« Le Verbe, bon sang, je suis le verbe…, sanglote un vieillard qui est sans doute Dieu le père, Et on me représente tout le temps comme un vieux pépé barbu vêtu d’un drap… » Partant des prémices de la Bible : Adam et Eve, Caïn et Abel, Moïse… où l’auteur déconstruit les vieux clichés davantage entretenus par les croyants que par les textes (la surpuissance de Dieu, les Tables de la Loi portées par un Moïse qui ressemble au Juif errant...), Goossens s’interroge sur les représentations du Divin dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais surtout ce qu’en a fait la culture populaire. Il le fait au travers du dialogue réflexif de ses deux romanciers-fétiches Georges & Louis qui ont entrepris d’écrire leur Évangile à eux mais avec cette originalité : il est cette fois... en bande dessinée !
C’est quand il passe à la vie de Jésus (il écrit aussi sa nécrologie) qu’il est le plus brillant : nos deux romanciers interrogent ce personnage étonnant, une performance de marketing exemplaire qui a réussi à faire d’un martyre horrible un storytelling pas vraiment destinés aux enfants qui le transforme en icône quasiment disnéyenne.
Et quelle icône ! Goossens souligne à quel point la représentation saint-sulpicienne est ambigüe qui fait du Fils de Dieu un être blanc (pourquoi n’est-il pas noir ?, interroge-t-il), androgyne (il fait un jouissif parallèle avec le gagnant de l’Eurovision Conchita Wurst), un Juif ashkénaze (de son vrai nom Jesusovitch…), doté de super-pouvoirs « à la Superman » et flanqué d’apôtres (parmi lesquels le Grand Schtroumpf…) qui vont faire à peu près n’importe quoi avec son message.
Cet album est la réédition, sérieusement augmentée, notamment d’une postface qui contextualise cette œuvre parue avant les attentats de Charlie Hebdo dans une réflexion quasiment scientifique sur la nature de l’humour : « La religion n’a pas l’ambition de comprendre, écrit-il, mais d’influencer socialement. L’influence d’une religion sur les croyants n’est pas intellectuelle mais affective. […] C’est pourquoi [ces religions] sont toujours là, et pour longtemps, malgré la terrible indigence de leurs vérités éternelles. »
Il n’y a pas chez Goossens le militantisme anticlérical d’un Charb ou d’un Cabu. Goossens est vraiment l’héritier de Gotlib (et à travers lui, de Goscinny) avec sa façon empathique de ne jamais charger la caricature de façon agressive, mais au contraire de s’attaquer aux seuls clichés pour nous faire rire.
Car la vraie caricature, c’est ce que les croyants, en particulier les plus extrémistes d’entre eux, ont fait des messages d’humanisme, de partage et de bonté que ces transcendances -si elles existent. Goossens en fait le constat : elles ont forgé l’Humanité. Son génie est de partir de cette condition d’humain -ici incarnée par son duo Georges et Louis- et de la déconstruire pour atteindre à l’universel.
Comme dirait l’autre, si Goossens n’existait pas, il faudrait l’inventer.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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