Lors d’une escapade à Londres, trois ados, grands amateurs de Wargames pénètrent dans un magasin de jeux vidéo. Éric, passionné d’épopées historiques, Thierry, fan de stratégies et Andréas, « le dur de la bande », amateur de violence et de brutalité, vont se voir confier par le propriétaire, un jeu auquel ils n’ont encore jamais joué : "l’expérience ultime" ! L’initiative du vieil homme vient en réaction à l’insigne nazi que porte Andréas sur son blouson, ce dernier semblant tout ignorer du sens de cet objet.
De retour chez eux, les trois jeunes gens vont tester le jeu et être fascinés par son réalisme et son efficacité. Mais il possède d’étranges facultés : non seulement celle de transposer les joueurs sur le théâtre des opérations militaires mais aussi celle de révéler leurs instincts les plus intimes. Immergés sur les lieux les plus emblématiques de la barbarie humaine : les tranchées de la Première Guerre mondiale, Guernica sous les bombardements de 1937, ou les rafles de la France occupée des années 1940, les voilà donc confrontés à la dure réalité de l’Histoire et de sa violence. Ce qui ne sera pas sans effet sur leurs comportements.
Profondément choqués par le réalisme et la sensation de vivre au cœur de cette violence, Éric et Thierry vont prendre conscience que ce monde virtuel renvoie à une réalité cruelle et insoutenable dont les échos résonnent encore dans leur quotidien : guerre en Bosnie, explosion terroriste dans le lycée, fusillades et viols...
Ces guerres et conflits qui n’étaient au départ que des terrains de jeu deviennent le décor de tragédies oubliées ou plus contemporaines qui les atteignent au plus profond d’eux mêmes. Ils décident alors d’abandonner cette "expérience ultime", dont ils ont finalement perçu la force destructrice… d’abord pour eux mêmes ! Ce ne sera pas le cas d’Andréas, proche culturellement des idées extrémistes. Le jeune homme qui ignorait le sens de l’insigne de la Légion Condor épinglée à son blouson va chercher à aller toujours plus loin dans le jeu, accompagné d’un cynisme suicidaire. Il finira par se perdre dans ce monde impitoyable.
Adapté d’un roman, cet album va bien plus loin qu’un simple regard sans concession sur l’impact des jeux vidéo. Médecin généraliste et auteur de nombreux romans destinés à la jeunesse, Christian Lehmann évite tout manichéisme en ouvrant cette histoire sur le contexte dans lequel évoluent ses héros.
Adolescents des années 2000, les trois jeunes gens férus de jeux et de technologie ignorent tout de leur histoire et des symboles qu’ils manipulent au cours de leurs jeux virtuels. Par la métaphore du jeu interactif, ils se retrouvent totalement impliqués dans une réalité qui cesse d’être virtuelle. Les auteurs élargissent le sujet bien au delà de la condamnation simpliste et souvent stérile. Plus que l’addiction au virtuel, c’est l’ignorance de ces gamins et l’absence de mémoire de nos sociétés qui est pointée du doigt par cette histoire aux frontières du fantastique.
La légion Condor, bras armé de l’Allemagne hitlérienne pendant la Guerre d’Espagne fut à l’origine d’un des massacres les plus terribles du vingtième siècle : Guernica, immortalisée par Picasso.
No Pasaran qui donne son titre à cette histoire, était le cri de ralliement des Républicains espagnols assiégés en résistance contre le fascisme et la guerre. Si Andréas l’ignore, c’est aussi parce sa famille semble s’accommoder d’une culture d’extrême-droite nourrie de racisme et de violence. Le travail de mémoire imposé par le jeu du vieux commerçant londonien aura un aspect salvateur pour les deux autres jeunes plus sensibilisés aux valeurs humaines par leur entourage : une jeune fille serbe victime du conflit des Balkans et un frère engagé dans les casques bleus.
Connu sous le pseudonyme Tentacle Eye,Antoine Carrion, vient précisément de l’industrie du jeu vidéo. Malgré quelques imprécisions dans le trait, il sert avec souplesse et légèreté le propos de ce livre exigeant.
Une vidéo réalisée par le scérén CNDP en 2010 rappelle les enjeux de l’ouvrage Christian Lehman.
Les 120 planches de ce plaidoyer contre la guerre et la banalisation de la violence se lisent avec plaisir et… un certain effroi ! En reliant notre époque gavée de virtualité et de superficiel avec l’horreur des conflits passés, ce nouvel ouvrage des éditions Rue de Sèvres confirme son souci de produire une bande dessinée de qualité qui illustre ici en substance la célèbre maxime de Winston Churchill : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Et hélas pas dans un jeu vidéo...
(par Patrice Gentilhomme)
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