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Jean-François Charles : "La couleur directe est pour moi une libération"

Par Nicolas Anspach Erik Kempinaire le 14 février 2007                      Lien  
Après avoir conquis le public avec {India Dreams}, {{Maryse}} et {{Jean François Charles}} nous reviennent avec {War and Dreams}.

War And Dreams met en scène d’anciens soldats impliqués dans la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’ils reviennent, de nos jours, sur la Côte d’Opale, le lieu où ils ont vécu le conflit, ils se souviennent de ces années de guerre. Jean-François et Maryse Charles nous racontent le destin croisé de Britanniques, d’Américains, de Français et d’Allemands à une époque où la guerre pouvait parfois se conjuguer avec la passion et l’amour…

Quel est la genèse de ce récit ?

JFC : Maryse et moi avons acheté une maison qui donne sur une des plages de cette région du Nord, dont les gens sont si chaleureux ! Cet endroit est empreint d’histoire, et plus particulièrement d’événements ayant eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale. Sur le terrain de notre maison, il y a un bunker que l’on découvre après avoir descendu quelques marches au bout du terrain. Dans ce vestige de la guerre on a découvert des initiales de soldats allemands, avec une date : 1943.
Comme ma maison est face à la mer, cet endroit servait certainement de poste d’observation, d’autant qu’il reste parmi les ruines une sorte de périscope. De notre jardin, on voit les côtes anglaises quand il fait beau, on a donc imaginé ces soldats qui passaient leur temps à scruter l’horizon, et peut-être les jeunes filles qui passaient sur la plage. Notre imagination a fait le reste ! On a réellement succombé au charme de l’endroit, avec une lumière prodigieuse, une nature très verte sous un ciel lourd. Comme à chaque fois, notre désir d’histoire est conditionné par les lieux que l’on découvre.

Vous intéressiez vous à la Seconde Guerre mondiale avant d’entamer ce récit ?

JFC : Oui, nous sommes des enfants de l’après-guerre. Mes parents m’en parlaient souvent. Mon père avait été prisonnier pendant cinq ans. Il avait fait de la résistance. Un de mes oncles était américain, arrivé avec le Débarquement !

Jean-François Charles : "La couleur directe est pour moi une libération"

Il doit certainement être à l’origine de votre goût pour les Etats unis

JFC : Oui. C’est lui que l’on a été voir en 1976 lorsque l’on a fait un grand voyage au Canada et aux USA. On a fait un très long périple de 18.000 kilomètres qui nous a servi notamment pour Les Pionniers du Nouveau Monde et pour Fox. Tout se recoupe, j’aime dessiner des endroits que j’ai vus.
Donc, la côte d’opale s’est imposée, un vrai coup de foudre ! Et puis, cela fait longtemps que j’avais envie de dessiner la mer.

Pourquoi avoir changé de technique graphique pour ce nouveau cycle ?

JFC : Effectivement ; auparavant je travaillais à l’aquarelle. Pour cet album j’ai choisi l’acrylique car c’est plus lourd, plus pesant, plus dense…
On peut en mettre des couches alors que l’aquarelle est plus légère. L’acrylique est une matière extraordinaire qui a des propriété proches de la peinture à l’huile, sauf qu’elle sèche tout de suite, presque instantanément. On peut travailler de façon très délavée pour avoir des résultats proches de l’aquarelle.
C’est René Follet qui m’avait conseillé de changer de technique. J’ai hésité, puis après plusieurs essais, j’ai été convaincu. J’ai eu très peur à la première planche : je l’avais faite d’abord à l’aquarelle, sortant de cinq albums avec cette technique pour Indian Dreams. Ne trouvant pas la densité désirée, j’ai tenté l’acrylique et de l’avis de mes proches, elle était meilleure.

Quel est l’apport de chacun dans la création de l’histoire ?

JFC : Maryse prend la responsabilité du scénario même si on y travaille à deux. Il faut que quelqu’un dise à un certain moment : « il faut que cela soit comme ça ! »...
Maryse : Il est normal que Jean-François participe au scénario, vu qu’il va dessiner l’histoire pendant quelques années. On se documente ensemble à l’aide de films et de livres. On en discute. Puis l’histoire se construit. Pour War and Dreams, nous voulions raconter les destins contrariés de personnes qui auraient voulu vivre en paix et qui furent confrontés à la guerre…

Quels sont vos rapports au cinéma… En lisant Indian Dreams et ce livre ci, les ambiances et le choix des thèmes nous font penser à David Lean…

JFC : Ah ! C’est mon maître, mon cinéaste préféré ! Je connais bien son œuvre. J’ai une admiration sans borne pour lui. C’est du tout grand cinéma qui résiste magnifiquement à l’épreuve du temps et qui s’adresse à un large public. Il y a effectivement des rapprochements qui peuvent être faits entre son travail et le mien. J’aime bien ses grands plans, l’attention accordée aux détails. Dans son film La Route des Indes, par exemple, lorsque le professeur Aziz va voir un enseignant à peine sorti de la douche, la caméra s’attarde sur le bouton de col qu’il a perdu, Aziz va lui preter le sien. Dans cette scène, on devine le passé du personnage grâce à des détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui enrichissent son caractère et donnent une densité exceptionnelle à la scène. Ce sont des films sur lesquels on peut s’attarder. Dans Indian Dreams, le lecteur peut se promener dans les images, qui contiennent une histoire dans l’histoire. Lorsqu’on passe une semaine sur une planche, on y met des choses qui vous intéressent et qui vous amusent. Dans l’album War & Dreams, j’inclus une scène de bal dans laquelle j’y représente vaguement des personnes qui dansent. Mais je m’attarde surtout sur des petits moments qui mettent en scène les personnages.

