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Roger Leloup ("Yoko Tsuno") (1/3) : « Je n’ai pas toujours été très heureux chez Hergé »

Par Jean-Sébastien CHABANNES le 12 mai 2014                      Lien  
Est-ce parce que Roger Leloup se livre volontiers que l’on trouve dans les médias finalement peu d’interviews de cet auteur incontournable ? Même si nous n'avons pas la réponse, il était temps d’y remédier, car du haut de ses quatre-vingt ans, le père de Yoko Tsuno est toujours aussi disert. Début d'une interview en trois parties.

Yoko Tsuno partage votre vie depuis maintenant presque 46 ans. D’où vous est venue l’idée de créer ce personnage ?

J’étais chez Hergé à l’époque. Hergé produisait moins et je sentais bien qu’il fallait que je fasse quelque chose sous mon nom pour essayer de me dégager. J’ai alors travaillé pour Peyo avec Francis [= Francis Bertrand. NDLR] sur "Jacky & Célestin". Ces histoires passaient dans la revue belge Le Soir illustré. J’avais en projet une histoire de « Jacky & Célestin » qui s’appelait « L’Araignée qui volait » et qui racontait comment nos héros aidaient un Japonais, inventeur de robots. J’ai eu l’idée d’adjoindre à ce personnage une sœur un peu jolie. Enfin, je la trouvais jolie à l’époque. ( Rires ) Elle maniait le judo et l’aïkido, tout en dentelles et froufrous et puis… Pif ! Paf ! En deux temps trois mouvements, les autres étaient à terre !

Parallèlement à cela, je travaillais à la télévision belge pour Hergé. Armstrong allait mettre le pied sur la lune et Hergé voulait faire une émission avec une animation sur « Objectif lune / On a marché sur la lune ». Et là, j’ai eu l’idée du « Trio de l’étrange » le premier album de Yoko Tsuno, avec les personnages Pol, Vic et Yoko, la scripte. Je me suis dit que pour le personnage de Yoko, je réutiliserais bien la Japonaise que j’avais déjà créée pour « Jacky & Célestin ».

Roger Leloup ("Yoko Tsuno") (1/3) : « Je n'ai pas toujours été très heureux chez Hergé »

Je lui ai juste donné en plus un goût pour l’électronique. Tout simplement parce qu’à l’époque, le Japon, était numéro un dans ce domaine !

Ensuite, j’ai quitté Hergé pour aller me présenter chez Dupuis qui m’a proposé un projet pour un journal allemand d’une dizaine de pages avec mes trois personnages (Pol, Vic et Yoko). Finalement, les Allemands ne l’ont pas pris parce que c’était trop « science-fiction » pour leur journal. Alors j’ai dit à Dupuis : « Euh… vous êtes bien gentils mais en attendant le résultat des Allemands, je dois gagner ma vie ! ». Ils m’ont répondu : « Bon ! Prenez le personnage le moins important… » (Ton amusé) « … et faites des histoires courtes, ça vous rôdera ! » Et je les ai pris au mot. Il y eu un sondage des lecteurs du journal et paf, Yoko a bousculé tout le monde ! ( Rires ) Alors évidemment, Dupuis m’a dit : « Plus question de Vic et Pol ! Ils seront là, mais c’est Yoko Tsuno que l’on veut maintenant ! ». Voilà comment Yoko a démarré. C’est un petit peu le lecteur qui l’a accepté tout de suite.

Bon, au début elle était un petit peu plus maladroite que maintenant, elle était aussi plus caricaturale. Avec les encouragements de Dupuis, j’ai ensuite fait la Yoko que je voulais, ça a donné le deuxième album « L’Orgue du diable » où elle a tout de suite changé.

Vous avez travaillé quinze ans au studio Hergé. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette époque ?

Un regard émerveillé et un autre un peu triste parfois. Je vais être franc, je n’ai pas toujours été très heureux chez Hergé. Vous savez, mon premier album de bande dessinée, c’était « L’Île noire ». C’est un album que je connaissais déjà bien. Pendant la Seconde Guerre, ma tante était libraire, elle habitait à côté de chez moi. Elle avait toujours des vieux Tintin, ceux avec des images collées. Un jour où j’étais malade, cloué au lit, ma mère m’a ramené « L’Île noire ». J’étais subjugué ! Enfant, j’aimais jouer avec des avions que je construisais avec des petites croix en bois. Je ne savais pas qu’un jour je redessinerai tous les avions de « L’Île noire » chez Hergé ! Ça a été incroyable.

