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Intégrales et beaux livres sous le sapin : Dargaud (2/2) - Les héros changent de forme

Par Charles-Louis Detournay le 28 décembre 2021                      Lien  
Seconde partie de notre article consacré aux intégrales proposées récemment par Dargaud. "Snoopy et les Peanuts", "Les Bidochon", "Iznogoud" et "Condor" laissent leur place à "Yaya", "Tyler Cross", "Les Soupetard", "Barbe-Rouge", "La Planète des Sages" de Jul, Philippe Francq et Jean-Claude Mézières. De quoi démontrer la grande diversité du programme éditorial de l'éditeur français, qui va puiser ses références du cinéma américain à l'Asie, des philosophes des Lumières à l'un des fers de lance mondiaux de l'imaginaire SF. En route !

Après notre premier article, continuons notre tour d’horizon avec une intégrale que nous avons longtemps appelée de nos vœux, au point de ne pas comprendre pourquoi Dargaud a attendu si longtemps pour l’éditer. Il s’agit de la mini-série composée des deux tomes de Des Villes et des femmes sortis à la fin des années 1980, juste avant que leur dessinateur, un certain Philippe Francq, ne perce en 1990 avec le premier tome d’un « milliardaire en blue jean », Largo Winch.

Scénarisée par Bob de Groot, cette série de jeunesse comprenait trois courts récits par album, chacune de ces histoires étant centrée sur une femme (ou un couple) ainsi qu’une ville. Rassemblant déjà trois grands éléments importants aux yeux du dessinateur : les personnages féminins, les décors et plus précisément les grandes villes retranscrites par l’œil de l’auteur, et des scènes d’action assez tendues.

Intégrales et beaux livres sous le sapin : Dargaud (2/2) - Les héros changent de forme

Dès la préface, le dessinateur justifie le temps qu’il a fallu attendre pour réaliser cette édition en intégrale, non sans remercier l’éditeur Yves Schlirf : « Son obstination, pendant plus de trente ans, à retrouver les films originaux égarés de ces deux ouvrages fut déterminante. » Une recherche qui a porté ses fruits, car l’intégralité des deux albums se retrouve bien dans cette intégrale, y compris les six portraits de femme qui marquaient la transition entre chaque court récit.

Outre quelques histoires plus ou moins piquantes, cette intégrale propose quelques très belles planches. Les lecteurs ne manqueront de faire des liens avec certains récits de Largo Winch, en particulier les décors de New York ou d’Amsterdam. Rajoutons enfin que, fidèle à son habitude, Philippe Francq a supervisé la réalisation de nouvelles couleurs, comme il a pu le faire sur Largo, des teintes qui bien entendu renforcent le lien avec cette série culte, mais apportent également plus d’atmosphère à certaines séquences, un véritable plus pour la lecture.

Le volume de cent pages donne donc l’occasion aux fans de Largo Winch et de Philippe Francq de découvrir cette série moins connue. Quant à ceux qui regretteraient que la superbe couverture originelle du tome 2 n’ait pas été reprise dans ce volume, il leur reste à dénicher la sérigraphie éditée par Bleu Cobalt en 1993. Pour notre part, nous espérons que Dargaud poursuive sur sa lancée en rééditant les deux albums de la dernières des séries méconnues du dessinateur, à savoir Léo Tomasini... Mais avec cette fois un petit dossier pour apporter du contenu complémentaire ?

Tyler Cross en noir et blanc

Nous n’aurons pas l’audace de vous présenter le gangster créé par Fabien Nury et Brüno en 2013 ! Mais peut-être ne possédez-vous pas les trois tomes ? Ou alors vous échinez-vous à rassembler les versions noires et blanches éditées successivement par Canal BD et Dargaud à un petit millier d’exemplaires ? Alors cette intégrale est faite pour vous !

Elle rassemble bien entendu les trois aventures mouvementées de Tyler Cross, à savoir Black Rock, Angola et Miami, le tout en noir et blanc. Et sans rien retirer du merveilleux travail de couleur réalisé par Laurence Croix sur cette série, car elle a parfaitement compris comment se marier à l’atmosphère de Tyler Cross ainsi qu’au dessin de Brüno, on sent que les deux auteurs ont d’emblée réfléchi en noir et blanc pour cet univers empli de références au cinéma américain.