Que pensez vous du cinéma français actuel dans lequel certains réalisateurs explorent, comme vous avec beaucoup de tact, les relations humaines, tels Klapisch ou Ozon ?

JFC : Je connais moins. En fait, c’est très difficile lorsque l’on est en création de voir une quantité d’autres choses. Si on est sur la même voie que d’autres auteurs, on risque d’être terriblement influencé par ceux-ci. Il faut donc se protéger de tout cela. Je lis très peu de bande dessinée pour cette raison…Je préfère préserver mon imaginaire.
MC : Les seuls films que nous regardons sont plutôt des documentaires ou des films traitant d’un sujet particulier. On s’est plongé dans des films de guerre pour retrouver certaines ambiances. On se documente surtout de manière générale ou alors très pointue…

En 2006, vous lancez comme scénaristes la collection Rebelles, pourquoi vouloir travailler avec d’autres créateurs ?

MC : On a eu envie de raconter d’autres histoires. Il est imposible pour Jean-François de signer plus d’un album par an
JFC : Et puis, il y a les rencontres également. La BD est un métier solitaire. Au bout d’un moment, on aime bien rencontrer des collègues avec des univers différents. La réalisation d’un scénario pour d’autres est un travail différent. J’ai passé trente ans, seul dans un atelier, et cela me plait aujourd’hui de collaborer avec d’autres…

A travers les biographies dessinées de la collection Rebelles ou l’adaptation d’un roman de C. Jacq, avez vous l’impression de cultiver votre imaginaire ?

MC : Je le pense. Ce sont des exercices différents. Nous adorons Christian Jacq depuis de nombreuses années,on l’admire beaucoup. Un roman de Jacq fait 400 pages et doit être adapté en deux albums. Il faut donc choisir ce qui est important pour le mettre dans la BD sans dénaturer le livre.
En ce qui concerne les biographies [1], on a décidé de faire un one shot pour chacun des personnages. C’est pour cela que l’on a pris le parti de commencer par le décès du personnage pour raconter sa vie sous la forme de flash-back. On n’est pas obligé de tout raconter non plus. C’est un choix. On a lu différents bouquins sur chacune des personnalités afin de partager notre réflexion et notre regard. Je n’ai pas l’impression de faire un travail de commande. D’ailleurs pour les biographies, c’est nous qui avons proposé l’idée à Casterman.

Combien d’albums vont composer l’histoire de War & Dreams ?

JFC : L’histoire est prévue en quatre tomes vu la richesse narrative de la période et la grande personnalité des divers protagonistes.

Jean-François & Maryse Charles

Pourquoi une publication dans un format plus grand qu’India Dreams ?

JFC : La couleur directe est mieux mise en valeur dans ce format-là. J’ai connu une période où elle n’était pas acceptée par les éditeurs. Il y a quinze ans, ce n’était pas très courant vu les difficultés de reproduction. J’éprouve aujourd’hui beaucoup de bonheur à faire de la couleur directe. Je me sens beaucoup plus libre et beaucoup plus « auteur ». Il me semble qu’avant je faisais techniquement comme les autres ; travailler avec de l’encre et cerner le trait. Je me rends compte à présent que cela n’a jamais été mon truc. Cela m’a toujours ennuyé d’encrer. Mais pas au point de Cuvelier, pour lui, cette étape était atroce. Et puis, qu’y a-t-il encore à découvrir dans le trait ? Je pense avoir fait le tour de la question.
La couleur directe est pour moi une libération. Les auteurs ont aujourd’hui la possiblité de travailler différement, certains passent toujours par le trait, d’autres n’en n’ont plus besoin comme moi.. Je n’ai d’ailleurs plus d’encre de chine chez moi. Professionnellement, c’est une grande satisfaction. Avant de commencer la couleur directe en BD, j’ai travaillé pendant deux ans sur des illustrations. A cette époque, la bande dessinée m’ennuyait terriblement. Je n’y trouvais plus mon bonheur.
Et puis, le fait de travailler en noir et blanc et de le faire mettre en couleur par un autre, c’était long. On imagine l’image en couleur en la dessinant, et on ne voit le résultat que trois mois après. La couleur directe a été pour moi comme une seconde naissance !

(par Nicolas Anspach)

(par Erik Kempinaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Images (c) Jean-François & Maryse Charles, Casterman

[1Publiées chez Casterman

 
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