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Bande dessinée alternative 2021 : la sélection de la rédaction d’ActuaBD

Par Frédéric HOJLO le 21 décembre 2021                      Lien  
Comme en 2020, ActuaBD vous propose une sélection - et non un classement - de bandes dessinées issues du champ alternatif. Une "autre bande dessinée" ? Qu'est-ce donc ? Des ouvrages qui s'affranchissent des contraintes de "l'industrie culturelle" qu'est devenue l'édition, des livres dont les auteurs et éditeurs sont soucieux de la fabrication et de la diffusion, des bandes dessinées qui explorent les limites d'un art en constante recomposition. Quitte à surprendre, déstabiliser, échapper aux catégorisations qui aident à vendre, voire à ne plus être considérées par quelques lecteurs comme de la bande dessinée. Mais qu'importe ?

Sans hiérarchisation, de façon totalement subjective - parce qu’il est impossible de tout lire et que chaque lecteur a son vécu, ses préférences, ses idées - mais avec un esprit de curiosité : c’est ainsi que cette sélection a été conçue. Pour la plupart indépendantes et pour beaucoup adhérentes du SEA, le syndicat des éditeurs alternatifs, les maisons d’édition représentées sont modestes par leur taille. Le nombre d’exemplaires imprimés ou de parutions annuelles n’est de toute façon pas un gage de qualité.

Curiosité, et donc exploration : des styles et des genres, des formats et des époques. Sont par conséquent représentés des éditeurs déjà bien installés dans le paysage de la bande dessinée, tels 6 Pieds sous terre, L’Association ou Les Requins Marteaux, et d’autres beaucoup plus jeunes, comme Adverse et Misma. Des auteurs et pas mal d’autrices, du noir et blanc et de la couleur, de l’histoire et des histoires, de l’humour, de la réflexion, de la contemplation... Notre sélection est, forcément, éclectique, et ne s’arrête pas aux livres remplis de cases.

Elle est dédiée à trois figures de la bande dessinée, disparues cette année, et qui ont particulièrement inspiré les éditeurs et auteurs de la bande dessinée alternative : Pierre Guitton, Nikita Mandrika et Henriette Valium.

Le choix de Thomas Bernard

Bande dessinée alternative 2021 : la sélection de la rédaction d'ActuaBD Scène de la vie de Papa Maman Fiston - Par Lucas Méthé - Actes Sud BD

La trilogie de Lucas Méthé, c’est encore Sing Sing, chanteur et compositeur du groupe Arlt, qui en parle le mieux : « C’est une merveilleuse histoire toute dégrafée, carnaval graphique et littéraire où tout s’inverse et se contamine, le grotesque et la grâce, l’humain trop humain et l’animal, l’infiniment grand et l’infiniment petit, le cosmos et le pissenlit. »

- L’Enfant naturel - Par Guillaume Soulatges - Adverse

Parcours initiatique qui, d’une maison délabrée en rase campagne jusqu’aux bancs usés d’une école citadine, nous dépeint l’enfance dans toute sa brutalité, grâce à un dessin pointilliste troublant de réalisme et d’étrangeté.

- Décharge - Par Renaud Thomas - Arbitraire

Nancy au pays des poubelles ou Charlie Brown sur un tas d’ordures ? Les planches de Renaud Thomas s’enchaînent en guirlande comme des épluchures de strips sales sur une vieille corde à linge. Une bande dessinée garantie 100 % non recyclée.

- L’Envol - Par Kuniko Tsurita - Atrabile

(Re)découverte d’une œuvre libre et en perpétuelle réinvention, L’Envol rassemble les histoires sombres et expérimentales d’une mangaka avant-gardiste disparue trop jeune.

- Ostende - Par Dominique Goblet - Frémok

Alain Bashung chantait : « À Ostende / Je tire au stand / Je gagne des otaries / La mer se retire / Cache ses rouleaux / À l’ombre des digues / Elle et moi on s’ennuie. » Avec Dominique Goblet en guise de thalassothérapeute, la reine des cités balnéaires de la côte belge devient la scène d’un théâtre abstrait et mélancolique où le désir et ses ressacs tiennent le premier rôle. Un récit d’une beauté picturale à se foutre à l’eau.

