Un duo improbable, drôle et touchant : c’est ce qui restera forcément dans les mémoires des amateurs de bande dessinée alternative nord-américaine. Fuzz, ourson naïf, pleutre et martyrisé, et Pluck, coq déplumé, dur à cuire et teigneux, sont les héros de la série au long cours dessinée par Ted Stearn. Elle n’aura pas de suite, l’auteur étant décédé début février.
Né en 1961, Ted Stearn avait beaucoup travaillé pour l’animation. Il avait ainsi participé, notamment comme storyboarder et réalisateur, aux séries Beavis and Butthead et Futurama. Peintre et enseignant [1], sa grande passion était cependant la bande dessinée.
Il créait dans ce domaine depuis 1992 [2], mais sa série Fuzz & Pluck, apparue en 1993, n’a commencé à être éditée par Fantagraphics Books qu’à partir de 1999 aux États-Unis, puis par Cornélius à partir de 2000 en France. Il avait également participé à l’anthologie Comix 2000 de L’Association (1999) avec le court récit Lost and Found. Il avait même été en résidence d’artiste à La Maison des Auteurs à Angoulême en 2012 et 2013, là-même où il reçoit, en janvier 2014, le Prix de la série.
Trois volumes des aventures de Fluzz et Pluck ont paru, aux États-Unis comme en France. Ils donnent une excellente idée du talent de Ted Stearn et de l’originalité de son œuvre. Pessimiste mais non dénuée d’humour, sa vision du monde transforme la noirceur en grotesque. Ses personnages subissent bien des tourments au cours de leurs tribulations. S’ils finissent par s’en sortir, c’est après avoir vécu des affres peu enviables... Fuzz, en particulier, est vivement malmené, au point d’inspirer un mélange de honte et de pitié. Mais la drôlerie l’emporte toujours.
Fuzz et Pluck rencontrent des êtres souvent hybrides et déjantés, dans une sorte d’Amérique surréaliste, dégradée et ouverte à tous les possibles. Le tout est sublimé par un dessin en noir et blanc au trait précis, tantôt touffu, tantôt épuré, où de fines hachures apportent une grande variété de texture. Oscillant entre cartoon et réalisme, le style de Ted Stearn est à la fois unique et familier, car dans la lignée de comic strips classiques mais aussi de la bande dessinée underground telle qu’apparue dans les années 1960 - il reconnaissait ainsi l’influence notamment de Gary Panter.
Ted Stearn n’aura pas atteint l’âge de soixante ans. Nos pensées vont à ses proches et à ses éditeurs.
(par Frédéric HOJLO)
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Consulter le site de l’auteur & lire un entretien sur The Comics Journal (en anglais, propos recueillis par David Mazzucchelli en janvier 2017).
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Un automne américain chez Cornélius
[1] Il a travaillé au Savannah College of Art and Design de 2001 à 2004.
[2] Ses premières publications paraissent dans la revue Rubber Blanket de David Mazzucchelli.