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Uri Fink : « "Une Région enragée" est en quelque sorte une réponse au livre de Joe Sacco. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 juin 2006                      Lien  
Niché dans la bulle des fanzines à Angoulême, Uri Fink est passé inaperçu lors de l'édition 2006. Nous avons pourtant pu nous procurer un exemplaire de l'ouvrage qu'il a réalisé avec Gabriel Etinzon et qu'il a édité à compte d'auteur. Ce livre important méritait le coup de pouce que nous lui donnons aujourd'hui.
Uri Fink : « "Une Région enragée" est en quelque sorte une réponse au livre de Joe Sacco. »
Sabraman, super-héros juif
créé par Fink à 15 ans.

ACTUABD : Vous n’avez quasi rien publié en France. En Israël, en revanche, vous êtes une sorte de célébrité. Quel a été votre parcours ?

URI FINK : Je suis né en 1963 et j’ai commencé ma carrière de dessinateur BD à l’âge ingrat de 15 ans, avec la création du premier superhéros israélien, Sabraman. Un héros de style américain conçu tout particulièrement pour les communautés juives anglophones à l’étranger. Après cinq numéros, ce personnage-gadget idiot perdit de son charme et la série disparut. Après trois ans à l’armée, j’ai fait mes études à l’Académie des Arts Bezalel à Jérusalem et, pour gagner quelques sous, j’ai créé la série BD Zbeng pour le journal Maariv Lanoar. A cette époque, Gabriel [Etinzon] vivait en Israël et nous avons beaucoup travaillé ensemble. Il a contribué à certaines idées à l’origine de ces premières histoires. Au début, Zbeng n’était qu’une bande qui servait de bouche-trou quand il n’y avait pas de publicité mais, très vite, les lecteurs en ont redemandé et la série passa à trois pages hebdomadaires. Elle a actuellement son propre magazine. En 1989, le premier recueil annuel des aventures de Zbeng fut publié et devint un best-seller en librairie, comme la plupart des 18 tomes qui ont suivis. Je suis devenu le premier dessinateur israélien qui gagnait sa vie grâce à la BD !
En 18 ans d’existence, Zbeng fut utilisé sur des produits scolaires : agendas, cartes d’échange, cahiers et, plus tard, à la suite de la diffusion d’une série télévisée qui en était tirée, d’autres produits ont porté son effigie tels que des draps ou des sous-vêtements... Mais le plus grand mérite de Zbeng est d’avoir introduit l’usage de la BD au sein de la jeunesse israélienne. Ces deux dernières années, Zbeng est devenu un magazine mensuel qui ouvre ses pages au talent de jeunes artistes de bande dessinée. Ce n’est pas un travail facile, mais je m’accroche !

Zbeng
Le personnage le plus notoire d’Uri Fink.

En dehors de Zbeng, j’ai également créé d’autres séries comme Super Shloomper, Profile 107, Pizza Morgana, Shabtay, Le Golem et bien d’autres personnages sous la forme de livres, de bandes dessinées, mais aussi sur le web.
J’ai également pris part à un projet inspiré de la Haggadah de pessah [1] et autres histoires bibliques présentées sous forme de bandes dessinées. En 1996, alors que Bibi [Benyamin] Netanyahou était à la tête du gouvernement, j’ai commencé à publier une série politique, Le livre de la jungle, une BD politique annuelle qui malheureusement n’a pas trouvé son public. J’ai également essayé de faire un livre politique en anglais appelé FINK !, toujours avec la collaboration de Gabriel, et j’ai monté une très petite maison d’édition Hippy Comix mais les Américains ne l’ont pas appréciée à sa juste valeur.
J’ai également eu l’honneur de faire partie du jury du « Concours israélien de bande dessinée antisémite » aux côtés Art Spiegelman et d’autres grands artistes [2] .
En ce qui concerne Une Région Enragée, je l’ai publié alors que le marché en Israël est très restreint pour ce genre d’ouvrage et que la culture BD y est très peu développée. Dans mon pays, la BD est conçue comme un média pour enfants ou une forme d’art extravagante. Donc, il est presque impossible pour moi de trouver un créneau pour publier une BD politique. J’ai toujours admiré la BD française pour sa variété de styles et de sujets, et je suis également conscient de l’intérêt du public français pour le Moyen-Orient. Par conséquent, j’ai pensé qu’un livre comme Une Région Enragée pouvait trouver une audience ici. En plus, j’ai un ami et collaborateur de longue date - Gabriel Etinzon - qui vit en France, au parfum des centres d’intérêt des Français et je savais, de ce fait, que les sujets abordés ne seraient pas complètement inconnus du public.

Ganriel Etinzon nous a dit qu’Une Région Enragée est en quelque sorte une réponse à Palestine, une Nation occupée de Joe Sacco. Comment avez-vous ressenti cet ouvrage ?

Au début, j’avais de la réticence à l’acheter lorsqu’il est paru en 1996. Mais lors d’une convention à San Diego en 2000, j’en ai finalement acquis un exemplaire que M. Sacco m’a même dédicacé. Après l’avoir lu, je me suis dit que j’aurais sans doute fait un livre semblable à cette époque. Néanmoins, actuellement, je pense à ce livre avec une certaine nostalgie. La nostalgie d’une époque où tout était plus clair, où l’on savait qui étaient les méchants et puisque c’était nous qui étions les méchants, je pensais qu’il nous suffisait de changer et que tout serait merveilleux. Mais ces dernières années nous ont prouvé que la partie adverse avait aussi sa dose se stupidité, de racisme et de fanatisme, et que les choses sont devenues beaucoup plus compliquées.