- Maxiplotte - Par Julie Doucet - L’Association

Julie Doucet est LA référence internationale du fanzinat et de la bande dessinée alternative - au point que certains rêvent de lui attribuer le Grand Prix d’Angoulême. Parmi les pionnières dans un monde encore très masculin à l’époque, elle s’est auto-édité et a été publiée par Drawn & Quarterly et L’Association entre 1997 et 1999. Elle a depuis pris de la distance avec la bande dessinée. Les raisons ne manquent donc pas pour s’attaquer à cette anthologie construite par Jean-Christophe Menu, en coopération avec l’autrice.

- L’Origine du monstre - Par Émilie Gleason - Les Requins Marteaux

Outrancier et féministe, un « BD Cul » à l’humour ravageur d’un très beau cru, avec une héroïne qui a encore moins froid aux yeux qu’aux fesses. Indisbandable !

- La Vie souterraine - Par Camille Lavaud Benito - Les Requins Marteaux

Premier volume d’une série aussi noire qu’un uniforme de SS, affichiste, peintre et réalisatrice, Camille Lavaud Benito, sur une période qui la fascine : la Seconde Guerre mondiale. Maquisards, nazis, collabos, magots et trahisons... Voilà les ingrédients de ce polar graphique prenant comme point de départ le célèbre braquage du train en gare de Neuvic par la Résistance. Brute, archi-documentée et librement fabulée, La Vie Souterraine est une belle réussite, vivement la suite !

- Plaza - Par Yūichi Yokoyama - Matière

Carnaval hypnotique et vrombissant, Plaza, dixième ouvrage du génial mangaka Yūichi Yokoyama publié aux Éditions Matière, confirme (encore une fois) que son auteur est l’unique chef-d’orchestre d’une symphonie graphique radicale et ô combien enthousiasmante.

- Un Beau Voyage - Par Delphine Panique - Misma

Une croisière minimaliste, intelligente et drôle de la première à la dernière case. Delphine Panique au sommet de son art. Ni plus, ni moins.

- Volt Évier Z82 - Par EMG - Tanibis

Rigidité géométrique et aplats de couleurs franches au service d’une narration élastique et folle : pas de doute, vous êtes bien dans l’univers schizophrène et synthétique de l’étrange EMG, orfèvre du psychédélisme vectoriel.

Le choix de Pierre Garrigues

- La Fin de juillet - Par Maria Rostocka - Flblb

En juillet, le temps s’écoule lentement, poisseux. Alek tourne en rond, sur son vélo, dans le terrain vague qui borde la maison de sa grand-mère. Un ouvrage mélancolique, qui interroge cette fin de l’été où plus rien, les problèmes familiaux pas plus que les jeux d’enfants, ne semble avoir d’importance…

- Oskar Ed, Mon plus grand rêve - Par Branko Jelinek - Presque Lune

L’étrange trajet du jeune Oksar, pris au piège à l’arrière de la petite voiture familiale, vers un endroit dont il ne sait rien. Un album tout en noir et blanc qui parle des traumatismes de l’enfance et introduit pour la première fois en France le travail de Brank Jelinek.

Le choix de Tristan Martine

- L’Effet-mère et les non-enfants - Par Hélène Defromont - Éditions de l’Œuf

Si les Éditions de l’Œuf sont tout particulièrement attentives aux enjeux sociaux et écologiques de la production de leurs albums, les sujets humains sont également au cœur de leurs intrigues, comme c’est le cas avec le touchant récit d’Hélène Defromont. Son album onirique, au dessin très stylisé, fait d’aplats d’encre comme de grandes plages de crayons de couleurs, parle de sa difficulté à devenir mère. Au-delà du récit intime, d’une grande pudeur et d’une grande franchise simultanées, le trait évanescent de l’artiste nous plonge dans une thématique universelle à l’aide d’une série polyphonique de portraits. Graphiquement, narrativement, thématiquement, cet album multiplie les audaces pour offrir un objet extrêmement sensible.

