S’il y a bien une démonstration de la « gentrification » de la bande dessinée dont parlait Jaime Bonkowski de Passos dans nos pages, c’est bien cette réédition de la série Akim. Vendue à ses débuts 50 anciens francs par numéro, soit 91 centimes d’euro en tenant compte de l’inflation, la série Akim remporta un immense succès jusqu’en 1986. Elle est aujourd’hui vendue à… 19,95€ pour l’équivalent de quatre numéros.
Les déclinistes et les protectionnistes peuvent y aller de leur petit couplet : bien avant les mangas, il y avait cette littérature plébiscitée par les jeunes têtes blondes à coup de centaines de milliers d’exemplaires vendus chaque semaine par Mon Journal, Arts et voyages, Impéria, Artima, la SAGE, LUG, les éditions du rempart, etc. [1].
Cette bande dessinée populaire à bas prix, honnie par les éducateurs (mais aussi par les historiens angoumoisins de la BD si l’on en croit leurs centres d’intérêt) était, elle aussi, d’origine étrangère puisque l’essentiel de ces publications venaient d’Italie depuis l’entre-deux-guerres. On notera que cela n’a pas empêché la BD franco-belge de croître et de prospérer à la même époque… Comme quoi le mythe du "grand remplacement"...
On pointe aussi du doigt la production industrielle des mangakas qui accouchent jusqu’à 80 planches par mois, aidés par quelques assistants. Mais le scénariste Roberto Renzi et le dessinateur Augusto Pedrazza produisaient davantage encore pour leurs fascicules d’Akim : 50 pages tous les 15 jours, ce qui n’empêcha pas Pedrazza de réaliser les premiers numéros d’une autre série mythique qui a marqué la génération kiosque : Zembla.
En fait, la France a simplement perdu la notion de bande dessinée populaire. Outre leurs qualités et l’intelligence de leur marketing, les mangas offrent aujourd’hui une BD à bas prix, la moitié d’un album de BD franco-belge, mais… cinq fois plus cher qu’un fascicule italien au milieu des années 1950 !
Des « tarzanides » à la pelle !
Akim est clairement un clone de Tarzan, le personnage d’Edgar Rice Burroughs créé en 1912. Tout y est : l’enfant noble échoué sur une île déserte qui parle aux animaux de la jungle, la peau de léopard, le physique athlétique et le menton rasé de près. Lord Greystoke devient ici le comte Rank dans des aventures échevelées aux personnages pittoresques : le gorille Kar, la guenon Zig, l’éléphant Baroi, le lion Rag, les tribus d’autochtones et mêmes les animaux préhistoriques, offrant au lecteur un joyeux gloubi-boulga de H.G. Wells, avec ses civilisations perdues, de Kipling, et évidemment toute la panoplie des aventuriers maléfiques et des savants fous que l’on retrouve chez Burroughs, mélangeant séquences dans le passé et quelquefois de science-fiction sans grande volonté de cohérence. On tire le scénario à la ligne et du point de vue du dessin, on voit bien que les auteurs ont les comics de Burne Hogarth et de Russ Manning ouverts sur la table.
Mais il y a une candeur proprement populaire de ce genre de récit que produisait l’Italie dans les années 1960 avec ses péplums de carton-pâte et ses westerns bon marché.
Au niveau de l’écriture même, l’adaptation française un peu guindée, et proprement censurée, contient difficilement la gouaille d’origine. D’où le charme étrange qui se dégage de ces pages jusqu’à aujourd’hui. Au-delà de la curiosité, ces fascicules d’Akim restent de plaisants moments de lecture.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[1] Je vous renvoie à cet excellent article synthétique de Gérard Thomassian sur le sujet
Participez à la discussion