Le registre du super-héros invincible n’a jamais été très crédible en bande dessinée. Aussi, des auteurs ont rivalisé d’inventivité pour donner des faiblesses à leurs personnages aux super-pouvoirs et ce, afin de ne pas tuer d’emblée tout suspense quant à l’issue de chaque aventure. Que l’on songe par exemple aux effets de la kryptonite et de la lumière rouge sur Superman ; aux éclats d’obus coincés dans la poitrine d’Iron Man le contraignant à porter un électro-aimant pour survivre ; ou aux rhumes inopportuns de Benoît Brisefer, qui l’empêchent temporairement d’utiliser sa force surhumaine.
Si ces héros perdent leurs forces ou leurs pouvoirs à leurs corps défendant, il est plus surprenant qu’un personnage doté d’un pouvoir extraordinaire cherche à tout prix à le perdre, et n’aspire qu’à être normal... C’est pourtant ce qu’a imaginé Quentin Lefebvre avec Handman qui, comme son nom l’indique, a des mains particulières : accidentellement touchées par des produits polluants, leur force décuple et le rendent insensible à toute forme de douleur. Loin d’en tirer parti, Mickaël, alias Handman, jusqu’alors lycéen anonyme et sans histoire, est terrifié par ce corps qu’il ne contrôle plus, et qui laisse de surcroît quelques traces visibles qui conduisent le lycée entier à s’interroger sur l’identité de cet élève qui est parvenu à graver la trace de ses mains dans le béton en tombant accidentellement... avant de s’enfuir, terrorisé.
Quentin Lefebvre est un Aixois de 24 ans, initialement formé à l’enseignement aux arts appliqués et à l’image en Savoie où, touchant de près divers arts graphiques, il développe un intérêt particulier pour la bande dessinée au point de s’y spécialiser durant trois ans à l’école d’arts Saint-Luc de Liège. Il faut sans doute voir dans cette formation les raisons d’un décor et d’un trait réalistes, des personnages au visage expressif, rendant l’histoire lisible grâce aussi à un découpage déjà bien assuré.
Derrière des décors de temps à autre dépouillés, des personnages au caractère simple et des dialogues parfois légers, on sent poindre une patte, dans la lignée de cette bande dessinée franco-belge dont Quentin Lefebvre revendique l’héritage. Délibérément naïf dans la forme, mais naïf au bon sens du terme, un naïf qui nous ramène à la volonté initiale de raconter une histoire pour divertir, sans autre ambition que celle de faire s’évader les lecteurs.
Handman est un projet ancien, né durant l’adolescence de l’auteur : peut-être est-ce d’ailleurs pour cette raison que l’action du tome 1 est centrée sur la vie au lycée et son quotidien.
Voulant, depuis sa genèse, mener ce projet seul et à sa façon, Quentin Lefebvre a pris en main la réalisation de cet album. Lauréat d’une bourse auprès de l’association d’entrepreneurs Adise Actives, il a entièrement auto-édité et imprimé le premier tome de Handman, en partie grâce à ce soutien financier.
Cette liberté aboutit à un album au format original (47 planches, format 17 x 24, couverture souple) dont il assure ensuite lui-même la promotion, initialement sous forme de dépôt/vente auprès de quelques commerces savoyards, puis en organisant diverses séances de présentation du projet et de dédicaces, dans un périmètre plus large.
C’est donc lui-même qui sollicite ActuaBD et envoie Handman, accompagné d’un dossier de presse fait maison... Le deuxième tome, qui devrait paraître en fin d’année prochaine, pourrait suivre un cheminement plus conventionnel. Entre un dessin encore maladroit et un sens commercial bien aiguisé, du travail de pro en somme. La recette sera-t-elle gagnante ?
(par Damien Boone)
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