J’ai d’abord commencé à travailler pour Jacques Martin. J’habitais Verviers à l’époque, une petite ville en Belgique près de la frontière allemande. Martin avait épousé une Verviétoise qui habitait plus bas que chez moi. Je les connaissais donc bien. Martin cherchait un collaborateur pour l’aider pendant les vacances. J’ai alors commencé à travailler avec lui et finalement, il m’a demandé de rester. On travaillait pour Hergé sur la collection des chromos « Voir et savoir - Tintin raconte ». Et puis un jour, Hergé a trouvé qu’il était idiot d’avoir des gens qui travaillent pour lui si loin de lui. Il a donc décidé de réunir toute son équipe dans son studio. Mais moi, à ce moment là, j’ai dû partir à l’armée (dix-huit mois de perdus). Et puis quand je suis rentré, je suis directement parti travailler chez Hergé... Et j’y suis resté quinze ans !

Quand vous travaillez pour un grand bonhomme, au début c’est formidable. J’ai fait des décors de Tintin et tout ce qui était technique : des autos, des avions… Et puis, à mesure que le temps passait, il y eu des moments où il y avait beaucoup moins de travail ! Même rien à faire… Vous n’avez pas idée de ce que c’est que d’être payé pour ne rien foutre. C’est quelque chose qui est plutôt déplaisant, démoralisant. Heureusement, je dessinais les décors d’Alix… J’étais très proche d’Hergé dans le travail, et aussi pour d’autres raisons : on parlait souvent musique. Et finalement, puisqu’Hergé allégeait sa production future, j’ai décidé de voler de mes propres ailes. Je me souviens quand je l’ai quitté, j’ai été le trouver et je lui ai demandé :

- « Monsieur Hergé (je l’appelais Monsieur), est-ce que vous m’aimez bien ? »
- « Oh oui Roger, je vous aime bien. Qu’est ce qu’il y a ? »
- « Eh bien ! Vous me rendriez la liberté ? »
- « Je ne vous l’ai jamais prise » a-t-il répondu. « Qu’est-ce que vous allez faire ? »
Je suis allé chercher les deux premières pages de Yoko et il a été évidemment surpris !
- Il m’a dit : « Ah, mais ! Il y a encore du travail à faire ! »
- « Ça je le sais »
- « Eh bien faites attention, une femme dans la bande dessinée, ça n’a jamais marché ! »
- « Je vais essayer, on verra bien. » (Amusé)
- « Si cela ne va pas, vous êtes toujours le bienvenu ici ! Votre place est gardée au chaud. »

C’était gentil de sa part. Mais je n’ai pas toujours été heureux chez Hergé, parce que je ne faisais pas ce que voulais. J’ai beaucoup travaillé par exemple sur l’avion le Carreidas dans « Vol 714 pour Sydney » mais ça n’a pas été toujours comme ça. Vous savez, chez Hergé, ça volait toujours plus haut. Donc, pour moi ça n’allait pas du tout ! Ce n’était pas possible. Je voulais progresser, je voulais… C’est comme les enfants qui quittent un jour la maison pour fonder eux-mêmes un foyer, je voulais avoir mon personnage. J’ai eu peur bien entendu, mais enfin, je suis parti, quoi ! Voilà.

Avez-vous des regrets ? Comme par exemple ne pas avoir pu développer à l’époque vos propres projets personnels…

Eh bien, je vais vous dire, je n’en avais pas ! Parce que Hergé, c’était un mythe ! Vous êtes chez Hergé et vous vous dites : « Qu’est-ce que je pourrais faire tout seul quand je suis chez un homme pareil ? » Vous comprenez, c’est un peu ça ! Comme le gosse qui a un père musicien célèbre et puis qui fait le même métier ! On renvoie toujours au père. Vous voyez, ce n’est pas facile. Après mon départ, j’ai continué à avoir des contacts avec M. Hergé ! Il a eu la gentillesse pour les 50 ans de Tintin de m’inviter à partager ce moment avec lui à la télévision. C’était très gentil. À la mort d’Hergé, la direction de Casterman m’a dit :

- Vous pouvez venir chez nous maintenant, Hergé n’est plus là !
- Comment ça ?
- Ben oui, il n’est plus là. Il ne fera plus obstruction à ce que vous veniez chez Casterman.