Gabriel Etinzon et Uri Fink, les auteurs de "Région enragée" à Angoulême 2006.
Photo : DR

Vous dites, dans votre album, qu’ « Israël est un bon sujet ». Comment expliquez-vous cette polarisation des médias pour votre pays ?

Il y a un dicton ici qui dit que « les Juifs alimentent les nouvelles ». Donc une nation juive ne peut que nécessairement susciter de l’intérêt. Cet endroit minuscule est bourré de lieux saints pour les trois grandes religions. Il semble aussi que cette région soit la source du grand conflit culturel tellement à la mode ces jours-ci...

Il y a, dans votre livre, une scène dans laquelle vous faites une parodie de Maus qui est une critique de la manière brutale dont Tsahal procède dans sa « guerre contre le terrorisme ». Est-ce que cette critique est bien perçue en Israël ?

Nous n’avons aucune illusion en Israël concernant le comportement de nos soldats vis à vis des civils palestiniens. Tout le monde sait que ce n’est pas plaisant. Mais, à travers Maus, j’ai pu mettre le doigt sur le fait que contrairement aux chats nazis de l’histoire de Spiegelman, les taureaux israéliens ne viennent pas là pour exterminer une population mais pour essayer, très maladroitement et sans succès, de protéger leurs concitoyens contre les terroristes. Ils deviennent des « taureaux dans un magasin de porcelaines » en faisant plus de mal que de bien. J’ai voulu montrer à quel point les comparaisons entre les soldats israéliens et les nazis sont outrageuses et indécentes. Beaucoup de gens seraient encore vivants si les Allemands, lors de la Deuxième Guerre mondiale, avaient adopté les valeurs israéliennes d’aujourd’hui.

Les Foudémentalistes
Extrait de l’album "Région enragée". (c) Uri Fink.

Votre position est plutôt proche de la gauche israélienne. Dans une vignette, vous vous adressez à votre père, rescapé de la Shoah et fondateur de l’état d’Israël. Lui aussi, dites-vous, a été un terroriste. Mais vous lui faites dire : « Quelles que soient les circonstances, il ne faut jamais perdre son humanisme ». Vous avez l’air de vivre une histoire compliquée...

Mon père a été un combattant au sein de l’organisation de la Haganah qui représentait le courant majoritaire de la population juive avant la création de l’état d’Israël. En tant que combattant, il s’est battu contre les milices armées arabes qui ont attaqué son village et aussi peut-être saboté quelques postes britanniques. Certains groupes marginaux se sont engagés dans des actes terroristes à cette époque, mais mon père les a toujours détestés, tout comme une grande partie du public. Je considère mon père comme l’exemple même de quelqu’un qui a souffert, qui s’est battu, qui a perdu une grande partie de sa famille et a cependant refusé de détester les Arabes. Il a toujours détesté les extrémistes et aimé la paix. En bref, il est resté humain. Donc, quand je vois les fanatiques chevillés par la haine qui tuent délibérément des enfants et gagnent dans le même temps des élections démocratiques, je pense qu"ils pourraient apprendre quelque chose de mon père.

Une page de "Une Région enragée"
de Uri Fink avec la collaboration de Gabriel Etinzon.(c) Uri Fink.

Votre album a été publié à compte d’auteur. Comment peut-on se le procurer ?

Rien de plus facile : Envoyer 5 Euros (Les frais d’envois sont compris, dans la limite des stocks disponibles) à :
Gabriel Etinzon
6, Rue Pablo Picasso
78280 Guyancourt
France
L’album est disponible en français, mais aussi en anglais. Gabriel se fera un grand plaisir de vous en adresser un exemplaire à réception de votre commande. Nous serions également très heureux d’avoir des contacts avec des distributeurs ou des maisons d’édition qui seraient intéressés par le livre. De même, nous serions ravis de participer à des congrès, festivals ou tout type d’événements qui voudraient nous inviter...

Voyez-vous vivre un jour des Israéliens et des Palestiniens en Paix ?

Bien entendu, pourquoi pas ? Nous, Israéliens, nous avons réussi à surmonter un bon nombre de nos complexes et de nos obsessions en démantelant les colonies et en acceptant le fait qu’un État palestinien est une bonne solution. C’est maintenant au tour des Palestiniens de faire un peu de thérapie, de ménager leur colère, et de surmonter quelques-unes de leurs craintes et de leurs phobies. Malheureusement, ils semblent récemment quelque peu en régression, mais il ne faut pas perdre espoir...

Propos recueillis par Didier Pasamonik et traduits de l’hébreu par Dorith Daliot - Rubinovitz , Catherine Etinzon et Gabriel Etinzon.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire aussi notre article : "Israël, une Terre enragée".

[1Le récit traditionnel de la sortie des Juifs d’Égypte. NDLR

[2Ce concours, diversement apprécié, tentait de faire pièce au concours de dessins d’humour sur la Shoah lancé par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. NDLR.

 
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