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Eleonora Takacs (Association hongroise de la BD) : "il y a dix ans, il n’y avait pas de bande dessinée sur le marché hongrois du livre"

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 juillet 2013                      Lien  
Où l'on découvre qu'il existe des pays où la bande dessinée est quasi ignorée, qu'il s'y trouve quelques hérauts qui s'échinent à la promouvoir, à la diffuser et à lui reconstituer une tradition... Rencontre avec Eleonora Takacs, présidente de l'Association hongroise de la bande dessinée, promotrice de la bande dessinée en Hongrie.
Eleonora Takacs (Association hongroise de la BD) : "il y a dix ans, il n'y avait pas de bande dessinée sur le marché hongrois du livre"
La Tétralogie du Monstre de Bilal publiée chez Harmadik

Quelle est la situation de la bande dessinée en Hongrie aujourd’hui ?

Depuis quelques années, les éditeurs n’éditent presque plus de BD. Lorsque les éditeurs se sont mis en publier il y a dix ans, il n’y avait pas de bande dessinée sur le marché hongrois du livre. Zéro. Quelques journaux en publiaient, mais c’est tout. L’album en soi, n’existait pas. Pour pallier à cette situation, Antal Bayer et moi-même -nous sommes deux passionnés de BD et nous sommes entrés en contact grâce à l’Internet- avons créé il y a neuf ans le premier festival de bande dessinée en Hongrie.

Antal Bayer a publié une anthologie comprenant des auteurs internationaux, parmi lesquels un certain nombre de francophones. L’Institut Français et la Librairie Française nous ont soutenus. Le retentissement de cette première manifestation a été incroyable, il y avait vraiment beaucoup de monde. C’est comme cela que les éditeurs hongrois ont pu voir qu’il y avait un public potentiel, un noyau de fans, surtout parmi les jeunes. Parmi ceux-ci, des vocations se sont créées, certains ont commencé à publier, à un tirage très modeste, leurs bandes dessinées préférées ! Ce n’étaient pas des professionnels, juste des fans ! Ils ont publié par exemple Le Petit Cirque de Fred !

Comment se distribuaient-ils ?

C’est précisément pourquoi nous avons créé une Association de la Bande Dessinée hongroise qui gère cela, car les grandes librairies hongroises du genre FNAC refusaient de prendre ces labels car ils considéraient que les bandes dessinées n’étaient pas des livres ! Par exemple, ils refusaient La Tétralogie du monstre d’Enki Bilal sous le prétexte qu’il y avait trop de femmes nues. Antal Bayer a multiplié les conférences pour expliquer que la bande dessinée était le 9e Art, qu’elle remportait du succès partout dans le monde, qu’elle n’était ni vulgaire, ni débile. Voilà où nous en étions il y a dix ans. Le festival aidé à médiatiser cela. C’est comme cela que l’on s’est rendu compte qu’il y avait un public pour la bande dessinée, que les gens avaient besoin de cela car notre génération a connu Pif, Rahan, et même en hongrois, pas seulement en français. Les premières éditions d’Astérix et de Lucky Luke en hongrois avaient été publiées... en Serbie, pour la minorité hongroise de Yougoslavie !

"Tamás bátya kunyhója" (La Case de l’Oncle Tom), une BD de Imre Sebök tirée du best seller de l’auteure américaine Harriet Beecher Stowe, un classique de 1969 réédité chez Wimdom.

Bien entendu, il y a neuf ans, les premières BD traduites ont surtout été américaines : Sin City, Superman, Batman, Spider-Man, X-Men, Star Wars... Mais c’est tout. Seulement des titres notoires. Mais les droits américains sont très chers et nos tirages très petits : la langue hongroise est peu pratiquée dans le monde [1]. Ces livres disparaissent très rapidement des librairies car leur tirage est de maximum de 1000 à 2000 exemplaires, rarement plus.

Parmi ces ouvrages, on trouve très peu de bandes dessinées pour la jeunesse. Nous travaillons là-dessus en ce moment. Vous savez, j’ai étudié dans une école française en Algérie quand j’étais petite. J’y ai découvert Boule & Bill, Tintin, etc. Quand je suis rentrée à Budapest, j’ai lu dans la médiathèque de l’Institut Français tout ce qui correspondait à mon âge. J’avais accès à tout ce qui me plaisait... en français ! Aujourd’hui, je lis Guy Delisle, des auteurs qui sont de ma génération... Mais les jeunes Hongrois n’ont pas cette chance, ils ne peuvent pas apprendre à lire dans Titeuf ou Gaston !

Eleonra Takacs à Paris en juin 2013
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Astérix aux Jeux Olympiques en hongrois chez Egmont
La traduction est de Antal Bayer

Il y a quelques bandes dessinées jeunesse, cependant : Astérix...

Oui, et puis aussi Barbie, quelques BD de Walt Disney. Astérix a été publié il y a trois ans. Mais j’ai pu constater sur le stand que les enfants n’y touchaient pas ! Depuis que Spielberg a fait Tintin, cependant, il semble que ce personnage ait gagné de l’intérêt chez nous. Les films aident beaucoup à la diffusion de ces personnages.

Il n’y a pas de dessins animés avec ces personnages à la TV ?

Les personnages américains de Cartoon Network, d’autres peut-être. Le cas à part, ce sont les mangas : une communauté est en train de se constituer qui mange des sushis, lit des mangas et fait du Cosplay, mais en dehors de la sphère de la bande dessinée. Les lecteurs de mangas ignorent complètement notre festival mais leur implantation est très importante chez nous, bien que cela ait baissé ces derniers temps.

Vous fêtez l’année prochaine les 10 ans de votre festival...