- L’Évasion, Lyon 1943 - Par Mathieu Rebière - Jarjille

Mathieu Rebière, enseignant en histoire-géographie, autodidacte en bande dessinée, propose un récit plein de maîtrise sur André Devigny, résistant qui fut dénoncé, emprisonné et torturé à la prison de Montluc, d’où il réussit à s’échapper en avril 1943. Son dessin nerveux fonctionne à merveille pour rendre haletant le récit de l’emprisonnement de ce résistant, à l’aide d’une très riche documentation historique, pour partie directement intégrée dans l’histoire. Une œuvre non seulement utile et intelligente, mais aussi extrêmement agréable à lire et qui laisse paraître tout le talent prometteur de son auteur.

Le choix de Frédéric Hojlo

- Moon River - Par Fabcaro - 6 Pieds sous terre

Qui a dit que l’alternatif ne pouvait pas être drôle ni « populaire » ? Fabcaro démontre le contraire depuis des années, en restant fidèle à 6 Pieds sous terre, maison qui a édité Zaï zaï zaï zaï, son succès aux multiples adaptations théâtrales, radiophoniques et cinématographiques. Dans Moon River, il détourne le genre du film noir du cinéma américain des années 1940 et 1950. C’est imparable : légèrement dépressif, forcément comique, toujours surprenant et plein d’autodérision.

- La Vie secrète du Concombre masqué - Par Mandryka - Alain Beaulet éditeur

Ultime livre du cofondateur de L’Écho des savanes, paru quelques semaines à peine avant sa disparition, La Vie secrète du Concombre masqué est la quintessence de l’œuvre de Mandryka. Son humour, ses inventions langagières, son regard mi-amusé mi-désespéré sur l’évolution du monde, son dessin vif : tout y est. Aucun média n’a vraiment parlé de ce livre, et c’est honteux.

- Éveils - Par Juliette Mancini - Atrabile

Une entreprise non de démolition, mais de déconstruction : c’est à cela que s’apparente la bande dessinée de Juliette Mancini, auparavant remarquée pour De la chevalerie, déjà édité par Atrabile, et par sa codirection - avec Elsa Abderhamani - du fanzine Bien, Monsieur. Déconstruction personnelle voire intime, mais finalement politique et sociale. Questionnant les rapports de domination, particulièrement entre hommes et femmes, elle offre un regard qui, s’il est sans concession, n’est pas sans nuances.

- Mauk - Par Louise Aleksiejew - Atrabile

Les Éditions Atrabile ont leurs auteurs favoris, avec qui elles travaillent depuis leur création, tels Frederik Peeters ou Alex Baladi. Mais elles n’ont jamais renoncé à leur vocation de défrichage, comme le montre la révélation Mauk. La jeune autrice Louise Aleksiejew ose, dans cette bande dessinée au trait souple et net, aux couleurs douces et fraîches, aborder des sujets difficiles, comme la solitude, par le biais de l’humour et du fantastique. Une dessinatrice à suivre.

- La Grâce - Par Emmi Valve - Éditions çà et là

Emporter le lecteur et le surprendre avec une bande dessinée autobiographique, genre qui a fait florès depuis les années 1990, est devenu une gageure. La dessinatrice finlandaise y parvient pourtant, grâce à un récit bouleversant, profondément sincère, parfois dur, qui ne sacrifie pas pour autant la réflexion, notamment sur le rôle que l’art peut jouer dans un processus de soin. Son dessin et ses couleurs, empreints tout à la fois de gravité et de grâce, n’y sont pas pour rien.

- Écoute, jolie Márcia - Par Marcello Quintanilha - Éditions çà et là

Le dessinateur brésilien Marcello Quintanilha est l’une des valeurs sûres du catalogue des Éditions çà et là, spécialisées dans la traduction de romans graphiques étrangers. Capable de s’attaquer à différents genres et d’adapter son graphisme au ton et à l’ambiance de son récit, il brosse cette fois un magnifique portrait de « femme puissante », qui est aussi un tableau saisissant de la société brésilienne contemporaine, souligné par des couleurs vives presque expressionnistes.

- Le Sens de la vie et ses frères - Par Éric Veillé - Cornélius

Seconde édition d’un ouvrage trop méconnu, Le Sens de la vie et ses frères est un petit livre qu’il faudrait avoir toujours sur soi. Parce qu’en une ou deux pages, il permet de prendre le recul indispensable pour supporter la vie que l’on nous inflige ici-bas. Loin d’être un piteux manuel de développement personnel en bande dessinée, le livre d’Éric Veillé est un missel absurde, drôle et déconcertant. À relire tous les ans.

