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Yoann (Spirou & Fantasio) : « Nous avons créé une nouvelle cassure entre Zorglub et Champignac ! »

Par Nicolas Anspach le 14 novembre 2011                      Lien  
{{Yoann}} et {{Vehlmann}} envoient Spirou, Fantasio, Champignac et bien sûr l’écureuil Spip sur la lune ! Ils s’éloignent avec brio des passages balisés d’un tel pitch pour nous entraîner dans un récit d’aventure et de science-fiction loufoque et décapant ! Un prétexte pour approfondir les relations entre Zorglub et Champignac. Le dessinateur s’en explique dans nos pages.

Un matin, Spirou, Fantasio et Champignac se réveillent... sur la Lune ! Profitant de leur sommeil, Zorglub les a emmenés là-bas afin de leur dévoiler ses nouveaux projets : construire le laboratoire le plus perfectionné du monde ! Et profiter de l’environnement lunaire pour y mener des expériences impossibles à tenter sur Terre. Pour financer son laboratoire sans recourir à des moyens illégaux, Zorglub a dû accepter d’installer également un parc d’attractions pour milliardaires...

Yoann (Spirou & Fantasio) : « Nous avons créé une nouvelle cassure entre Zorglub et Champignac ! »Yoann et Vehlmann entraînent les personnages mythiques de la série vers une voie plus aventureuse, tout en recadrant la personnalité de chacun, et particulièrement celle des deux savants. Champignac est arcbouté sur ses principes et sa pensée presque désuète, alors que le caractère exacerbé et mégalomane de Zorglub prend le dessus.

Le rythme cette histoire de science-fiction loufoque est haletant. Les lecteurs passent un excellent moment en compagnie du groom et de ses amis. Les fans de la série trouveront à y redire, mais le but avoué de l’éditeur et des auteurs pour cette reprise est de séduire un nouveau lectorat. Mission accomplie. Les auteurs donnent un véritable coup de jeune et un aspect plus grinçant et contemporain à Spirou et Fantasio. Yoann parvient à imposer son style, tout en respectant les codes graphiques de la série. Une réussite.



Comment avez-vous vécu la sortie de « Alerte Aux Zorkons » et l’accueil plutôt positif de la critique…

J’ai été honoré et ravi d’être le porte-étendard du groom aventurier. Spirou et Fantasio me tiennent profondément à cœur. Cette série, à travers les albums réalisés par son auteur-phare, André Franquin, a suscité ma vocation pour la bande dessinée. J’ai donc envie de la défendre et je n’ai pas ressenti de problème à être ainsi exposé pour parler de notre album.

La plupart des réactions sont effectivement positives. C’était une heureuse surprise. À vrai dire, nous nous attendions, Fabien Vehlmann et moi, à plus de réactions négatives. Nous pensions que le lectorat historique de la série était beaucoup plus obtus ! Certains avaient arrêté de lire la série après les albums de Jean-Claude Fournier. C’était un peu magique d’entendre des lecteurs nous dire qu’ils avaient redécouvert Spirou grâce à notre album. Surtout s’ils ont retrouvé leurs personnages. On a peut-être gagné une partie du match. Mais le défi consiste à capter le lectorat des enfants. Spirou a toujours été une bande dessinée jeunesse, tout public. Mais ce public doit se cultiver. Les lecteurs adultes de demain sont les jeunes d’aujourd’hui. C’est à eux que nous devons nous adresser en priorité…

Les monstres, c’est pour les attirer ?

Évidemment ! Mais nous n’allons pas en inclure à chacun des albums ! Fabien et moi-même sommes issus de la génération Alien, Terminator, Blade Runner, etc. Bref, de tous ces films avec des robots, des androïdes et des monstres. La série a toute les qualités pour faire des incursions dans la science-fiction. Les thèmes horrifiques sont souvent sous-jacents à ce genre. Qu’est-ce qu’il y a dans l’espace ? Dans les abysses ? Etc.


Spirou et Fantasio - La face cachée du Z par EditionsDUPUIS

Vous explorez cette veine d’une manière loufoque, ce qui permet de faire passer intelligemment des choses pas très … scientifiques !

Oui. Avec Alerte aux Zorkons, nous avions posé les bases pour rassurer les lecteurs. Le contexte était peut-être exubérant, mais nous nous retrouvions en terrain connu, avec les habitants de Champignac, le Maire, le Comte, etc.

