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MFK2 T. 2 : Dark Vegas Baby !

Par Jaime Bonkowski de Passos le 9 novembre 2023                      Lien  
BOOM, la bombe atomique BD de 2023 a explosé en librairie ! Célébrons le retour de Run dans la suite de "MFK2", spin-off de Mutafukaz dont le premier (sorti il a quasi deux ans) nous avait déjà complètement bluffé. Vinz et Lino reviennent pleine balle dans un bouquin qui hisse son auteur à des sommets inédits, en plus de nous offrir un pur moment d'adrénaline comme seul le Label 619 peut nous en concocter... Buckle up !

Dans l’épisode précédent...

Vinz et Lino, les héros malgré eux de Dark Meat City qui ont sauvé la ville d’une apocalypse nucléaire et d’une invasion alien sont à nouveau entrainés dans une spirale de mystère liée aux Machos, ces fameux visiteurs qui n’en ont visiblement toujours pas fini avec leurs plans de domination mondiale.

Contraints de fuir DMC avec une ribambelle de tueurs sur les talons, nous les avions laissé dans des déboires avec une secte dont leur vieux copain Willy la chauve-souris est le gourou. Le tout s’est résolu dans un bain de sang (comme d’hab avec les deux loustics), et les voilà désormais sur la route avec en tout et pour tout un camping-car à peu près fonctionnel et une montagne de pognon récupéré à la secte. Aux USA c’est plus qu’il n’en faut pour s’en sortir !

Direction donc Dark Vegas pour le trio qui cherche désespérément à reprendre son souffle (et pourquoi pas kiffer un peu ?) dans le chaos qu’est redevenu leur vie. Mais bien sûr, balancer ces trois aimants à emmerdes au cœur de la Ville du Vice, ça ne peut que mal tourner...

MFK2 T. 2 : Dark Vegas Baby !

Qu’est-ce qui se putain de passe ??

En 2022, MFK2 T. 1 s’était imposé comme une des toutes meilleures BD de l’année. L’auteur y modernisait Mutafukaz sans pour autant trahir ses qualités intrinsèques, et nous embarquait pour un nouveau tour bienvenu aux côtés de ses personnages tellement appréciés. La lecture de cet opus ne nous laissait qu’un seul gout amer : la certitude d’avoir beaucoup trop à attendre avant de dévorer la suite.

Comme prévu, l’attente fut longue. Presque deux ans avant que Run ne consente à nous faire lire son dernier-né. Sur ses réseaux sociaux, l’auteur évoque post-publication ses doutes et son sentiment d’avoir vécu pendant cette période une vraie crise artistique. En plus des contraintes éditoriales ubuesques qu’il s’impose pour nous offrir un objet fabuleux dans la forme (on y reviendra), on comprend via ces commentaires que le titre est né dans la douleur, ou au moins dans le doute.

Il aborde par ailleurs ces sujets dans le troisième chapitre du Mutafucast Volume 2, superbe série de podcast enregistrée avec Frist Print qui vaut la peine d’être écoutée (cinq épisodes d’une heure environ, c’est long mais c’est bien donc prenez le temps, vraiment).

On n’en distingue pourtant aucune trace une fois l’objet en main. Au contraire, on ne peut que constater et saluer le perfectionnisme qui confine à la folie furieuse déployé par l’auteur. Pour la forme d’abord : la couverture est sublime et dotée d’effets de fabrication premium magnifiques. Aucun doute, même les novices de l’œuvre se seront fait alpaguer la rétine dans les rayons de leur librairie. La couverture exclusive de la version Fnac est d’ailleurs moins travaillée et élégante à notre goût, comme quoi, exclusif ne veut forcément pas dire meilleur.

À l’intérieur, en plus de la qualité de l’impression et des couleurs, des superbes pages de fausses-pubs interlude et des doubles-pages qui hypnotisent, l’auteur s’est adonné à un jeu de changement de papier au fil de chapitres. Il alterne un papier couché classique (l’effet glacé lisse) avec différents papiers offsets (l’effet papier "rugueux" comme dans les vieux comics). On avait déjà vu cet effet dans le second tome de Mutafukaz, et c’était déjà trop cool.

Le rendu est superbe. Il produit un effet "méta" assez génial (car ces changements font échos aux variations de rythme et de style de l’histoire), et il donnera des sueurs froides aux éditeurs qui tenteront d’en estimer le coût. À moins de 20 € le bouquin, on se demande si Rue de Sèvres ne vend pas à pertes...

Déjà beau à l’extérieur, mais alors à l’intérieur...

Un tel écrin serait gâché sans un contenu à la hauteur et là encore sans surprise, Run ne déçoit pas d’un pouce. Dans cet opus, il repousse les limites de sa satire sociale (pourtant déjà bien aboutie dans les volumes précédents) en dépeignant un Las Vegas au vitiriol. La ville du Vice est déjà un affreux symbole de décadence dans notre bon vieux monde réel, ici c’est pareil mais puissance 10.

D’Ocean Eleven au récent Army of the Dead (le dernier film de zombies de Zack Snyder qui mêle apocalypse et cambriolage, indéniablement une inspiration majeure pour cet opus), on sent que Run a voulu rendre hommage à l’aura "Babylone Moderne" qui caractérise la ville dans la pop-culture. Mais c’est bien sûr aussi un délicieux prétexte pour tirer à balles réelles sur les pires travers de notre société, au travers de courtes saynètes acérées ou de détails plus menus qu’on ne voit à l’arrière-plan qu’à la troisième ou quatrième relecture.

