« LE BEAU EST TOUJOURS BIZARRE ». Quelle petite merveille que ce volume des Fleurs du mal dans sa version de 1857 illustré par Bernard Yslaire ! Ce n’est pas une bande dessinée et ce n’est évidemment pas la première fois que l’auteur de Sambre rencontre le grand poète, figure centrale du mouvement romantique au XIXe siècle.
Ce révolutionnaire dans l’âme (il assiste, parfois comme acteur, au déroulement de la Révolution de 1848, à la naissance de la brève Deuxième République puis au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte) s’impose avec fougue dans l’Olympe de la poésie de son temps face à Hugo, « hélas » disait Gide, impressionnant autant Verlaine que le jeune Rimbaud. Ses Fleurs du mal ne se contentent pas d’affronter les titans de la littérature : au même titre que Madame Bovary, il doit essuyer les foudres du procureur Pinard fustigeant avec véhémence cette littérature « scandaleuse. »
Tout cela pioché parmi d’autres œuvres de l’époque romantique, Yslaire l’avoue en dix-neuvièmiste autodidacte, a produit les images de la saga de Sambre.
Dans la postface de l’ouvrage, le dessinateur bruxellois raconte comment le recueil de Baudelaire n’a « jamais quitté [s]a table de chevet imaginaire. » Comment un projet de biographie du poète du bizarre initié avec Jean-Claude Carrière a été sur l’écheveau des années durant jusqu’à ce que le décès de l’écrivain l’interrompe brutalement. Cela donna néanmoins le livre émouvant Mademoiselle Baudelaire (Aire Libre, Dupuis), l’amour cachée du poète invisibilisée à sa mort par son entourage.
Dans un sentiment d’inachevé, ou encore parce l’œuvre dégueulant comme un volcan, ne cessait de lui susciter des images, apparut la révélation que dans ce cénotaphe cryptique que constituait Les Fleurs du mal, figuraient toutes ses vérités -les apparentes et les cachées. L’illustrer, se laisser porter par ses métaphores, ses parfums de mystère, ses emportements et ses complaintes, ses effluves enivrées de tous les sens, lui apporteraient plus de satisfaction que l’énumération des faits de sa biographie.
Cela donne un album délicieusement décadent, crépusculaire, suranné, d’outre-tombe, beau, et donc bizarre. Romantique, en somme.
DP
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