé pour susciter l’espoir même quand les forces sont si déséquilibrées que la défaite semble inéluctable.
En quelques mots : le jeune et malingre David abat, contre toute attente, le géant Goliath, mettant ainsi fin à la guerre des Philistins contre Israël. L’épisode, présent dans la Bible des juifs, dans celle des chrétiens et dans le Coran, est bref. Mais il a une telle portée, par sa limpidité, la simplicité de son opposition et la puissance de sa conclusion, qu’on en oublie les détails.
Le combat de David contre Goliath n’est pas un duel comme un autre. Il est le résultat d’un défi lancé par les Philistins à l’armée d’Israël : l’issue du combat contre Goliath doit décider de la fin de la guerre. Or Goliath est un géant de presque trois mètres, lourdement armé, et personne ne répond à son appel lancé matin et soir, pendant quarante jours, dans la vallée des Térébinthes.
Jusqu’au jour où David, seulement armé de sa fronde et - si l’on y croit - de l’appui de Dieu, le touche d’une pierre en plein front avant de l’achever avec sa propre épée. La victoire est là pour Israël. Et David devient un personnage hors norme, dont la légende dépasse le cadre strictement religieux. Mais Goliath ? Qui s’en soucie ? Est-il vraiment le monstre qu’on a si souvent voulu montrer ?
Tom Gauld, connu pour son dessin minimaliste et son humour incisif, s’est intéressé, lui, à Goliath. Il opère ainsi un double renversement de perspective, qui est presque un changement de paradigme concernant le mythe. Au lieu de centrer son livre sur le personnage de David, comme l’on fait l’immense majorité des artistes avant lui, il s’attache à décrire et à caractériser Goliath. Il lui donne une réelle épaisseur, s’attardant sur son rôle dans l’armée des Philistins, sur la façon dont il est désigné pour le duel, sur sa préparation. Son séjour dans la vallée des Térébinthes permet de développer sa profondeur psychologique, ce qui conduit à l’humaniser et à en faire un personnage attachant, bien loin des clichés.
Second renversement : le résultat du duel étant connu, le dessinateur britannique ne s’y attarde pas. Il fait le choix de développer minutieusement le cheminement, au sens matériel comme spirituel, de Goliath, jusqu’à l’issue fatale. Le combat lui-même et la victoire de David, s’ils sont représentés, n’en deviennent pas moins secondaire. Ce choix est déterminant dans le récit dessiné par Tom Gauld. Il renforce encore le renversement de point de vue déjà évoqué et montre que la qualité narrative ne dépend pas forcément du sujet. En éludant le plus spectaculaire, en insistant sur une somme de petites choses qui, mises bout à bout, sont révélatrices de la personnalité de Goliath et du poids des circonstances, il rappelle que la voie est au moins aussi importante que le but, dans un récit comme en toute chose.
Le dessin souligne tout cela. Certes minimaliste, d’une sobriété poussée à l’extrême, elle-même accentuée par la bichromie, il est attentif aux détails et aux changements les plus difficilement perceptibles. À la densité des hachures composant les roches, les campements militaires et le ciel nocturne s’opposent le vide et le silence de la vallée et de l’attente, prélude et prédiction de la fin expéditive qui attend Goliath.
Édité pour la première fois il y a dix ans, traduit par L’Association, le Goliath de Tom Gauld, l’un de ses très rares récits longs, retrouve une nouvelle vie chez 2024, son principal éditeur en France. L’écrin est soigné, comme le mérite cette relecture novatrice d’un mythe intemporel.
(par Frédéric HOJLO)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Goliath - Par Tom Gauld - Éditions 2024 - édition originale : Drawn & Quarterly, 2012 - 1ère édition française : L’Association, 2013 - traduction de l’anglais par Fanny Soubiran - 18 x 21 cm - 96 pages en bichromie - couverture cartonnée et toilée avec marquage à chaud, reliure cousue avec tranchefile - parution le 4 février 2022 - 17 €.
Consulter le site de l’auteur & lire les premières pages de l’ouvrage.
Lire également sur ActuaBD :
Goliath – Par Tom Gauld – L’Association
Vous êtes tous jaloux de mon Jetpack – par Tom Gauld – Editions 2024
Angoulême 2017 : "Police lunaire" de Tom Gauld & "Tulipe" de Sophie Guerrive, deux albums des éditions 2024 en lice dans la Sélection officielle
Le Département des théories fumeuses - Par Tom Gauld - Éditions 2024