Je pensais que travailler chez Hergé était un plus pour moi, mais en réalité, Casterman ne souhaitait pas m’engager parce qu’ils ne voulaient pas me voler à Hergé (par peur d’avoir Hergé sur le dos). Ce n’était pas vraiment la faute d’Hergé : Dupuis aussi m’a dit : « Il ne sera pas fâché Hergé que vous veniez chez nous ? ». J’ai répondu « Mais non ! ».

Alors oui, travailler chez quelqu’un qui est au-dessus des autres, ça ne vous favorise pas l’accès à la liberté. C’est peut-être moi qui me fais des idées mais je suis certain qu’on ne m’a pas engagé parce que j’étais chez Hergé tout simplement. Pour ne pas importuner M. Hergé… Mais enfin, je m’en suis sorti, hein ? ( Rires )

Yoko Tsuno se retrouve souvent confrontée à des aventures basculant le lecteur dans la science-fiction. Vous considérez vous comme un auteur de genre ?

Quand vous créez un personnage, instinctivement vous lui donnez vos goûts. J’ai beaucoup lu quand j’étais jeune. Vous savez, à quatorze ans j’avais avalé « Les Grandes Espérances » de Dickens, les romans des sœurs Brontë, H.G. Wells, et évidemment comme tout le monde Jules Verne. Ma tante était libraire, je vous l’ai dit. J’allais dans les rayons chercher ce que je voulais, y compris ce que je ne devais pas lire. ( Rires ) J’ai beaucoup lu et j’ai toujours aimé la science-fiction.

« J’ai beaucoup travaillé sur l’avion le Carreidas » (Vol 714 pour Sydney)

Pendant la guerre, les Allemands ne permettaient pas qu’on édite de livres anglais. Mais à la fin de la guerre, on a vu arriver toute une littérature américaine de science-fiction. On a été inondés avec des trucs plutôt mauvais. Mais la « Guerre des mondes » de Wells, ça m’a passionné. A l’époque, j’allais à l’école d’arts à Saint-Luc, j’étais à l’aise pour les cours de croquis. On allait au musée pour dessiner et moi, je dessinais la grue qui était en face… (amusé) Et j’avais zéro ! J’ai toujours aimé la mécanique, comme un Caterpillar, les insectes, tout ce qui bouge avec des pattes. Les insectes sont des mécaniques merveilleuses. À côté de ça, je faisais des aquarelles, je lisais de la poésie, j’aimais la musique classique. J’ai aussi en moi ce petit côté romantique. J’adorais le livre « Les Légendes du Rhin » que j’avais découvert dans la bibliothèque chez ma mère (un livre qu’elle avait gagné à un prix et qu’elle n’a d’ailleurs jamais ouvert). J’ai toujours eu des goûts à la fois pour la science-fiction pure et pour le fantastique. J’aimais des gens comme Jean Ray ou Wells qui faisait plutôt de l’anticipation. Également les romans d’Edgard Poe que je trouve magnifiques. Évidemment, traduit par Charles Baudelaire, c’est superbe.

J’ai reporté tout cela dans l’univers de Yoko. J’ai alors commencé à alterner les genres : d’abord de la science-fiction pure avec l’histoire des Vinéens dans le premier album… D’ailleurs, pour les Vinéens, je dois vous raconter : ils ne sont pas arrivés là par hasard ! Quand je suis parti de chez Hergé pour Dupuis, je me suis offert une bronchite infectieuse. Boum, paf ! Au lit avec 39,5°C de température ! Plus la force d’écrire, mais Dupuis réclamait son scénario ! Je me suis dit « Zut, quand j’étais petit au lit, je me racontais une histoire : j’étais le chef des peaux brunes sur une autre planète ». Je vais lui envoyer ça et on va bien voir. Je vais juste changer peau brune en peau bleue. Je m’attendais à ce qu’ils me disent juste « C’est bien ». Et j’ai reçu une lettre : « Magnifique, commencez ! ». Ils étaient emballés ! Comme quoi, il faut avoir une bonne bronchite infectieuse pour commencer en bande dessinée. ( Rires )