Avec ce cinquante-deuxième album, nous sommes passés dans l’extrême. En fait, nous avons exploré la limite que l’on peut atteindre avec cette série. Nous n’irons sans doute pas au-delà. Zorglub reviendra sûrement, avec des projets tout autant inattendus. Mais la série ne va se transformer en un « space opera ». Nous allons baliser notre délire entre Alerte aux Zorkons et La Face cachée du Z. Cela nous laisse une sacrée marge pour trouver des histoires marrantes, intéressantes, intrigantes et surprenantes. Dans l’échelle de Richter de la loufoquerie, le prochain album sera entre ces deux récits !

Extrait du T52 de Spirou.

Quel est le processus pour la création d’une nouvelle histoire ?

Fabien me propose des idées, des directions de scénario. Je rebondis et il surenchérit ! Une fois que nous sommes d’accord sur une direction, les idées viennent naturellement. Nous nous parlons beaucoup. Je donne mon avis sur des situations ou sur l’évolution des personnages.

Par exemple, un personnage de la Face cachée du Z, Poppy Bronco, devait n’être qu’un chef de la sécurité légèrement inquiétant ! On s’est aperçu qu’il était important de le travailler plus en profondeur et de lui donner une personnalité, un passé. Nous avons versé dans l’humour en en faisant une caricature. Ce personnage répond par des phrases ultra-définitives. On mentionne même des titres de film de série B ou de livre, ou on peut retrouver ses aventures, lorsqu’il ouvre la bouche. C’est un mélange entre Chuck Norris, Arnold Schwarzenegger, Sylverster Stallone et Jean-Claude Van Damme. On a pris tellement de plaisir à l’animer que l’on aimerait animer ses aventures dans le journal de Spirou. Mais hélas, nous n’avons pas le temps…

Zorglub fait venir le comte, ainsi que Spirou et Fantasio, sur la lune. Pour quelle raison ?

Zorglub a une relation presque œdipienne avec Champignac et a un compte à régler avec lui. Ce dernier s’est, en quelque sorte, posé comme son précepteur et père spirituel. Zorglub ne parvient pas à le dépasser et à s’en détacher. Il est sous l’influence de Champignac aussi bien dans l’attirance que dans l’exclusion. Ils ont, selon toute vraisemblance, fait leurs études ensembles. Zorglub a toujours voulu l’épater. Or, Champignac se complaît à rabaisser sans cesse Zorglub. Lorsque ce dernier lui montre une invention scientifique, il est généralement moralisateur. Champignac balaiera d’un revers de main les efforts de son condisciple en disant : « C’est une belle invention scientifique, mais à quoi sert-elle ?  ». Ils sont en conflit permanent, d’autant plus que Champignac, lui, a toute la légitimité pour développer ses propres expériences. Nous avons souhaité montrer ce conflit entre les deux chercheurs.

Quand Zorglub enlève Champignac dans La Face cachée du Z, c’est pour lui montrer ce qu’il a réussi à faire sur la lune. Il est un peu comme un gamin de cinq ans qui a confectionné avec fierté un collier de nouilles pour son papa. Zorglub est fier d’avoir bâti quelque chose de grandiose sur la lune, sans même avoir utilisé la zorglonde ! Champignac le rabaisse aussitôt en lui disant que la manière dont il a obtenu les fonds pour son projet n’était pas très éthique !

Quelque chose se casse à nouveau alors entre les deux personnages. Zorglub a été aussi loin qu’il pouvait aller. Il prend conscience que Champignac ne sera jamais reconnaissant de son travail.

Nous avons voulu exploiter ce côté psychologique dans cet album.

Extrait du T52 de Spirou.

Vous aviez dessiné « Les Géants pétrifiés », votre vision des personnages de Spirou et Fantasio, avant de devenir le dessinateur officiel de la série. Vous êtes aujourd’hui obligé de suivre certains codes. Qu’avez-vous appris en étant confronté à un tel défi ?

La rigueur ! Et aussi à regarder vers d’autres auteurs. Beaucoup plus qu’avant, d’ailleurs ! Je redécouvre le travail d’Yves Chaland, par exemple. Il fut le meilleur repreneur de Spirou après André Franquin, même s’il n’a pas été au bout de son expérience. Son approche de Spirou, s’est transformée en Freddy Lombard. Chaland est redevenu à la mode et c’est à juste titre. Il a apporté beaucoup à la bande dessinée. Il m’apporte énormément en termes de rigueur, de composition, de lisibilité. C’est vraiment un modèle ! À chaque album de Spirou, j’essaie de m’améliorer et d’avoir cette rigueur. On n’a pas le droit d’être fainéant sur cette série. Si je juge qu’une case est moyenne, je dois la refaire. Je travaille beaucoup plus mes compositions, mes décors. Même si pour cette partie, je suis aidé par Fred Blanchard. Je fais des croquis, puis nous en discutons ensemble. Il réalise des compositions que je serais incapable de mettre en place, où qui me demanderaient beaucoup plus de temps pour un résultat moins intéressant.

