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"2001 Night Stories" : l’autre grand de la SF

Par Jaime Bonkowski de Passos le 21 octobre 2023                      Lien  
"Akira", "Ghost In The Shell", "Gunnm". Ces trois chefs d'œuvres de la science-fiction nippone ont, dans les années 1980 et 1990, participé à définir les bornes du genre aux côtés des titans hollywoodiens "Star Wars", "Terminator", "Alien" etc. Mais dans l'ombre du podium, une quatrième saga a vu le jour et si elle n'a jamais atteint les sommets de reconnaissance de ses pairs, elle n'en reste pas moins un des piliers de la SF japonaise : "2001 Night Stories" de Yukinobu Hoshino. Glénat remet à l'honneur ce classique méconnu dans une édition qui ne fait pas les choses à moitié.

L’Humanité s’est lassée d’observer les étoiles, il est temps de les rejoindre. Des balbutiements de Soyouz aux premiers vols inter-planétaires, notre espèce repousse les frontières du connu génération après génération.

Mais chaque nouvelle découverte apporte son lot de mystères, et l’espace regorge de dangers insondables, des tempêtes solaires aux pluies de météores. Et dans l’espace, rien ni personne ne nous entend prier...

"2001 Night Stories" : l'autre grand de la SF
2001 NIGHTS STORIES GENKEI BAN © Yukinobu HOSHINO, 2006 / Kobunsha

Dans ce territoire aride et désolé...

Le projet de Yukinobu Hoshino est fou : offrir à 2001 -L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick une suite en manga. Entre 1984 et 1986, 16 ans après la sortie en salle de ce monolithe de la SF lui même adapté du livre d’Arthur C. Clarke, l’auteur s’est employé à imaginer dix-neuf histoires aux proportions aussi démesurées que celle du film qui poursuivent et approfondissent ses concepts les plus essentiels.

Pour expliquer le propos de 2001 - L’Odyssée de l’Espace, on parle souvent d’une "métaphysique de l’espace". Une exploration du sens que revêt l’Univers aux yeux de notre si petite humanité, pour produire un discours quasi-philosophique qui nous amène à nous interroger sur notre place dans le cosmos (au sens littéral et figuré).

Enjeux galactiques, amours intersidéraux, tout dans 2001 Night Stories prend des proportions cosmiques et mythologiques. L’ensemble baigne dans cette esthétique si typique de la science-fiction des années 1980, une SF kitsch space-opera qui aime le chrome, les combinaisons d’astronautes aux casques-bulle et les vaisseaux géométriques aux formes abstraites.

Dix-neuf histoires courtes nous racontent dans un ordre vaguement chronologique les progrès de l’humanité dans l’exploration spatiale depuis les temps préhistoriques et les premières extases de nos ancêtres, jusqu’aux révolutions technologiques prodigieuses des civilisations à venir.

L’auteur nous fait ainsi voyager aux confins du système solaire, côtoyer d’antiques mondes éteints, et assister à des événements qui transcendent le temps et l’espace.

2001 NIGHTS STORIES GENKEI BAN © Yukinobu HOSHINO, 2006 / Kobunsha

La distance rend toute chose infiniment plus précieuse

Rééditer une œuvre comme celle-ci en France en 2023 n’est pas une mince affaire. Entre la saturation du marché et l’impact des réseaux sociaux qui appellent à toujours plus vif, toujours plus speed, toujours plus riche en dopamine, ramener le lecteur à la contemplation d’une SF tellement Eighties’ est un pari.

Glénat s’en départit en faisant le choix du luxe et du grandiose, pour faire écho à la magnificence du contenu. Ce sont donc deux volumes très grande taille qui nous sont offerts pour la coquette somme de 32€ l’unité. Le produit cible une catégorie précise de lecteurs, et renonce en toute conscience au gros de la masse des consommateurs.

On ne peut que remercier Glénat d’avoir fait ce choix, car une édition plus modeste (donc moins chère) aurait certes été plus grand-public, mais nous aurions loupé une partie de ce qui fait la beauté de cette série. Il nous fallait la découvrir (ou redécouvrir) dans un tel format pour apprécier pleinement la puissance et l’impact du travail graphique de l’auteur.

L’écrin s’habille donc d’une couverture rigide, d’une jaquette amovible et de plusieurs pages couleurs (dont les teintes et effets rappellent évidemment les travaux de Moebius et de Druillet, autres incontournables de la science-fiction qui ont eu leur part d’influence sur l’imaginaire d’Hoshino).

Le trait de l’auteur est clair, ultra-détaillé pour les visages et les corps des personnages (dans le plus pur style manga de l’époque, bien plus réaliste qu’aujourd’hui). Il choisit en revanche la sobriété voire le minimalisme pour les arrières-plans et les décors, rendant ainsi à la notion de « Vide sidéral » tout son sens.

Le plus remarquable dans son dessin reste la capacité d’Hoshino à jouer avec les rapports d’échelle et les zooms-dézooms, pour signifier au lecteur l’immensité de ce qui se passe. Il emploie par ailleurs un découpage des cases très singulier qui rappelle les expérimentations visuelles de l’époque (Métal Hurlant...) (cases rondes ou triangulaires, dessin débordant de la planche...).

2001 NIGHTS STORIES GENKEI BAN © Yukinobu HOSHINO, 2006 / Kobunsha

Et si les dix-neuf histoires ne semblent pas liées par un fil conducteur précis, elles participent toutes à la construction d’une ambiance et à la mise en place d’une esthétique qui conquiert le lecteur petit à petit, subtilement mais sûrement.

L’appréciation de 2001 Night Stories prend son temps et elle se fait au prix d’une lecture attentive, concentrée, investie. Elle offre en retour une immersion et des émotions extraordinaire, propres aux très grands chefs-d’œuvres.

Dans le paysage du manga moderne, il est difficile de trouver la place d’un titre comme 2001 Night Stories. Difficile mais pas impossible : le manga dit "patrimonial" se taille au gré des rééditions une place croissante en librairie.

De Delcourt-Tonkam, à Naban ou Cornélius, en passant bien sûr par Glénat (qui remet à l’honneur ce mois Crying Freeman dans une perfect réédition, il était temps !), de plus en plus d’éditeurs s’attachent à explorer le fond historique et patrimonial de la bande dessinée japonaise, remettant en lumière de vrais morceaux d’histoire injustement oubliés, comme ici.

2001 Night Stories avait fait l’objet d’une première édition en 2012 chez Glénat, en coffret limité à 2001 exemplaires. Difficile donc de le trouver à la grande surface culturelle du coin, l’objet ayant même fini par faire l’objet de spéculations indécentes sur les sites de vente de seconde main, rendant son contenu inaccessible au plus grand nombre.

Au final, l’œuvre de Yukinobu Hoshino trônera surtout dans les bibliothèques des passionnés de science-fiction et des geeks "à l’ancienne". Mais elle a largement ce qu’il faut pour convaincre un public moins niche et désireux de découvrir les classiques d’antan. On souhaite de tout cœur que cette partie du public succombera à sa curiosité, et embarquera pour ce voyage dont on ne revient jamais vraiment...

2001 NIGHTS STORIES GENKEI BAN © Yukinobu HOSHINO, 2006 / Kobunsha

(par Jaime Bonkowski de Passos)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344057001

"2001 Night Stories T. 01 & T. 02" - Par Yukinobu Hoshino - Éd. Glénat - 32€ - 04/10/2023 - 354 pages.

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