Il accorde notamment dans ce tome une place de premier-plan (littéralement) aux réseaux sociaux, sous la forme de méta-commentaires Twitter qui apparaissent lors des transitions entre chapitres par dessus les cases.

Complotisme, aigreur et bêtise pure se confondent sur des captures d’écrans plus vraies que nature, preuve (s’il en fallait) de la pertinence du regard que porte l’auteur aussi bien sur ces réseaux que sur leur omniprésence dans notre actualité.

Comme beaucoup d’autres, Run a parfaitement saisi le rôle que jouent les réseaux sociaux dans les événements majeurs de l’Histoire moderne. Mais contrairement à beaucoup d’autres commentateurs, il en propose une critique sans devenir moralisateur et en allant beaucoup plus loin que répéter cyniquement "On ViT dANs uNE sOCiétÉ".

On retrouve les marottes narratives et graphiques de l’auteur : sa fascination pour les mastards protéinés (Dick, forever in our heart), ses inimitables onomatopées (on aime beaucoup ses PAK PAK pour les coups de feu), le soin des détails et la précision dans la reproduction des environnements pour coller au réel.

En la matière, Run a toujours été dans une autre dimension que ses pairs. Son trait n’est pas photoréaliste, détaillé à outrance et surchargé d’informations. Mais tout ce qu’il dessine paraît authentique car il sait à chaque fois reproduire LE bon détail (un stickers, une fissure, un boulon, une éraflure...) qui viendra épaissir son dessin et donner l’impression qu’il a un jour réellement vu ce mur, ce pistolet, ce pantalon, cette voiture qu’il dessine.

Il construit ainsi un équilibre subtil entre imitation bluffante du réel et pure vue de son esprit, pour façonner depuis le premier tome de Mutafukaz un univers parfaitement fictif mais terriblement crédible. Et malgré les aliens, les luchadors ou les yakuzas en tenues d’écolières, on s’y projette avec une facilité déconcertante. Avec pour objectif final (atteint) de nous proposer un commentaire sensé et précis sur notre réel, tout en nous offrant de vraies tranches de divertissement et de plaisir.

Un peu plus loin dans le lore

Ce tome 2 poursuit donc l’intrigue mise en place dans MFK2 T. 1, qui n’est pas un remake de l’histoire de Mutafukaz mais plutôt une extension des quelques pistes laissées sans conclusions dans la première série. En changeant d’environnement (on quitte pour la presque première-fois en 6 tomes cette bonne vieille Dark Meat City), Run renouvelle ses décors mais aussi les personnages secondaires et les silhouettes qui habillent ses planches.

Il troque les camés et les gangbangers de DMC pour des zombies lobotomisés par les frasques de Vegas (et plus tard des vrais zombies), des influenceuses Instagram botoxées, des combattants de MMA testostéronnés... Autant de nouveaux figurants qui lui permettent d’essayer des styles, des postures, des dialogues rafraichissants. Non pas qu’on soit lassé de Dark Meat City et de sa faune, mais ça fait aussi du bien de découvrir de nouveaux horizons. Et on devine que l’auteur avait besoin de renouveler sa palette et d’ouvrir son univers.

Et ça pour l’ouvrir, il l’ouvre : MFKZ 2 T. 2 lève enfin le voile (un peu) sur le passé de Vinz, l’acolyte à tête de mort d’Angelino. L’intrigue se concentre beaucoup sur son passé via des flashbacks traumatiques et lui offre beaucoup plus de place pour exprimer ses états d’âmes. Cette partie de l’histoire est l’occasion pour l’auteur d’en remettre une couche bien sentie sur le puritanisme et le racisme, et commence enfin, après plus de dix ans, à répondre à cette fameuse question posée à la fin du tout premier tome de Mutafukaz :

À côté de ça, l’histoire commence par une intro un poil longuette (le seul petit reproche au titre, si on veut vraiment être pointilleux), puis s’accélère brusquement et gagne en intensité jusqu’à un final atomique (littéralement), qui rebat sacrément les cartes pour la suite.

Attendez-vous à de l’action survoltée, de l’humour impromptu et diablement efficace, des passages plus sensibles et émotifs, le tout portés par des dessins tout simplement irréprochables : on dévore d’une traite le bouquin en en kiffant chaque millimètre carré (et en essuyant quelques larmes parfois).

Engagé mais pas cynique, moderne mais déjà intemporel, surtout fun et cathartique, le travail de Run a l’amplitude nécessaire pour marquer de manière indélébile l’histoire de la bande dessinée. Et le nouveau tome dans sa vaste tapisserie est un jalon supplémentaire qui hausse encore d’un cran la portée, l’intelligence et la coolitude de tout Mutafukaz. En plus d’être un formidable moment de lecture en soi.

En un mot comme en mille : vous avez la chance de vivre à la même époque qu’un auteur au sommet de son art, et de voir se déployer en temps réel un vrai chef d’œuvre générationnel. Alors ne boudez pas votre plaisir et foncez en librairie, ne serait-ce que pour dire à vos petits-enfants plus tard : "j’y étais".

(par Jaime Bonkowski de Passos)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782810206117

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