- Jérôme d’Al­pha­graph - Par Nylso - Flblb

Une histoire de livres et de lectures, d’écrivains et d’écritures, d’envies et de choix. Une histoire dessinée pendant des années par Nylso et rassemblée par Flblb : l’occasion rêvée pour la découvrir ou la relire, en s’immergeant dans le dessin unique, si minutieux, d’un auteur discret mais dont le travail a marqué l’histoire du fanzinat en France.

- Brynhildr - Par Frédéric Coché - Frémok

Adapter L’Anneau de Nibelung de Richard Wagner en bande dessinée, est-ce possible ? Frédéric Coché ne perd pas de temps à se poser ce genre de question. Il se réapproprie le mythe pour le dynamiter et en tirer une substance au goût étrange, déstabilisant, fascinant. En soixante-douze eaux-fortes, il réinvente une histoire intemporelle. Il impressionne, surtout, par sa technique et son inspiration.

- Horst - Par Xavier Mussat - La 5e Couche

Il s’agit peut-être du livre qui révèle le plus son auteur, qui a pourtant donné dans l’autobiographie par le passé. Horst, composé de grands dessins aux limites de l’abstraction et de la figuration, est au plus proche de ses recherches et de ses préoccupations artistiques et esthétiques, qu’elles soient graphiques ou musicales. Mise en cause du sens par le chamboulement de la forme, exploration des textures, déstabilisation par le mouvement : Xavier Mussat titille notre intellect via nos sensations, et c’est un défi en soi.

- Röhner - Par Max Baitinger - L’employé du Moi

Ne pas se fier aux apparences. Le dessin froid, très géométrique, parfois minimaliste de l’auteur allemand cache un récit très humain et pas mal d’humour. Les névroses de son personnage, obsédé par ses rituels quotidiens, déterminent certes le graphisme choisi par Max Baitinger. Mais tout cela ne demande qu’à exploser...

- Fungirl - Par Elizabeth Pich - Les Requins Marteaux

Fantasque et fantaisiste, libre au point d’être parfois égoïste, Fun Girl a décidé d’éviter les soucis et contrariétés. Pas toujours évident quand on vit en colocation avec son ex-petite amie et son copain, et que l’on travaille dans une entreprise de pompes funèbres. Quelque part entre Simon Hanselmann et Anna Haifisch, Elizabeth Pitch mêle humour trash et problématiques contemporaines dans un portrait plus sensible qu’il n’y paraît de prime abord.

- Les Déchets - Par Michelangelo Setola - Misma

L’enfer environnemental ne paraît plus improbable et les films de science-fiction catastrophistes ne nous ont jamais paru aussi proches. Ce qui rend la bande dessinée de l’Italien Michelangelo Setola d’autant plus effrayante. L’immersion à laquelle il soumet son lecteur - le très grand format du livre rend le terme très concret - provoque un malaise rare. La traversée d’un complexe industriel ultra-polluant, dont les employés sont tous malades ou déformés, n’a rien d’un voyage d’agrément. Mais il faut le vivre.

- Énergies noires - Par Jesse Jacobs - Tanibis

Les deux récits composant Énergies noires questionnent la monstruosité et l’inhumanité. Il faut savoir, semble suggérer le dessinateur canadien, regarder au-delà des apparences, surmonter ses peurs, affronter ce qui paraît étranger. Pour mieux se comprendre soi-même ? Peut-être. Jesse Jacobs a le bon goût de ne pas trop guider le lecteur, qui a tout loisir pour interpréter ses fables fantastiques... Et admirer le trait précis, traçant d’étranges formes que l’on croirait venues à nous depuis une dimension parallèle.

- Revanche - Par Baladi - The Hoochie Coochie

Avec cet ouvrage envoûtant par son atmosphère et riche de ses métaphores subtiles, Baladi réussit son incursion dans l’un des genres les plus visités. Revanche est aussi le second volet de sa « trilogie de l’enfermement ». Jouant avec finesse entre déconstruction et hommage sincère, Revanche offre une réflexion originale sur le courage et la valeur de la vérité dans un monde imparfait.

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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