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Alcante & Gihef : « "Complots" maintient l’authenticité des dates et événements-clés, mais on affabule sur ce qui se passe en coulisses. »

Par Charles-Louis Detournay le 15 avril 2014                      Lien  
Les deux scénaristes-concepteurs de la nouvelle série « Complots » reviennent sur la création d’un meilleur nouveau sujet du moment : le détournement de grands événements de l’Histoire pour donner crédit aux hypothèses de complots qui y seraient liées.

Comment avez-vous eu l’idée de créer cette série Complots ?

Alcante & Gihef : « "Complots" maintient l'authenticité des dates et événements-clés, mais on affabule sur ce qui se passe en coulisses. »Alcante : À l’origine, lorsqu’on a annoncé la mort de Ben Laden, Gihef a entendu quelques gars commencer à tenir des discussions de comptoir, déclarant tout de go que « si ça se trouve, Ben Laden n’a jamais existé, c’est une invention de la CIA » etc. Cela lui a donné l’idée de partir sur un concept de série qui serait basé là-dessus : remettre les versions « officielles » en cause, et partir sur des théories du complot. Il m’en a parlé, et j’ai eu l’idée de faire tourner cela autour de quelques événements historiques bien connus, puis de tordre un peu la réalité, ou d’extrapoler sur quelques faits connexes. On a développé l’idée à deux, et nous sommes partis sur cette base. Ça fait un petit temps qu’on se connaît : on s’entend bien, et comme nous habitons non loin l’un de l’autre, c’était une bonne occasion pour commencer une collaboration. De mon côté, j’avais justement envie de me lancer dans des coécritures car l’aspect solitaire du métier de scénariste commençait un peu à me peser… Comme ça s’est bien passé, on a du coup poursuivi sur la lancée, et nous lançons ensemble deux autres projets.

Comment identifiez-vous vos qualités respectives ?

Alcante : Comme Gihef a une grande expérience de dessinateur, il voit mieux que moi l’aspect « visuel » de la BD. Il m’a ainsi parfois fait remarquer que certaines planches issues de mon découpage étaient trop denses pour vraiment permettre au dessinateur de les rendre graphiquement impressionnantes, qu’il valait mieux les scinder. Il me donne aussi parfois des avis ou des commentaires sur le type de plans à utiliser. Il a aussi de bons conseils pour le choix des dessinateurs. Par ailleurs, en tant que scénariste, je trouve qu’il est très bon dialoguiste, donc il m’a aussi boosté à ce niveau là.

Gihef : Pour ma part, je dois avouer apprendre énormément aux côtés d’Alcante. C’est un excellent script-doctor et il m’a amené à envisager la construction et la narration sous un jour plus limpide qu’auparavant. C’est un scénariste très méthodique, alors que j’ai toujours été plutôt instinctif dans mon approche de l’écriture. Il m’a appris à structurer mes histoires en me posant les bonnes questions ou à équilibrer le récit de manière à tenir le lecteur en haleine de façon discontinue. C’était assez nouveau pour moi. C’est confortable : on se sent « protégé » par un parrain bienveillant.

un duo de comploteurs : Gihef & Alcante (de g. à d.)
Photo : DR

Aviez-vous l’envie de parler d’Histoire en vous détournant des livres scolaires ou vouliez-vous surfer sur une vague paranoïaque qui est toujours porteuse ?

Alcante : Un peu les deux. On a forcément choisi chacun de parler d’un événement ou d’une époque qui nous intéresse et sur laquelle nous désirions nous documenter… Mais en même temps, oui, on surfe un peu sur cette vague paranoïaque. Les gens aiment ces histoires de complots, et comme il y a toujours des individus qui lancent des théories fumeuses sur Internet, cela part facilement en vrille. Ça a un petit côté sulfureux…

Comment choisissez-vous les thématiques que vous voulez aborder et pourquoi commencer avec le krach de 1929 ?

Gihef : Je pense que l’écho que peut encore avoir la Grande Dépression dans notre actualité économique a été une motivation importante. Ce n’était pas le premier sujet que je désirais aborder, mais il était dans mon top 3. Au départ, je voulais parler des premiers pas sur la lune en 1969, mais l’idée n’avait pas séduit l’éditeur. C’était un sujet déjà maintes fois abordé, je n’aurais pas apporté grand-chose de surprenant à cette histoire. Nous avons donc opté pour le Krach de 1929. Alcante et moi avons établi une (déjà importante) liste d’éventuels sujets à développer. Il y a un peu de tout et à toutes les époques. On préfère en garder la surprise.

Vous vous êtes centrés sur trois personnages dans ce premier tome : un besoin de s’identifier à quelques individus pour faire passer leurs émotions au lecteur ?

Gihef : Au gré de mes recherches sur le sujet, il était souvent question de l’impact au niveau « humain » et populaire (car il s’agit bien de ça au final). Je trouvais important de rendre cet impact à travers le personnage de Thomas, le majordome qui va investir toutes ses économies avant de les perdre et de voir le peu qu’il a construit au fil des ans s’écrouler en deux jours à peine. Ulrich, le « héros », est quant à lui le rouage central de la machination et établit une connexion entre les grandes instances (bancaires et politiques) et les « petites gens » (il éprouve du remords en voyant la misère qu’il a contribué à engendrer dans les rues de Berlin). Puis il y a le Cercle et ses membres qui assurent la visite guidée dans les coulisses de la haute société new-yorkaise et la bourse de Wall Street.

