Uderzo, préfacier de ce livre, prétend que « le talent de ce dessinateur et le succès de Boule et Bill n’est plus à démontrer ». Pour le succès du duo familial du Journal de Spirou, on est prêts à le suivre. En ce qui concerne la reconnaissance artistique de Roba, cela reste encore à prouver. Celui-ci attend encore un Grand Prix à Angoulême, une académie fortement représentée par les Parisiens, il est vrai. Il peut pourtant y prétendre pleinement.
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, la modestie naturelle du dessinateur. Roba fait partie de ces gens qui ont vécu dans l’ombre des grands dessinateurs de l’École de Marcinelle, qu’il admire sincèrement. D’ailleurs, il leur doit tout : Peyo lui fournit le texte du premier conte qu’il illustre pour Le Journal de Spirou, Franquin lui offre ni plus ni moins la possibilité d’entrer dans le monde de la bande dessinée par la grande porte, en lui proposant de devenir son assistant. Cette déférence aux anciens qui lui ont permis d’entrer dans la carrière pousse Roba à les encenser plutôt qu’à se mettre en avant.
Un influence discrète
L’autre raison est que Roba vient de la publicité. Pour certains amateurs de BD, c’est presque une marque d’infâmie. Son dessin léché, ses lettres parfaites, sa mise en page d’une évidente lisibilité, tout cela est trop propre pour être artistiquement honnête. Or, c’est précisément par ces qualités que Roba, comme Will, a profondément influencé la BD belge de l’âge d’or. Apportant à ce genre autarcique les ficelles des techniques de la communication publicitaire, comme Jacobs a pu le faire avec sa connaissance du théâtre ou encore Van Melkebeke et Duchâteau avec leur science du roman populaire, Roba et Will ont apporté au Journal de Spirou (et de Tintin dans le cas de Will) un incontestable sens de la lisibilité, une audace dans l’usage de la couleur, une esthétique parfaitement en phase avec la modernité de leur époque, des techniques enfin -de l’illustration à la gouache en couleur directe à la mine de crayon au grain parfaitement maîtrisé qui faisait l’admiration de ses commanditaires, comme de ses lecteurs- qui donnaient à ces hebdomadaires une cohérence graphique alors peu fréquente dans les publications pour la jeunesse. Cette qualité artistique n’a pas peu contribué à sortir la BD de sa gangue populaire où le vulgaire se disputait à l’anecdote artistiquement sommaire.
Family strips
La dernière raison est peut-être aussi la tradition dans laquelle s’inscrit le dessinateur de la Ribambelle. En créant Boule & Bill, il reprend un standard qui avait fait florès aux Etats-Unis : le Family Strip. Né dans les quotidiens, ce genre avait ses lettres de noblesse : The Katzenjammer Kids (« Pim, Pam, Poum » en France) de Knerr et Dirks, Bringing Up Father de Géo McManus, Blondie de Murat Bernard "Chic" Young, The Peanuts de Charles Schultz... Roba récupère ce genre propre aux BD américaines (et que Franquin avait développé un temps avec Modeste & Pompon) pour le transposer dans le style rond qui le caractérise, lui aussi héritier d’une longue lignée : « ...ma famille artistique se compose d’un grand-père, Walt Disney, d’un père, Joseph Gillain et d’un grand frère du nom d’André Franquin... » dit-il. Et puis, il y a ce coup de patte, cette habileté du trait humoristique fondé sur le dessin réaliste, marque de fabrique de l’école belge qui la distingue des écoles américaine et japonaise : « Cette faculté peut se comparer au swing en musique, nous dit Walthéry qui témoigne dans cet album : on l’a ou on ne l’a pas. Jean Roba l’a indéniablement. » Les dizaines d’illustrations parfois inédites qui parcourent cet album rétrospectif en témoignent pleinement.
Aujourd’hui, Jean Roba est à la retraite. Il profite de la vie, ayant laissé la destinée de Boule & Bill à un talent de la nouvelle génération, Laurent Verron. Cette première monographie jette un peu de lumière sur ce géant discret de l’école belge.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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