Extrait du T52 de Spirou.

Vos couleurs sont réalisées par Hubert .

C’est un vieil ami ! Nous avons fait les Beaux-arts ensemble à Angers. À cette époque, j’invitais des amis artistes, de toutes les disciplines, pour réaliser des pages de BD. Hubert en a dessiné quelques-unes… Ninie Rezergoud était destiné à sortir en noir & blanc chez Delcourt. Je lui ai demandé de faire un essai couleur, qui fut très convaincant. J’ai donc sorti cette histoire en couleur et ce fut son premier travail dans la BD. Il était déjà porté sur la littérature à l’époque. Il apporte à Spirou une forte personnalité. C’est un véritable artiste, pas un « colorieur » à qui l’on donne des ordres précis.

Un design de Fred Blanchard.

Un coloriste peut mettre en lumière ou torpiller le graphisme d’un dessinateur …

Oui. Il y a toujours un danger de dénaturer un dessin à partir du moment où on le met en couleur. Vous pouvez mettre dix coloristes sur une même planche, il en ressortira dix résultats différents qui auront pour la plupart un intérêt. Mais certains vont dénaturer le travail du dessinateur en apposant trop d’effets… Il faut avoir un dialogue entre les deux parties et être en phase. J’ai une confiance absolue en Hubert. J’ai envie qu’il me surprenne sans cesse. Pour Spirou et Fantasio, nous fonctionnons en flux tendu. Je lui donne très peu d’indications par manque de temps. Et quand il me remet ses planches, je m’aperçois que tel uniforme n’a pas la couleur que je pensais… Je lui demande de changer, et cela l’énerve (Rires).

Hubert est un artiste, pas un exécutant, et il met sa personnalité dans Spirou. Du coup, cela crée une réaction auprès du public. Soit on adhère, soit on rejette son travail ! Certains me disent que les couleurs de La Face cachée du Z sont sombres et ternes. C’est loin d’être le cas ! Hubert a colorié ce Spirou d’une manière relativement classique : Je lui ai demandé de ne pas mettre d’ombre sur les personnages, d’être dans les aplats, de ne pas jouer avec les effets de matière ou de dégradé.

J’ai travaillé avec Delph sur les Géants Pétrifiés. Elle a fait un travail remarquable. Nous voulions alors des couleurs pétantes, presque « disco » années ’60, pour correspondre à l’aspect mordant de l’album. Nous pouvions donner notre vision de Spirou dans cet album et réaliser une aventure comme nous le sentions réellement. Sur la série-mère, on nous a demandé d’être plus classique. Les couleurs devaient donc être plus posées.

Quels sont vos projets ?

J’avais réalisé des aventures de Bob Marone pour Fluide Glacial avec Yann et Conrad. Nous allons faire une dernière histoire, et publier un album aux éditions Dargaud.

Par ailleurs, je signerai prochainement, avec Olivier Texier, un album aux éditions du Lombard. Capitain’z parlera de super-héros qui doivent gérer des pouvoirs assez nuls. Une sorte de X-Men pour les nuls (Rires).

Éric Omond et moi-même avons un huitième album de Toto l’ornithorynque en chantier. Mais cette série me demande beaucoup de travail et je ne peux pas réaliser la même année un Spirou et un Toto. Pour le moment, le groom des éditions Dupuis reste ma priorité. Mais Toto l’ornithorynque est loin d’être une série clôturée.

Yoann, au festival "Quai des Bulles" (Saint-Malo)
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire une interview de Yoann & Vehlmann : "Nous voulions revenir aux fondamentaux, car Spirou a été notre guide, notre repère !" (Septembre 2010)

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Lien vers le site de Yoann et le blog de Fabien Vehlmann


Illustrations : (c) Yoann, Vehlmann & Dupuis
Photo : (c) Nicolas Anspach.

 
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12 Messages :
  • Il n’y a rien à faire,j’ai beau essayer de me convaincre,je ne crois pas une seconde au Spirou de Yoann.
    Tout est dans l’entre-deux ,le presque,le forcé,j’oserai même la maladresse ,avec ce dessin qui flotte,les disproportions,le manque de griffe.L’encrage surtout n’est pas à la hauteur-les expressions en souffrent-surtout après l’excellent Munuera expert ès. Non y’a rien à faire.

