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Edmond Baudoin : « Lorsque j’écris, je peins et inversement ! »

Par Nicolas Anspach le 15 juin 2006                      Lien  
Edmond Baudoin se raconte au travers des trois albums qu'il a publiés dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis. L'auteur est à l'image de ses albums. Chaleureux, il parle de son art comme d'un rêve, utilisant des métaphores poétiques et avisées pour parler de son travail, de ses découvertes, de son expérience ou de ses sentiments.

Cela fait trois albums que vous vous mettez en scène. Est-ce un besoin ?

Tout le monde a une note de musique à donner. Et j’ai partagé la mienne dans ces albums ! Du moins celle qui était en rapport à ma personne. Ce sera la dernière fois que je me mettrai en scène. Je meurs dans le Chant des Baleines et je suis effacé dans Les Essuie-Glaces. Aujourd’hui, j’ai peur de me répéter...
Je préfère traiter de mes thèmes de prédilection, comme par exemple le rapport à l’amour, à travers d’autres personnages.

Edmond Baudoin : « Lorsque j'écris, je peins et inversement ! » Aurélia Aurita nous disait dernièrement que l’autobiographie est quelque part une fiction comme une autre.

Bien sûr ! J’ai écris des livres autobiographiques et des histoires inventées. L’auteur met plus de réalité dans un livre de fiction que dans une autobiographie. Dans ce dernier genre, il est toujours en train de ménager la chèvre et le chou. Il doit faire attention à ce qu’il écrit pour ne froisser personne. Dans un récit inventé, on est libre de dire sa propre vérité.
Mais c’est toujours comme cela. Giacometti l’a dit avant moi : en peignant quelqu’un, l’artiste met sur la toile sa part personnelle qui ressemble à cette autre personne. A quel moment s’arrête donc l’autobiographie ?

Le Chant des Baleines est une rêverie...

Plutôt un condensé de beaucoup d’histoires vécues dans le passé que je concrétise dans une métaphore, dans cette course pour atteindre le sommet d’une montagne. Cela me permettait de mettre des bouts d’histoires, de pensées et surtout d’en faire un chant !

Pourquoi avoir repris la jeune femme blonde, Neige, que l’on retrouve dans Les Essuie-glaces ? Correspond-elle à votre idéal féminin ?

Peut-être est ce ma part féminine ? Je m’en sers du moins de cette manière dans mes récits. Neige existe dans la réalité, mais je ne pouvais pas écrire un livre uniquement sur elle. Elle a vécu des événements si difficiles qu’il faudrait que ce soit elle qui les dévoile. Personne d’autre ne peut le faire à sa place...

Que ressentez-vous lorsqu’une femme écrit sur vous, comme ce fut le cas dans Les Yeux dans le mur...

Tous les livres sont différents. J’ai enseigné dans une université au Québec, et pourtant je ne pourrais pas vous dire comment faire une bande dessinée. Pas un des quarante livres que j’ai publiés n’a été réalisé avec le même processus créatif. Ce livre, Les Yeux dans le Mur, fut extraordinairement difficile à faire. Cette histoire était vécue en même temps que nous réalisions le livre, avec nos joies ou nos peines quotidiennes. À chacune des pages et des moments vécus, la pérennité du livre était menacée ou encouragée, selon les moments où nous nous aimions ou nous nous disputions.
Faire un livre sur une histoire en même temps qu’on la vit est une gageure impossible.

Pourquoi l’avoir fait ?

Ce livre est un portrait ! Et donc ne pouvait pas être fait avec de la distance. Lorsque vous voyez quelqu’un que vous avez envie de peindre, vous ne pouvez pas attendre. Cette personne a un mystère. Il faut saisir directement cet inconnu !
Si vous retournez dans un pays quelques années après l’avoir visité pour la première fois, vous ne pourrez pas le peindre de la même manière. Il était donc nécessaire de faire Les Yeux dans le Mur avec l’attention que m’apportait cette découverte.
Pourquoi faire un portrait ? Je m’étais déjà posé cette question dans un livre réalisé pour Futuropolis, où je peignais la vie. Je souhaitais mettre sur le papier l’instant de vie de quelqu’un qui danse. La bande dessinée, alors qu’elle a d’autres moyens que la peinture, ne s’était jamais posée la question du portrait. La BD nous permet pourtant de communiquer sur des choses beaucoup plus concrètes que la peinture : le déplacement dans l’espace de la personne, ses mots, etc.

Vous illustrez ces récits en couleur directe, pourtant vous êtes un maître du noir & blanc. Laquelle de ces techniques préférez-vous ?

