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Beuriot & Richelle : « La banalité est beaucoup plus terrifiante que l’horreur exubérante et débridée »

Par Morgan Di Salvia le 3 septembre 2009                      Lien  
Débutée en 1997 dans les pages de la revue {A Suivre}, la série {Amours fragiles} de Jean-Michel Beuriot & Philippe Richelle voit paraître un quatrième album intitulé {Katarina}. Drame sentimental sur les années sombres du nazisme, la série atteint l’équilibre délicat entre tragédie et romance.

La Seconde Guerre mondiale, ses origines, ses conséquences et ses implications, hante toutes les littératures depuis soixante ans. En bande dessinée, elle trouve un écho particulièrement brillant dans les pages de la série Amours fragiles écrite par Philippe Richelle et dessinée par Jean-Michel Beuriot. Au plus proche du quotidien, les auteurs dressent le portrait de Juifs allemands confrontés à la montée du nazisme puis à son installation totale et destructrice dans toute l’Europe.

Beuriot & Richelle : « La banalité est beaucoup plus terrifiante que l'horreur exubérante et débridée »
La couverture du premier tome de la série
avait été dessinée par Denis Bodart

Le projet naît dans A Suivre, mais le journal est mourant. La série s’interrompt en cours de réalisation du deuxième épisode, avant que le premier album ne soit publié. A la suite d’une mésentente avec son éditeur, Beuriot décide de déposer le crayon et d’abandonner la bande dessinée pour se consacrer à l’enseignement. Par la force des choses, le projet est relégué au placard. Malgré tout, le tome 1 va paraître : Beuriot l’a terminé avant de claquer la porte. Denis Bodart en dessine la couverture, et est pressenti pour assumer la succession.

L’accueil est triomphal. La rigueur du scénario, la finesse du dessin, vont rapidement faire du « Dernier printemps » un album précédé d’une excellente réputation. Au point de décrocher le Prix de la ville de Genève en 2001. C’est l’occasion pour Philippe Richelle de convaincre son partenaire de l’accompagner pour recevoir la récompense. La magie opère, Beuriot revient sur sa décision d’abandonner la BD : le duo se reforme, la série reprend.

Jean-Michel Beuriot & Philippe Richelle
auteurs de la saga "Amours fragiles"

Quelques jours avant la commémoration de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne hitlérienne et le vibrant hommage prononcé par la chancelière Angela Merkel aux victimes du régime nazi, nous avons rencontré Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot qui nous ont livrés leurs impressions à l’occasion de la parution de Katarina, quatrième album de la série.

La première question qui vient à l’esprit lorsqu’on lit Amours fragiles, est liée à la précision du récit. Que représente votre travail de documentation ?

Illustration inédite
© Beuriot

Jean-Michel Beuriot : C’est un travail énorme car nous voulons soigner chaque détail. Je ne suis pas spécialement en quête d’images exceptionnelles, mais, au fil des années, j’ai accumulé des milliers d’images d’époques qui nourrissent mes planches. Mon objectif est que mon dessin colle à l’époque que nous racontons.

Philippe Richelle : De mon côté, vu l’intérêt que je porte à cette période de l’histoire, je lis quantité de travaux historiques, de témoignages,… Je recoupe mes sources et j’essaie de suivre les recherches les plus récentes. C’est une part très absorbante du travail préparatoire, mais c’est avant tout un plaisir. Il arrive très régulièrement que des personnages de la série naissent à la suite d’une lecture.

Cette abondante bibliographie doit alors vous aider dans votre recherche de l’équilibre entre drame et sentiments, ce qui a longtemps été l’apanage des grands drames hollywoodiens…

Richelle : C’est une réflexion que je ne m’étais jamais faite jusqu’ici, mais c’est juste. De grands films américains comme ceux de Billy Wilder ou Frank Capra sont des films d’émigrés européens, donc proches de notre sensibilité. En tout cas, ce qui est certain effectivement, c’est que nous recherchons cet équilibre entre le drame et les sentiments du quotidien.

Ex-libris réalisé à l’occasion du tome 1
© Beuriot - Richelle - Casterman

Il y a des moments d’intense tension dans votre série. Vous les traitez avec une grande économie de moyens qui se révèle finalement terrifiante…

Beuriot : Je crois à la ligne claire. Souvent on me qualifie de dessinateur « classique », je trouve que c’est une qualité. Comme il y a un cinéma classique, il y a un dessin de bande dessinée classique, héritier d’Hergé, de Tardi et d’autres. Ce dessin se concentre sur l’histoire, sur l’expression des personnages. La lisibilité permet de raconter des choses exceptionnelles, d’entrer plus dans les subtilités. J’essaie d’alléger mes planches, d’éviter les perspectives. Dès que j’ai un point de fuite, je l’enlève. J’essaie d’aplatir l’image pour la rendre plus lisible et la styliser. Je cherche l’ambiance, le lieu habité. Pour les scènes de tension psychologique, comme l’interrogatoire dans le tome précédent, il faut trouver l’angle juste, sans en faire trop. Dans cette scène, deux fonctionnaires nazis de la Gestapo interrogent une secrétaire. Ils sont assez froids, neutres. Ce ne sont pas des caricatures, ils ne disent rien de vraiment méchant, ce sont plutôt des sous-entendus. Des menaces de perdre son travail. Des sous-entendus un peu souriants. La banalité est beaucoup plus terrifiante que l’horreur exubérante et débridée.

Vous allez donc continuer à ne pas montrer la violence physique dans les planches à venir de votre histoire ?

Beuriot : Oui, on s’en tiendra à cette ligne. Dans le prochain album, une scène se passe sur le front russe. Nous sommes convaincus qu’il est possible de raconter cet épisode en évitant de montrer les scènes d’horreur qui s’y sont passées. On se concentrera sur la souffrance du soldat : le froid, la solitude, l’éloignement de sa famille. Le simple fait d’avoir froid ou d’être loin de sa famille, c’est déjà horrible en soi. Je pense que ça touche plus l’homme contemporain que celui qui a connu la guerre.

Savez-vous déjà comment la série s’achèvera ?

Beuriot : « Nous souhaitons rester dans le registre de la tragédie et de la dénonciation politique.

Richelle : Les derniers nœuds de l’intrigue sont d’ores et déjà définis. Mais il faudra patienter jusqu’au huitième et dernier album.

Un extrait de "Katarina", quatrième album de la série
© Beuriot - Richelle - Casterman

Propos recueillis par Morgan di Salvia

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Par ailleurs, signalons que le second volume d’Opération Vent Printanier, récit de Philippe Richelle et Pierre Wachs consacré à la rafle du Vel’ d’ Hiv’ paraît simultanément chez Casterman.

Photo © M. Di Salvia

VOIR EN LIGNE : Le blog de la série

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