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    • Répondu le 15 novembre 2011 à  21:53 :

      Je suis d’accord avec vous sur le dessin. Sur les pages présentées ici on dirait du Fabrice Tarrin mais vulgaire, avec des expressions tirées de Tchô (pas que de Zep) pour plaire aux mômes.

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    • Répondu par la plume occulte le 15 novembre 2011 à  23:51 :

      Peut être que le pictural Yoann ne sait pas "penser"en terme de trait.C’est une approche tout à fait différente,un autre schéma mental !Lui son approche "naturelle"est probablement la tâche d’encre,l’aplat de noirs.

      Les regrettés (mais toujours bien vivants)Tome et Janry ont superbement utilisés cette école du dessin à un moment donné dans Spirou .Notamment dans l’album la frousse aux trousses.Yann et Conrad aussi ,de manière somptueuse ,dans les premiers récit des Innommables "Matricule triple zéro"et" Shukumei" .Vraiment fabuleux !

      Il est peut être là le vrai chemin de Yoann.Et là on verrait....

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  • Yoann a été vaincu par Spirou. Il a abdiqué de son style pour finalement faire du produit standardisé. C’est très dommage car il y a un potentiel au départ, mais il refuse l’obstacle en quelque sorte (ça se voit que je fais du cheval ?).

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    • Répondu par sd le 17 novembre 2011 à  23:45 :

      Il faut laisser le temps au temps : les premiers Fournier n’étaient pas aussi marqués que les derniers, de même pour les Tome et Janry.

      Je lui accorde le bénéfice du doute d’autant plus facilement que dans les Zorkons il fait souvent illusion en donnant à croire qu’il se coule dans le moule, mais certaines postures sont souples et pas si fidèles au canon de la série.

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      • Répondu par Octave Nice le 20 novembre 2011 à  01:27 :

        Fournier avait 25 ans quand il a repris Spirou et Fantasio. Le faiseur d’or était pas mal, et Du Glucose pour Noémie, son 2nd album, était réussi (à mon avis). Janry et Tome avaient 25 ans quand ils ont fait mouche dès leur 1er album "Virus".
        Yoann a 40 ans. Vehlmann 39. Je veux bien "laisser le temps au temps".... Mais faut pas qu’ils traînent. P’t-être est-il déjà trop tard ? Le 1er album était pas mal, le 2nd nettement moins bien. (Mais je suis partial... comme vous !)

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        • Répondu par sd le 22 novembre 2011 à  13:42 :

          "Laisser le temps au temps"... de se glisser dans le moule. L’âge ne fait rien à l’affaire :)

          En passant je viens de l’acheter et de le lire dans la foulée. C’est un régal, iconoclaste et bondissant. Mais tous les goûts sont dans la nature.

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  • Je trouve dommage personnellement que la relation Champignac/Zorglub ait régressé à ce stade. Cette vision "œdipienne" de leur relation était peut-être valable dans les albums de Franquin mais il me semblait clair après Panade et Champignac que les deux personnages ont évolué dans leur rapport à l’autre. Je pense par exemple, à la fin du Réveil du Z où l’on sent ce réel "apaisement". Dommage.

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    • Répondu par Matthieu V le 16 novembre 2011 à  11:28 :

      Tout a fait d’accord : je rêve d’un album de Spirou où Zorglub sauve la mise devant un Champignac dépassé, plutot que de revenir en éternel "méchant/irresponsable". Peut-être une idée pour ceux qui font des "Spirou vu par..." puisqu’ils peuvent se permettre ce que la série-mère ne semble pas oser.

      Fichez donc la paix à ce pauvre -mais néanmoins génial- Zorglub !

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      • Répondu le 16 novembre 2011 à  11:39 :

        C’est un peu ce qui s’est passé à la fin de Tora Torapa, au fond. :)

        Pourquoi n’exploitent-ils pas le Zorglub "gentil" comme Fournier a su le faire ?

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        • Répondu par Matthieu V le 16 novembre 2011 à  13:26 :

          Vous avez raison, j’avais oublié Tora Torapa. Fournier est largement sous-estimé dans ses Spirous.

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          • Répondu le 21 novembre 2011 à  21:55 :

            Le scénario de Tora Torapa était basé sur une idée de Franquin (c’est pour ça qu’il avait mis le radar en sommier sur le toit du château de Champignac).

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