Dessin de l’auteur réalisé pendant l’interview

Ensuite, j’ai alterné à partir du deuxième album avec une histoire plus terrestre « L’Orgue du diable ». Ce changement de style sur mes deux premiers albums était évidemment très intéressant pour moi. Et j’ai repris l’histoire des Vinéens sur le troisième album « La Forge de Vulcain ». C’est assez amusant parce que les lecteurs qui aimaient bien la science-fiction me réclamaient les Vinéens et ceux qui préféraient le fantastique me disaient : « Ah non, j’aime mieux les histoires terrestres ! ». Cela a toujours été difficile de satisfaire tout le monde. Donc j’ai continué à alterner jusqu’à l’album « La Frontière de la vie ».

Au sujet des Vinéens, dans le dossier en supplément de « L’ Astrologue de Bruges », vous parlez justement de l’origine du nom de la planète Vinéa.

Oui, ça sort du salon de coiffure (c’était chez moi à l’époque). Dans ce salon, il y avait de la crème Vinéa : Nivéa. ( Rires ) Petit, j’étais dyslexique et j’appelais ça de la crème Vinéa. Sur une affiche publicitaire du salon, il y avait une naïade, une fille genre Esther Williams en maillot moulé blanc qui tenait au dessus de la tête un gros ballon « Nivéa ». Le soleil avait entièrement décoloré la fille ! Elle était devenue bleue. Je m’étais imaginé que si on mettait de la crème Nivéa on devenait bleu. (Amusé) En cherchant un nom pour ma planète, j’ai pensé à Vénus et Vinéa m’est revenu. C’est un beau nom de planète, Vinéa ! Un jour mon médecin traitant qui aimait bien Yoko, m’a dit : « Mais vous ne devez pas raconter ça ! ». Pourquoi ? « Parce que vous êtes un extra-terrestre ! Vous connaissez la planète Vinéa et vous n’avez rien à voir avec les crèmes de Nivéa. Vous tournez ça en ridicule, il ne faut pas le faire, c’est très mauvais ! » disait-il. Je vous rassure tout de suite : Nivéa ne m’a jamais offert de crème ! (Rires) Enfin voilà, c’est venu comme ça. Vous savez, si vous prenez un sèche-cheveux, vous pouvez en faire un désintégrateur… Je pense d’ailleurs que lorsque vous faites de la bande dessinée, tout s’acquiert dès l’enfance mais il faut attendre d’être adulte pour le raconter.

Votre enfance semble toujours être votre principale source d’inspiration ?

Pendant la guerre, j’ai vu un tas de machines incroyables : des trains de marchandises, des locomotives superbes entourées par les Allemands qui montaient la garde. Je voyais tout ça de mon jardin, sur le muret. Les Allemands étaient à peine à deux mètres de moi. Les machinistes me tendaient les bras, je sautais dans le vide et me retrouvais dans la cabine du monstre entouré de vapeur. Vous n’avez pas idée de ce que ça peut représenter ! J’étais passionné par les trains. Je rentrais à la maison entièrement crotté des pieds à la tête parce que je pelletais au charbon avec les machinistes. J’ai joué dans les tranchées, j’ai vu les avions, les bombardements, les maisons qui brûlent. On partait avec les louveteaux remettre des tuiles sur les toits des maisons. J’ai vraiment eu une jeunesse apte à développer l’imaginaire. À douze ans et demi - treize ans, j’ai pris des cours de peinture et j’allais peindre dans un grenier avec tout un groupe de joyeux lurons qui répétaient des pièces de théâtre. Ils répétaient les pièces pendant qu’on peignait ! Il m’arrivait de rentrer chez moi à trois heures du matin. Quand il y a des pièces de Feydeau qui passent à la télévision, je continue les tirades moi-même, je les connais par cœur. (Rires)

Je lisais beaucoup, j’avalais au moins deux livres par jour. Pendant les vacances, les jours de pluie, j’allais chez ma tante. Je prenais une chaise longue, je mettais une couverture sur moi et puis je lisais. Je m’isolais, je lisais, je lisais : Jules Verne et plein d’autres choses dont une collection qui s’appelait « Fleuve noir ». Ce n’était pas génial mais c’était de la science-fiction. On partait sur des planètes, c’étaient mes rêves…

Les albums de Yoko Tsuno regorgent de détails que ce soit dans le domaine de l’automobile ou de l’aéronautique. Comment procédez vous pour arriver à ce niveau de réalisme ?