Il ne s’agit pourtant pas uniquement de la compilation de ces trois tomes desquels les couleurs auraient été retirées, mais bien de l’intégrale des trois versions limitées noires et blanches qui ont donc été vendues à un millier de chanceux. Qu’est-ce que cela change ? En effet, aucune différence dans les récits en eux-mêmes. On profite toujours de cette ambiance poisseuse à souhait et de la magnifique narration distillée par les auteurs. Mais la dizaine de pages qui complétaient chacun des tirages limités parus respectivement en 2013, 2015 et 2018 ont également été rajoutées à cette intégrale. Et celles-ci valent leur pesant de cacahuètes !

Après le premier tome (introduit par la couverture de son tirage limité, comme c’est le cas pour les deux suivants), on marque une pause en lisant un rédactionnel de Fabien Nury intitulé Le Jeu des références, et qui relie certaines cases ou séquences de l’album à des films emblématique. S’ensuit un making of de dix pages qui reprend des crayonnés de Brüno ainsi que des cases supprimées pour une raison ou l’autre.

Le complément du deuxième tome revient pour sa part sur une conclusion alternative proposée par les auteurs. "La fin à laquelle vous avez échappé..." est contextualisée par le scénariste, tandis que ces huit pages de fin esquissées par Brüno sont également dialoguées, histoire que le lecteur puisse bien profiter de cette alternative. Enfin, le troisième tome album se termine sur un dossier de huit pages intitulé "La Floride (vue de chez soi)" au sein duquel les auteurs détaillent leur méthode pour appréhender le cadre principal de leur intrigue, à savoir Miami, en ne s’y étant jamais rendus.

Enfin, une dizaine de pages complètement inédites en album viennent clôturer ce grand format de près de 350 pages. Ces grandes illustrations jouent une fois de plus sur les références afin de mettre en avant l’esprit de la série. Les amateurs apprécieront !

Voguez, jeunesse !

Une autre intégrale que nous avons appelée de nos vœux était celle qui devait reprendre la totalité des cinq tomes de La Jeunesse de Barbe-Rouge. Il est vrai qu’à l’époque, ces albums édités entre 1996 et 2001 réalisés par Perrissin et Redondo n’avaient pas suscité l’enthousiasme du public. Le tirage était donc resté modeste, avant d’enflammer les amateurs sur le tard. Résultat : certains tomes se vendent à plus de cent euros en seconde main ! Entre la reprise des aventures de Barbe-Rouge et la fin de l’intégrale précédente, il était donc temps de rééditer cette série.

Ce qui était chose faite avec un premier recueil rassemblant en juin dernier les deux premiers titres, histoire de comprendre comment le corsaire malouin Jean-Baptiste Cornic devint le terrifiant pirate que l’on connaît. Et voici donc le second tome qui vient clôturer cette intégrale de jeunesse, avec les trois tomes qui suivent et qui expliquent comment est née la légende du Démon des Caraïbes voguant sur son Faucon noir.

Le dossier se focalise sur trois rencontres réalisées par Brieg Haslé-Le-Gall, à savoir les interviews du dessinateur Redondo et du coloriste Yves Lencot assisté par Laurence Quillici. Le tout est illustré par quelques dessins couleurs inédits. Un dossier qui ne poussera sans doute pas les détenteurs de la série complète à racheter ce recueil, sauf s’ils veulent détenir le quinzième tome de cette intégrale en comptant la série-mère. Mais un achat indispensable pour ceux qui n’auraient pas tous ces albums séparés, surtout les deux derniers albums qui restent des plus rares !

Changement complet d’univers avec le deuxième recueil du Cadet des Soupetard. Après la première partie parue il y a deux ans rassemblant les tomes 1 à 4, cette suite vient clôturer la série traditionnelle avec les tomes 5 à 7.

Une fois de plus, pas de dossier pour ce petit format, ce qui explique un prix toujours abordable de 19,99 € qui permet de profiter des très belles planches d’Olivier Berlion, même le lettrage des dialogues d’Eric Corbeyran ne paraît pas très grand. Nous attendons impatiemment le dernier recueil qui devrait rassembler les trois derniers tomes d’histoires courtes.

