Bon élève, enfant appliqué et obéissant, Ernest n’est jamais arrivé en retard à l’école, jamais rentré tard chez lui et n’a jamais été plus loin que le bout de la rue. De toute façon, Précieuse, sa grand-mère, ne sort jamais, lisant en boucle depuis 40 ans les lettres de son défunt mari, mort pendant la guerre, tandis que Germaine, la gouvernante, pourvoit aux nécessités du logis. Des parents d’Ernest il n’est jamais question et c’est à peine si l’on peut dire s’ils sont vivants ou morts.
Mais voilà qu’arrive une nouvelle élève, Victoire, qui jette son dévolu sur Ernest et décide d’en bouleverser l’existence. Une force de caractère qui a bientôt raison des faibles résistances du garçon. D’autant que la vie de la jeune fille se situe aux antipodes de celle de notre héros : avec 13 frères, dont un bébé dont chaque membre de la fratrie reçoit la charge à tour de rôle, la promesse d’animation est bien tenue.
Adaptation d’un roman jeunesse de Susie Morgenstern, autrice renommée, sorti en 1996 et déjà multi-primé, Lettres d’amour de 0 à 10 se montre à la hauteur grâce à un formidable travail narratif et graphique de Thomas Baas, illustrateur qui fait une entrée réussie du côté de la BD.
Son trait, qui rappelle inévitablement Sempé dans cet album, nous inscrit dans un imaginaire de l’enfance tendre et dont la soif de vie et l’énergie profonde ne demandent qu’à déborder. Le rythme, maîtrisé, alternent saynètes avec les différents protagonistes et progression de divers fils rouges discrets qui permettent de conjuguer émois affectifs et quête d’un moi jusqu’ici écrit en pointillés, à peine lisible, à déchiffrer autant au sens figuré qu’au sens littéral. Car celle qui s’invite dans la vie d’Ernest répond en creux à celui qui s’en est retiré dans un jeu subtil d’écho qui confère profondeur et justesse à cette histoire en apparence toute simple.
Voilà qui pose Lettres d’amour de 0 à 10 comme l’un des albums jeunesse de l’année. Une évidence, tant les personnages y sont attachants et le propos émouvant sans une once de mièvrerie. Un album qui plaira, par ses aspects divers : romance, enquête, famille..., aussi bien aux garçons qu’aux filles, aussi bien aux jeunes lecteurs qu’à ceux qui approchent du collège.
(par Aurélien Pigeat)
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Lettres d’amour de 0 à 10. Thomas Baas (scénario, dessins et couleurs), d’après le roman de Susie Morgenstern. Rue de Sèvres. Sortie le 23 octobre 2019. 86 pages. 14 euros.