D’abord, je suis un emmerdeur pour les gens qui ne font pas de mécanique. J’adore la mécanique. Il faut toujours que je démonte pour voir comment c’est fait à l’intérieur. À l’armée, j’étais chef de char. Quand le char partait en maintenance, on ouvrait le moteur. Et bien, je m’arrangeais toujours pour partir avec le char. Je partais trois jours et je démontais moi-même l’engin avec les techniciens allemands. Autant faire ça plutôt que s’emmerder pendant un tour de garde. N’oublions pas que j’ai travaillé aussi avec Martin et Hergé, c’étaient des personnes qui avaient le souci du détail. Je me suis rendu compte que si on ne mettait pas assez de détails, les gens n’y croyaient pas. Un jour, j’ai dessiné une auto (je ne me rappelle plus le modèle) et un type m’a dit : « vous avez bien mis les détails, c’est bien le pot d’échappement qui a la largeur de ce modèle là, parce qu’il est spécial ! ». Moi, je n’avais jamais vu le véhicule en vrai, j’avais vu ça sur une photo. Il ne faut pas exagérer, je ne suis pas ingénieur, mais j’essaie de me montrer ingénieux. ( Rires) Je lisais aussi Wells « L’Homme invisible »… Un livre formidable aussi, c’est « L’Île mystérieuse » : Jules Verne y explique comment on fait de la poudre à canon. J’aime tout ce qui est technique, c’est dans ma nature de tout détailler. On m’a dit que j’exagérais parfois. Mais vous savez, maintenant, il y a beaucoup de dessinateurs qui détaillent très forts.

Enfin, ce que je ne supportais pas (et que je ne supporte toujours pas), c’est quand je lis un truc (même de science-fiction) dans le quel on fait n’importe quoi, où qu’on raconte n’importe quoi. Il y a un film qui s’appelle « Transformers ». Et bien, si vous mettez au ralenti, vous verrez : ils ont trichés ! Ça ne peut pas se remettre ensemble. Ça se voit que ce n’est pas possible. Par contre, quand vous voyez les petites voitures Transformers que fabriquent les Japonais, que vous les pliez et que ça fait un robot, là c’est magnifique !

Vous avez raconté la genèse de Yoko dans « L’Écume de l’aube » (1993) sous la forme d’un roman. Pourquoi avoir choisi ce genre littéraire plutôt que la bande dessinée ?

C’est une bonne question. Yoko c’est ma fille, si je puis dire, ma fille de papier. Mais vous n’êtes jamais le père d’un enfant si vous n’avez pas vécu son enfance. Il y a longtemps déjà, je voulais raconter l’histoire de Yoko. J’avais envie d’écrire un livre mais pas à la manière japonaise… : de façon un peu plus littéraire, plus poétique. La bande dessinée a ses limites. Si je racontais l’enfance de Yoko en dessins, et bien j’enquiquinerais tout le monde parce qu’il n’y aurait pas assez d’action. Moi, je voulais entrer dans la tête de Yoko, dans son âme de petite fille qui grandissait. C’est d’abord les cerisiers roses puis les belles bougies d’anniversaire. Et au fur et à mesure que le livre avance, je change le style car je n’ai plus affaire à une petite fille mais à une adolescente. J’avais envie d’écrire ça. Il a fallu évidemment illustrer le livre parce qu’on ne m’aurait pas pardonné de ne pas y mettre des illustrations de Yoko (elle est avant tout un personnage graphique). C’est un beau livre je crois. En fait, avec ce livre, je me suis offert un bol de tendresse.