Il y a également une ambiance de mystère que vous installez : beaucoup de flashbacks, des rendez-vous mystérieux, des assassinats, puis une fin en morale assassine. Cela vient d’un besoin de donner un réel ton à l’album (et aux suivants) ?

Gihef : Je désirais donner à l’album une tonalité de film d’espionnage des années 1930. Aussi, était-il nécessaire, si on ne voulait pas tomber dans le récitatif pénible et rébarbatif. Je souhaitais un récit prenant mais pas ennuyeux, à l’instar d’un Largo Winch qui évolue dans le monde de la finance mais à qui il arrive des aventures trépidantes et rocambolesques. Le mystère est inhérent au thème central de la série. Donc oui, il sera présent dans les albums suivants.

Comment vous répartissez-vous le travail ? En partant d’une idée commune, l’un écrit, puis l’autre le revoit avec un œil neuf ?

Alcante : Oui, il ne s’agit pas d’un travail de coécriture à proprement parler. Chacun écrit le scénario d’un album, puis l’autre le relit attentivement et donne ses commentaires, et chacun finalise alors son découpage en fonction. Disons qu’on joue chacun le rôle de conseiller et de regard extérieur sur le scénario de l’autre. Mais pour chaque album, il n’y a qu’un seul scénariste crédité. La présence de nos deux noms sur les couvertures de chaque album correspond au fait qu’on a développé le concept de la série à deux.

La Fin des Templiers - Par Alcante & Brice Cossu

Comment avez-vous choisi les dessinateurs ? En fonction des époques à transposer ?

Titanic - Par Alcante & Kolle

Alcante : Comme un peu pour toutes les séries « concept », il faut essayer de trouver des dessinateurs qui ont un style pas trop éloigné l’un de l’autre. Ici, on est clairement dans du réaliste détaillé. Ensuite, on tient effectivement compte des points forts des dessinateurs. Par exemple Brice Cossu possède un dessin plein d’énergie et de mouvements qui correspondait bien à l’époque agitée du Moyen-Age pour l’album sur les Templiers. Bernard Kolle est un maniaque du détail, ce qui convient particulièrement pour dessiner le Titanic. Il faut aussi jongler avec les plannings des uns et des autres...

Gihef : Personnellement, j’aime travailler à l’affectif dès que j’en ai l’occasion. Luc Brahy et moi avions déjà évoqué la possibilité de collaborer sur un projet ponctuel. J’ai immédiatement pensé à lui pour Le Krach de 1929 et il a accepté sans réserve. Pour Hamburger Hill, nous avions envisagé plusieurs pistes avant d’évoquer Perger, un ami dont je suis admiratif du travail. Il s’est rapidement imposé comme une évidence aux yeux de tous, car il est parvenu à retranscrire chaque ambiance avec le juste ton, à mon sens. Que ce soit pour les scènes se déroulant en pleine jungle ou celles en milieu urbain. Il est d’ailleurs fort probable qu’on remette le couvert pour un autre one-shot lorsqu’il aura terminé cet album. Et j’espère secrètement lui proposer de collaborer sur du plus long cours. Mais on verra ça en temps voulu. Quant à Alexis Sentenac qui réalise toutes les couvertures de la série, j’ai toujours admiré sa technique de « peinture informatique » et je dois dire que le résultat sur tout le premier cycle est proprement emballant.

Hamburger Hill - Par Perger & Gihef

Quelle part de vérité avez-vous glissée dans ce premier tome ? Est-ce volontaire de laisser les lecteurs dans le flou entre vérité et complots ?

Gihef : Difficile de quantifier avec exactitude, mais disons que je n’ai pas touché aux événements « clés » datés. C’est un peu la différence de notre concept par rapport à l’excellente série Jour J chez le même éditeur. Jour J exploite l’uchronie et change l’Histoire. Nous, on reste tout le temps « dans les clous ». On affabule sur ce qui aurait pu se passer en coulisses. C’est drôle car j’ai déjà lu quelques avis sur le Net qui condamnaient le côté rocambolesque de l’intrigue. J’ai envie de répondre à ces gens que c’est justement là tout le concept de notre série. Bien sûr que non, le krach de 1929 n’est pas dû au fait des nazis et d’un super-économiste. Mais il existe des liens, étroits et réels, entre la Standard Oil Company (et indirectement Rockefeller) et IG Farben (c’est d’ailleurs largement évoqué dans l’album). Notre crédo est : et si on allait gratter un peu plus loin ? C’est l’essence même de la théorie de complot.

Vous allez présenter deux albums par an ? Êtes-vous prêts à prolonger la série si les premiers tomes rencontrent leur public ?

Alcante : En principe, le tome 2 sortira en août, le tome 3 début 2015 et le tome 4 mi-2015. Quant à continuer par la suite, oui, bien sûr ! À moins qu’un éditeur concurrent ne fomente un complot pour saboter la série…

(par Charles-Louis Detournay)

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Code EAN :

Complots T1, Le Krach de 1929 - Par Alcante, Gihef, & Brahy - Delcourt

Photo en médaillon : DR

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