Oui, la bande dessinée francophone en sera d’ailleurs l’invitée d’honneur. En 10 ans, notre événement a eu un succès en dent de scie. Il y a cinq ans, la fréquentation, était très importante, nous avons dû étendre notre événement sur deux jours. Nous avions des moyens, des éditeurs qui nous soutenaient..., le paradis ! Mais avec la crise économique, le nombre des éditeurs de bande dessinée s’est réduit à une peau de chagrin. Les Hongrois sont dans une problématique de survie, la bande dessinée n’est pas leur priorité en ce moment : c’est un produit de luxe. De plus, les ouvrages qui sont publiés sont de belle qualité, pas du tout des produits populaires. La raison de cela, c’est que la majorité des lecteurs de bande dessinée dans notre pays sont des collectionneurs. Avec la Palme d’Or de Marjane Satrapi pour Persepolis, on a pu constater un regain d’intérêt de la part de lectrices. Cet ouvrage a été un relatif succès en Hongrie.

Parmi les succès en librairie aujourd’hui, il y a les grandes bandes dessinées hongroises du passé [2], publiées dans les journaux jadis et recueillis en albums aujourd’hui, qui remportent un certain intérêt auprès de lecteurs nostalgiques qui les font découvrir à leurs enfants. Ce sont des adaptations littéraires le plus souvent. En comics, le grand succès du moment est Walking Dead, comme partout dans le monde. Les super-héros du grand écran sont très présents : Iron-Man, Spider-Man...

Quel est le chiffre d’affaires de la BD en Hongrie ?

C’est d’autant plus difficile à évaluer qu’aucun éditeur ne donne ses chiffres !

Est-ce qu’il y a en Hongrie, comme en France, une bande dessinée alternative émanant d’auteurs, ou des bandes dessinées qui se publient sur des blogs, qui se font connaître par l’Internet et qui sont capables, comme cela se voit en Italie ou en Espagne, d’arriver à se faire publier dans d’autres pays que leur pays d’origine ?

Le problème, c’est que les auteurs doivent vivre. Ils ont rarement le temps de produire des bandes dessinées à côté de leur travail alimentaire de tous les jours : ils sont storyboardeurs, illustrateurs, graphistes pour la publicité... Ils sont tellement mal payés qu’ils n’ont pas la possibilité de se constituer en association et d’éditer leur travail. Il y a eu récemment une expérience de ce genre qui publiait un titre par an et qui, aujourd’hui, est financée par la chaîne de librairies Libri. Ce sont les premiers à publier des auteurs hongrois contemporains. Antal Bayer publie à compte d’auteur des anthologies qui font la promotion de la bande dessinée. Et puis il y a des fanzines, des publications photocopiées vendues lors des quatre rencontres que nous organisons chaque année.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

[1La Hongrie compte à peu près 10 millions d’habitants.

 
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7 Messages :
  • "... qui s’échinent à la promotionner"... HORREUR !
    à la "promouvoir" serait en français plus correct et beau.
    Je sais qu’on est en période de soldes et autres promotions mais quand même...

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    • Répondu par Sergio SALMA le 25 juillet 2013 à  14:18 :

      Le terme existe , il faudra s’y faire . Il est apparu certainement à cause de la conjugaison "hasardeuse" du verbe promouvoir . On promeut, il promeut, ils promeuvent. Et le participe passé c’est quoi ? Promu. Bof n’est-ce pas. Vous avez déjà entendu quelqu’un dire ça ? Non. Quand un mot est ringardisé, incompréhensible, compliqué, le tri est vite fait ; les mots sont faits pour être compris.

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      • Répondu le 25 juillet 2013 à  20:28 :

        Salut,

        Surprenant commentaire, M’sieur Salma.

        "Untel a été promu chevalier des arts et lettres"

        "Untel a été promotionné chevalier des arts et lettres"

        Lequel des deux avez-vous entendu généralement (exclusivement, devrais-je dire) ?...

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        • Répondu par Sergio SALMA le 26 juillet 2013 à  10:24 :

          Vous avez raison ; il y a donc différentes acceptions. Et quand on parle de l’affaire commerciale, le terme promotionner est plus explicite. Pour votre exemple (pertinent) on entend d’ailleurs dans beaucoup de cas que Untel a été fait chevalier des arts et lettres.

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      • Répondu par OW le 26 juillet 2013 à  20:36 :

        C’est avec cette mentalité que le verbe soutenir disparait au profit de supporter, à cause du sport et du terme anglais
        supporter. Pourtant ma belle-mère j’ai du mal à la supporter, pas à la soutenir.

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        • Répondu par Sergio SALMA le 27 juillet 2013 à  01:10 :

          Vous ne supportez pas la nouvelle femme de votre père ? Ou bien la mère de votre femme ? Mother -in-law serait donc plus clair. Les Anglais ayant stepmother et mother-in-law, parfois ils ont raison vous savez. Tout notre langage est fait d’adaptations permanentes, les mots ont une durée de vie très limitée ; il faut se réjouir de ces mélanges. De quelle mentalité parlez-vous ? Je voyage un peu et les mots s’exportent, s’importent. Votre discours sur la pureté de la langue françoise est ma foy assez plaisant, palsambleu de saperlipopette. Rassurez-moi, vous avez 115 ans ?

          PS : votre "soutenir" est déjà utilisé notamment dans le langage technique. C’est un peu comme le terme "tolérance". On ne tolère pas un pollen mais pourtant on est bien obligé de tolérer ceux qui ne pensent pas comme nous.

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          • Répondu par Azerty le 27 juillet 2013 à  11:00 :

            Vous avez raison Monsieur Salma : ce sont d’ailleurs effectivement des souteneurs qui dirigent les maisons de tolérance, donc vous voyez, tout est logique !

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