Je vais vous confier quelque chose : quand je le lis, je redescends retrouver ma femme et elle me dit « Mais, tu t’es frotté les yeux ? Ils sont tout rouges. ». Je n’ose pas lui dire que j’ai pleuré ! (Rires) Ça me le fait à chaque fois parce que je vois Yoko vivre, je vois ce qu’elle fait. Parfois il y a des choses amusantes : l’urne funéraire de son oncle par exemple. Il y a moyen de se marrer mais ça me touche, quoi ! Est-ce qu’elle représente un peu la petite sœur que je n’ai pas eue ? Peut-être, ça doit être quelque chose comme ça… Mais là, on entre dans l’âme des personnages. Dans la bande dessinée vous donnez le décor, vous donnez l’aspect du personnage. Je représente tout graphiquement et du coup, le lecteur n’a pas besoin de faire d’effort pour imaginer. Tandis que lorsque vous écrivez, vous entrez dans l’âme des personnages. C’est un peu le lecteur qui se crée lui-même ses propres tableaux. C’est un petit peu ça que j’aime. J’ai eu un prix pour le roman, le prix Saint-Exupéry, j’en ai été très heureux. Mais ce n’était pas mon premier roman. Le premier c’était avec l’androïde Tyo dans le « Le Pic des ténèbres ». Là aussi, j’ai eu un grand prix de science-fiction et j’étais très heureux. Bon ! Et j’ai fait tout ça pour quoi ? Je vais vous le dire : parce si un jour je suis handicapé de la main (pour une raison ou pour une autre), si je ne peux plus tracer, je pourrai toujours écrire. Voilà !

Propos recueillis par Anthony JEGOU et J-Sébastien CHABANNES
Interview réalisée par J-Sébastien CHABANNES

http://pabd.free.fr/ACTUABD.HTM

(par Jean-Sébastien CHABANNES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Le Carreidas 160 Jet...par Roger Leloup

Illustrations : (c) Roger Leloup / Dupuis
Photos : DR

 
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14 Messages :
  • Est-ce parce que Roger Leloup se livre volontiers que l’on trouve dans les médias finalement peu d’interviews de cet auteur incontournable ?

    Peut-être plutôt « ne se livre pas » ?

    Répondre à ce message

    • Répondu le 12 mai 2014 à  16:11 :

      C’était :

      Est-ce parce que Roger Leloup se livre volontiers dans sa bibliographie que l’on trouve dans les médias finalement peu d’interviews de cet auteur incontournable ?

      Répondre à ce message

      • Répondu par jacques Langlois le 12 mai 2014 à  22:49 :

        A peine plus clair ! Vous ne confondriez pas "bibliographie "(c’est-à-dire la liste des choses écrites sur Leloup, pas bien nombreuses à ma connaissance) avec un mot plus ancien et, somme toute, plus simple : "oeuvre" ?

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        • Répondu par Maitre Capello le 14 mai 2014 à  04:23 :

          avec un mot plus ancien et, somme toute, plus simple : "œuvre"

          Mot "œuvre" qui, dans cette acception est masculin d’ailleurs.

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        • Répondu par chris le 14 mai 2014 à  08:23 :

          Et bien, il aurait été bien plus judicieux de mettre l’intégralité de cette phrase, plutôt que de donner à lire la première mouture... qui porte à confusion !

          Répondre à ce message

  • "Eh bien faites attention, une femme dans la bande dessinée, ça n’a jamais marché ! » dixit Hergé.!Evidemment. La seule femme dans Tintin est une chanteuse hystérique et narcissique.
    Gros misogyne réac !

    Par contre, quelle belle héroïne que Yoko Tsuno.Roger Leloup est un dessinateur féministe.

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    • Répondu par Jocelyn Jalette (Québec) le 13 mai 2014 à  01:58 :

      "Gros mysogine réac !" ???? C’est un peu fort. C’est surtout un homme de son temps, né en 1907 ! qui a beaucoup évolué. Et avec la loi de juillet 1949, pas facile de faire vivre à l’époque un personnage féminin en BD.

      Répondre à ce message

      • Répondu par JiGet le 13 mai 2014 à  08:27 :

        Tout à fait, Jocelyn ! Hergé a été modelé par son environnement et son époque et il faut le lire en tenant compte de ça.
        Cela dit, il n’a pas beaucoup accueilli de personnages féminins dans son hebdomadaire ... Lui faisaient elles peur ?