Le 4e plat du T.7 de la série présente l’ensemble des albums, y compris les hors-séries

Autre univers jeunesse qui bénéficie d’une intégrale en trois recueils, La Balade de Yaya profite d’une collaboration entre Dargaud et les Editions Fei pour disposer d’un grand format rendant hommage aux dessins de Golo Zaho. Ainsi, la série scénarisée par Omont, Girard & Marty passe du format oblong à un canevas plus standard dans le franco-belge.

C’est ce qu’il faut pour leur permettre de toucher un nouveau type de lectorat, surtout qu’ici, les trois recueils de l’intégrale paraissent simultanément, histoire de rassembler les neuf tomes d’un seul coup.

Philosophie et cosmologie : d’une planète à l’autre

Changement d’ambiance avec l’intégrale de La Planète des Sages, un volume de 220 pages qui rassemble les deux précédents ouvrages issus de la collaboration entre l’auteur Jul et le philosophe Charles Pépin. Avec autant d’intelligence que de décontraction, les deux auteurs résument trois mille ans de philosophie via un canevas aussi simple qu’efficace. Chaque philosophe est présenté sur une double page : une planche de Jul à gauche, une explication abordable de Pépin à droite. Un sommaire plus que complet permet d’aller puiser en fonction des besoins, tandis que deux planches de bonus continuent à nous faire rire... avec intelligence !

Enfin, terminons ce tour d’horizon avec l’ouvrage qui nous a certainement le plus marqués. Il ne s’agit pas d’une intégrale pour une fois, mais d’une superbe monographie consacrée au travail de Jean-Claude Mézières. Le dessinateur qui s’est surtout illustré grâce à son travail sur la série Valérian reste l’un des plus grands artistes capables de faire rêver la planète entière grâce à ses images issues des étoiles.

Au-delà de ses collaborations sur Le Cinquième Élément ou sur d’autres films, cet ouvrage intitulé L’Art de Mézières brosse la carrière complète de l’auteur, en reprenant des travaux de jeunesse, des agrandissements de planches mémorables, de superbes illustrations couleurs et de grandes peintures. Chaque fac-simile bénéficie d’un texte de Christophe Quillien qui donne un éclairage complémentaire sur le parcours de Mézières, ses envies, ses passions et ses aspirations.

Plus qu’un art-book, c’est une véritable et formidable biographie qui sacre l’immense auteur. On y découvre sa jeunesse, sa volonté de réaliser un western, avant d’arrêter les courts récits de Pilote pour se lancer avec un novice appelé Pierre Christin dans la construction d’un véritable univers, au sens propre et figuré.

Si les quelques gouaches pré-Valérian et les extraits de courts récits vont certainement passionner les aficionados, l’on commence vraiment à vibrer lorsque la SF pointe le bout de son nez. Habitués à clôturer les voyages intersidéraux, les fac-simile des 4e de couverture ouvrent pour une fois la porte vers les splendeurs de Mézières : chaque album est disséqué, via des commentaires éclairants et surtout d’immenses agrandissements rendus possibles par ce grand format carré, et qui permettent de se rendre compte du travail et de l’évolution du dessinateur. On aurait presque aimé que certaines peintures soient encore agrandies, notamment les couvertures de la récente intégrale, afin d’entrer pleinement dans ces illustrations : quelles splendeurs !

Et si l’on regrette un peu de ne pas disposer de plus d’agrandissements de planches originales du diptyque Métro Châtelet direction Cassiopée - Brooklyn Station terminus Cosmos, les travaux réalisés pour Le Cinquième Élément rattrapent aisément la mise. Sans parler des travaux préparatoires pour un dessin animé de Valérian, ou d’autres films. On se rend compte de la carrière plurielle qui se cache derrière sa série imposante, sans oublier ses peintures et travaux pour des sérigraphies, des couvertures, d’autres magazines, des timbres, etc.

Évidemment, on ne peut qu’avoir le cœur serré lorsque l’auteur explique : « Il s’agit [...] de mon ultime livre. À 83 ans, il vaut mieux fermer la porte et se retirer sans faire trop de bruit... » Si le bruit ne s’entend pas dans l’espace, on peut vous dire qu’ici, sur Terre, lorsqu’on ferme ce livre, on est ému... et on applaudit avec force !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205078008

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