L’action se situe en Corée du Sud, au tournant des années 2000, à un moment où le pays se trouve frappé, économiquement, par les conséquences d’une crise financière. L’obtention et la conservation d’un emploi deviennent des enjeux majeurs tandis que le droit du travail, relativement faible et méconnu des salariés, laisse les patrons abuser de leur pouvoir.
C’est contre cet état de fait que lutte Gu Go-shin, militant syndical aux méthodes aussi frappantes qu’efficaces. Organisateur d’actions coup-de-poing et de manifestations diverses, il croise la route de Lee Soo-in, un jeune cadre employé chez un géant français de la grande distribution décidé à s’implanter en Corée. Révolté par les directives de ses manageurs, il refuse de harceler ses employés pour dégraisser les effectifs et vient chercher de l’aide auprès des syndicats.
Les qualités d’Intraitable apparaissent rapidement aussi diverses que nombreuses. On se laisse d’abord rapidement embarquer par les itinéraires parallèles puis croisés des deux personnages principaux. Les coups d’éclat de Gu s’avèrent aussi enthousiasmants que révoltante l’injustice à laquelle Lee se trouve confronté, à l’armée d’abord, dans son magasin ensuite.
La dimension sociale, aussi, participe de ce succès. La lutte se trouve magnifiquement mise en scène et la peinture de celle-ci au sein de la société coréenne trouve des échos intéressants avec notre propre perspective française des luttes sociales. Le courage des uns et les petites lâchetés des autres, ou encore la mesquinerie des patrons ainsi que la violence des rapports de force au sein de l’entreprise, tout cela brosse un paysage convaincant et animé de ce milieu.
Le sujet même fait la part belle à l’action ce qui produit un récit dynamique et enlevé dont on a hâte de découvrir la suite. Son aspect documentaire et réaliste saura bien évidemment nous séduire. Mais les deux combinés ne donnent jamais dans l’exposé didactique aride : la justesse du propos se trouve sans cesse nourrie par un souffle narratif puissant. Et l’on notera l’ironie d’un passage où Gu explique la manière dont les droits sont défendus en France mais bafoués par un patron français en Corée.
Enfin, après un année marquée, en France, au-delà de la crise du Covid-19, par un des luttes sociales multiples, longues et importantes (réforme des retraites, moyens dans l’hôpital, statut des auteurs, etc.), un tel récit comporte quelque chose de rafraîchissant et de salutaire. Il y a des luttes, âpres, qui payent. Et qui payent certainement parce qu’elles se veulent, dans les valeurs qu’elles défendent, et d’emblée, proprement "intraitables".
Cela fait du bien de lire cela et l’on se languit déjà de pouvoir découvrir le tome 3 en septembre prochain. Rue de l’Échiquier publie ainsi l’un des productions asiatiques majeures de l’année.
(par Aurélien Pigeat)
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"Intraitable" T1 & T2. Par Choi Kyu-sok. Traduction Kette Amoruso. Rue de l’Échiquier. Sortie les 3 octobre 2019 (tome 1) et 5 mars 2020 (tome 2). Tome 3 à paraître.