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      • Répondu par Buffalo le 13 mai 2014 à  09:34 :

        Rubens , un homme de son temps peignait des femmes bien dodues, bien grassouillettes et ventripotentes parce que c’était la norme de la féminité, à cette époque -là. Hergé n’en a dessiné qu’une : grosse, hystérique et narcissique parce qu’il n’AIMAIT PAS les femmes.
        Rubens les AIMAIT.Voilà la différence.
        Ca n’a donc rien à voir avec l’ époque d’Hergé, ni la loi machin.

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        • Répondu par Robert le 13 mai 2014 à  16:00 :

          Hergé n’AIMAIT PAS les femmes.

          Dire qu’Hergé n’aimait pas les femmes est faux, totalement. Il a été marié deux fois, a eu de multiples maitresses (pauvre Germaine) et Fanny était une sublime jeune femme (et c’est toujours une belle femme) dont il est tombé éperdument amoureux. Qu’il est eu des accointances avec des homos n’enlève rien au fait qu’Hergé aimait beaucoup les femmes, il les dessinait d’ailleurs très bien dans le supplément mode du Vingtième Siècle.

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        • Répondu le 13 mai 2014 à  19:17 :

          Vous jugez avec vos yeux de 2014. À l’époque d’hergé, outre l’influence de la pensée ambiante, il y avait des lois, en France surtout, restreignant énormément la liberté des créateurs. Ainsi des gouacheurs étaient engagés pour effacer les poitrines des personnages féminins des bd américaines (flash Gordon, milton caniff...). Le ministère de l’intérieur français ne permettait pas de montrer les femmes sous un jour féminin. N’oubliez pas qu’à la sortie de la guerre, les femmes n’avaient pas le droit de vote, et qu’il a fallu attendre les années 60 pour qu’elles puissent ouvrir seules un compte en banque, sans avoir besoin de l’autorisation de leur mari ou père. Les temps changent, ne l’oubliez pas.

          Répondre à ce message

          • Répondu par chris le 15 mai 2014 à  10:39 :

            Je me range sur le dernier post. Hergé était moins libre que les auteurs de bandes dessinées d’aujourd’hui vis à vis de la représentation de la gente féminine. On assiste de nos jours à une véritable chasse aux sorcières ; Hergé a vécu comme il le voulait. C’est tout. Soyons respectueux envers une personne qui n’est plus là pour répondre. Et quelle personne est exempte de toute vérité ? La phrase qu’Hergé avait dit à Roger Leloup s’avérait fausse... et alors ? Tant mieux pour Roger Leloup !

            Ce serait bien que les modérateurs de ce site interviennent un peu plus pour épurer certains propos orduriers.

            Répondre à ce message

  • S’il vous plait… C’est sur Yoko que je me suis exprimé et si j’ai cité d’une manière amusante mon départ des Studios Hergé, c’est pour expliquer ma décision de travailler en solitaire à faire vivre Yoko… Je n’ai aucune honte à révéler ce que j’ai dessiné sous la demande d’Hergé mais jamais je ne me permettrai d’entrer dans sa vie privée...

    J’ai toujours gardé un profond respect à Hergé de son vivant et lui une grande confiance en moi… et même beaucoup envers Yoko… Quant à Fanny, sa gentillesse passée, présente et à venir, mérite grande attention …

    Tintin et Hergé sont devenus des mythes en BD et des « Graals » en littérature biographique… Et les propos rapportés depuis des livres écrits pour se rendre intéressant (à leurs dépends) n’ont pas leur place ici…Merci d’y penser et de vous limiter à Yoko…qui est bien loin de tout cela…

    Si vous voulez vivre plus près d’Hergé…Ouvrez un album Tintin… C’est plus sain !

    Roger Leloup

    Répondre à ce message

    • Répondu par Oncle Francois le 15 mai 2014 à  12:30 :

      Vous avez bien raison, cher Monsieur Leloup, de réagir de cette façon. Votre vie est basée sur l’amour du dessin et du respect de vos lecteurs, mais si beaucoup d’entre eux partagent à juste titre vos valeurs, une minorité se complait elle dans la fange de la calomnie, du dénigrement, et de l’insulte. Très cordialement. Francois Pincemi

      Répondre à ce message

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