Il est vrai que je manie plus facilement le noir et blanc. Toutes les questions que je me suis posées sur l’espace que devaient occuper ces deux couleurs dans la page sont plus anciennes. Mais quand je fais une bande dessinée, la question première est que le texte et le dessin racontent une histoire, une sensation ou un sentiment. Quand je dessine et que je peins, j’écris cette histoire. Et quand je prends ma plume pour écrire, je peins le récit. Le passage entre les deux doit être continu.
Alors la question de la couleur n’intervient pas si l’on considère que les couleurs sont des mots. Si je mets du rouge à un endroit, c’est que ce ton correspond à certains mots. Le bleu veut dire d’autres choses. Donc, c’est le même travail, même si c’est un peu plus compliqué pour moi.

Vous parliez des « mots ». On remarque que dans Les Essuie-glaces, ceux-ci ont beaucoup d’importance : vous mettez vos pensées sous forme de textes en dessous des pages...

Le texte, le dessin et la couleur forment une narration. La bande dessinée permet d’utiliser des moyens narratifs autres que les phylactères. Alors, pourquoi ne pas avoir une autre dimension dans le livre et faire intervenir quelque chose de différent qui va rajouter une note supplémentaire à cette « musique »...

Pourtant, les propos que vous partagez dans ces cadres narratifs n’ont pas forcément de lien avec la page... Vous n’aviez pas peur que cela entrave la lisibilité ?

Je ne sais pas si cela l’entrave, mais cela l’amène vers plus de densité. Et il est vrai que cela peut désarçonner les lecteurs. J’ai toujours envie d’aller plus loin, d’explorer de nouveaux chemins narratifs.
Je ne sais pas quelle est la raison. Peut-être est-ce dû au fait que ma mère ne savait pas lire. Elle me disait toujours : « Ah ! Si je savais écrire, j’en ferais des livres ».
Mais il y a autre chose qui peut expliquer cette démarche : quand j’ai écrit le texte qui est en dessous des pages, je ne l’ai pas rédigé en regardant les planches. Donc, sans me soucier si le contenu de mes mots était en symbiose avec le contenu de mes pages. Par contre, il fallait que mon texte corresponde avec la trame globale du récit. Le hasard a donc eu une importance prédominante.

Mais vous rebondissez de temps en temps, et votre texte est parfois en symbiose avec la page...

C’est le hasard !

J’étais assez étonné en vous lisant que quelqu’un de votre génération s’intéresse à la chanteuse P.J. Harvey [1]...

Au Québec et aux Etats-Unis, j’appréciais d’être dans la voiture et de voyager des jours entiers. J’écoutais alors P.J. Harvey et Tom Waits. Cette chanteuse m’a accompagné pendant beaucoup de voyage. Ce serait plaisant de raconter sa vie en bande dessinée... Je ne la connais pas, mais je sens qu’elle a une blessure qui ne se referme pas, et cela m’intéresse !

Pourquoi ne la contactez-vous pas ?

Peut-être ! Elle remplit des salles aujourd’hui. Et un livre sur sa vie ne ferait pas forcément un best-seller.

Et ?

Je n’ai pas envie de faire des best-sellers, mais simplement des bons albums.

Et si les Essuie-glaces se vendent à cent mille exemplaires ?

Ah ! Cela me plairait beaucoup. Mais je n’ai pas envie d’être accroché à quelqu’un de célèbre pour faire un coup éditorial ! J’ai publié un livre sur une personnalité, l’Abbé Pierre [2], qui n’a pas marché. J’ai aussi réalisé un livre avec Fred Vargas, les Quatre Fleuves, qui s’est bien vendu... La personnalité n’a pas d’importance, ce qui compte c’est le livre.

Quel sera votre prochain projet ?

Je vais m’extraire de mon personnage, de mon « moi ». Je vais embêter des amis comme Neige, par exemple, pour qu’ils se racontent. Pas pour faire leurs portraits, mais pour qu’ils se livrent et deviennent scénaristes de leur vie. Je vais intervenir dans ces récits, mais extérieurement. Je veux me mettre à l’écart de mon personnage.

Avez-vous peur de délaisser votre « double graphique » ?

Au contraire ! Si je reste avec lui, j’ai une certaine crainte de me répéter. Vous savez, tous les auteurs ne font que se répéter ! Fellini et Pasolini n’ont chacun d’eux fait qu’un seul film. J’ai dit ce que j’avais à partager ! Je veux passer à une note différente.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Illustrations extraites des "Essuie-Glaces". (c) Baudoin, Dupuis.

En médaillon : Edmond Baudoin. Photo (c) D. Pasamonik

[1L’album To Bring You My Love, édité en 1995 est devenu rapidement une référence du Rock’n roll alternatif. PJ Harvey a notamment collaboré avec Marianne Faithfull pour qui elle a écrit plusieurs chansons de l’album Before The Poison.

[2L’Abbé Pierre, en 1994, aux éditions Tom Pousse.

 
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