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Grégory Mardon : "la tristesse est un sentiment que l’on n’exploite plus"

Par David TAUGIS le 29 septembre 2006                      Lien  
L'auteur de "Leçon de choses" évoque l'univers de l'enfance, ses influences hors BD, et son inextinguible intérêt pour l'humain.

Vous avez publié ces dernières années quatre albums très différents, notamment sur le plan graphique. C’est le résultat d’une planification précise ?

Grégory Mardon : "la tristesse est un sentiment que l'on n'exploite plus"
Leçon de choses par Grégory Mardon
Editions Dupuis

Non, je n’ai pas fait de planification précise, ni du point de vue des histoires et encore moins du dessin. C’est une évolution que je considère comme logique aujourd’hui mais je n’avais rien construit ni prémédité. Je fonctionne un peu en réaction d’une histoire à l’autre. Après Corps à corps où il y avait beaucoup de personnages et un scénario complexe, j’ai voulu faire quelque chose de plus linéaire avec peu de personnages. Ca a donné Incognito. Avec leçon de choses je voulais sortir de l’univers urbain et pesant du quasi-huis clos de Incognito. Je voulais respirer un peu.

Je voulais aussi renouer avec l’univers et l’esprit de Vagues à l’âme.

Dans Leçon de choses vous décrivez un univers assez violent : vous avez toujours eu cette vision de l’enfance ?

Il y a de la violence dans leçon de choses, c’est vrai, et si elle est aussi percutante, c’est parce qu’on l’observe à travers le regard des enfants. Mais il y a aussi un peu toutes les émotions dans cette histoire. La joie, la tristesse, la peur, l’insouciance des jeux de l’enfance. Je n’ai pas une vision violente de l’enfance, mais à cet âge-là, on découvre un peu tout, alors, la violence a un impact particulièrement fort sans doute. Et puis, il ne faut pas se voiler la face : Les enfants sont confrontés très tôt à la violence, comme aux autres sentiments d’ailleurs. La tristesse par exemple est un sentiment que l’on exploite plus (à mon avis) dans les dessins animés des séries télé d’aujourd’hui. C’est soit de l’action, soit "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Les dessins animés de ma génération faisaient beaucoup plus dans le lacrymal.

Leçon de Choses de Grégory Mardon

Un point commun avec Incognito : le sentiment de disproportion face aux autres. C’est une façon d’illustrer la difficulté des relations humaines ?

Peut-être un peu, mais c’est aussi parce que j’ai toujours été fasciné par la force et la présence physique imposante, charismatique. L’ogre, Les femmes des films de Fellini ou même le charme de Cary Grant. Ce doit être un sentiment très lié à l’enfance, ne serait-ce qu’à cause du point de vue. J’aime le rapport entre le grand et le petit comme dans les dessins de Sempé.

J’ai trouvé des similitudes avec l’argent de poche de Truffaut, notamment avec cette maman sexy en diable ; qu’en pensez-vous ?

J’en pense que vous avez vu juste, l’argent de poche, les 400 coups et l’oeuvre de Truffaut dans son ensemble m’a beaucoup marqué. Je me sens très proche de sa vision de l’enfance et de sa fascination des femmes.

Quelles sont vos autres références, ou incontournables, sur l’univers de l’enfance (BD, films, livres) ?

Les illustrations de Bilibine (un illustrateur russe), les 400 coups, le petit Christian de Blutch, Mon Voisin Totoro de Miyasaki, Tintin, les vieux livres scolaires, Bandini de John Fante : même si le personnage principal est déjà un adolescent, sa vision du monde des adultes est proche de la façon dont je l’ai abordée dans Leçon de choses.

Pourquoi avoir choisi le lion pour caractériser le visage de l’amant de la mère de Jean-Pierre ?

On en revient à l’idée de force de l’amant tout puissant dont j’ai parlé précédemment. Mais cette vision de Jean-Pierre fait référence au reportage animalier qu’il avait vu à la télé un peu avant. Il fait le rapport entre les deux et son imaginaire fait le reste.

Comptez-vous retravailler en collaboration, avec Berberian ou d’autres ?

Je dois faire un Cycloman 2. Mais je n’ai pas d’autre projet de collaboration. Ce n’est pas l’envie qui me manque mais il faudrait que ce soit une rencontre et que l’histoire me plaise, évidemment. Je préfère laisser faire le hasard sur ce point comme cela s’est plus ou moins passé avec Charles Berberian.

Vous êtes aussi illustrateur de livres pour la jeunesse : un travail alimentaire ou une vraie passion ?

En fait, j’ai fait très peu d’illustrations pour la jeunesse, j’aimerais vraiment pouvoir en faire plus. Pour la jeunesse ou non, d’ailleurs. J’ai surtout fait des BD pour la jeunesse dans des magazines de Bayard. C’est un peu plus alimentaire, c’est vrai , mais ce n’est pas désagréable.

Etes-vous tenté par des histoires moins intimistes dans l’avenir ?

Je ne voudrais pas faire toujours la même chose mais je pense que ce côté intimiste transparaîtra toujours dans mes histoires, même si je faisais des histoires de genre. Ce qui m’intéresse, ce sont les relations entre les gens, et si mes histoires paraissent intimistes, c’est peut-être parce que je fais référence à ma propre expérience ou à ce que j’ai observé parmi mes proches. Et comme je ne compte pas me priver de cette méthode, il se peut que je reste encore un peu dans cette veine.

Qu’est-ce que vous n’aimez pas dans le milieu de la BD ?

Je n’aime pas le côté solitaire de ce métier. Et je suis irrité par le fait que la BD soit encore trop souvent (même si ça a un peu changé) considéré comme un art très mineur, pas sérieux, des conneries quoi ! Ou que ce soit un terrain de jeux pour certaines célébrités en mal de sensations.

Et enfin, ze question (!) : étiez-vous vraiment obligé d’inclure la scène éprouvante au possible du meurtre du chaton ?

Bien sûr que cette scène était essentielle, je voulais que le lecteur se prenne un coup sur la tête d’entrée et qu’il passe par plusieurs sensations. Comme sur les montagnes russes.

Leçons de choses par Grégory Mardon
Ed. Dupuis

(par David TAUGIS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Grégory Mardon par C. Beauregard.(C)Humanoïdes Associés.

 
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