Emma est écrivain. Jeune femme trentenaire en pleine crise sentimentale, elle s’est isolée dans une pension en plein coeur de la Meuse pour écrire, et se laisse peu à peu hanter par son personnage, Noa Winter. Celle-ci, une jeune peintre ébranlée par les relations tissées avec ses proches, devient le reflet des pensées de son auteur, de ses fantasmes, un double mystérieux qui se révèle aussi tangible que l’environnement un peu terne de la maison et de ses bois mouillés. Dans son journal, Emma décrit ses doutes, ses pensées sur le livre en train de naître, et tout le petit monde de la pension dont elle s’inspire pour donner vie et relief à ses personnages. Progressivement, réalité et imaginaire finissent par se confondre et révéler leur douloureux secret…
Daphné Collignon est une artiste, et son récit nous le prouve si nous en doutions : éminent personnel, très travaillé, fouillé, mais nébuleux, voire parfois hermétique. Elle cache volontairement des pistes au lecteur pour provoquer une réflexion (salutaire) sur les processus créatifs et les relations qui en découlent : perte d’identité de l’auteur au profit de la vie de son œuvre, vampirisation de ses proches pour nourrir son imaginaire, mais surtout auto-psychanalyse pour exorciser des secrets devenus trop lourds à porter. Les messages passent et s’entrelacent, souvent porteurs de sens, mais difficiles à identifier. Alors le dessin vient sauver la narration : du noir et blanc à la couleur en passant par l’ébauche, de l’esquisse au passages oniriques, des caractères typographiques à l’écriture ronde de l’auteur, le lecteur se raccroche à toutes les branches possibles pour tenter de suivre Daphné Collignon dans son récit tourmenté.
Comme le poisson fossile, mais contemporain, qui donne titre à ce diptyque, on tourne autour de l’œuvre sans vraiment savoir comment l’appréhender, quelle est sa vraie nature. Pour saisir, ne fut-ce que partiellement, le message de l’auteur, la lecture du résumé servira de préambule obligatoire avant l’immersion dans le monde mi-réel, mi-imaginaire de Noa-Emma. En effet, les ressemblances, forcées, entre les différents personnages, le jeu étourdissant des prénoms, les changements de style graphique et le manque de cadre temporel ébranlera le lecteur classique, avide d’une linéarité, si pas reposante, du moins rassurante. Pourtant, Daphné Collignon s’inscrit dans la nouvelle vague des auteurs à suivre : son récit titille, dérange et interroge. A peine, le second tome terminé, on s’empresse de les relire pour analyser patiemment chaque case, pour décoder chaque message. On perçoit alors derrière chaque silence, un message tonitruant, derrière chaque ombre, une réalité éclatante pour ses personnages, qui délivrent réellement des moments de vie.
Ce récit ambitieux trouvera écho chez tous les artistes, ainsi que ceux qui souhaitent comprendre comme ils réagissent. Néanmoins, son caractère hermétique ne permettra pas au grand public de profiter de ses enseignements. On espère, pour un prochain opus, découvrir la même richesse esthétique, mais canalisé par une maîtrise plus prononcé des codes du 9° art.
Même quand on veut révolutionner, on ne peut pas tout exploser !
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Commander la première partie du diptyque, Noa, sur Internet
Commander la seconde partie du diptyque, Emma, sur Internet
Les illustrations sont © Daphné Collignon – Vents d’Ouest
Participez à la discussion