Le dessin de Marcelino Truong ressort de la Ligne Claire : trait stylisé et détaillé, appuyé sur une documentation sans faille, camaïeu de couleurs paisibles et élégantes.
Ce style de dessin a une vertu : on peut lui faire raconter des choses terribles avec une certaine distanciation. Et il en faut pour raconter la lente conquête du Sud par le Nord, au prix de centaines de milliers de morts tués dans une guerre atroce, enjeu des intérêts et des idéologies dominantes. Truong va à rebours des clichés qui se sont insidieusement placés dans notre subconscient, par l’intermédiaire de chansons pop -des Beatles à Joan Baez, de Bob Dylan à Country Joe & the Fish- qui font que les Sud-Vietnamiens sont perçus comme des fachos à la solde de l’impérialisme américain et "l’Oncle Hô" comme une icône de la paix. Les choses sont moins simples évidemment.
Elle le sont d’autant moins pour Marcelino, issu d’une fratrie de quatre enfants et qui affronte tout cela dans ses plus jeunes années. Il doit vivre avec une mère à la santé mentale fragilisée par la Seconde Guerre mondiale et un père qui voit son passé s’effacer lentement mais sûrement, dans l’angoisse de la situation des parents restés au pays, dans la nécessité de se retrouver un boulot qui lui permet de nourrir sa famille, repartant de zéro, lui qui avait fréquenté les plus hautes sphères du pouvoir.
Cette descente feutrée aux enfers, sommes toutes très bourgeoise, affecte directement le frère aîné de Marcelino, Domi, qui ne résiste pas à cet écroulement des valeurs d’autant plus rejetées qu’elles se perpétuent encore dans les usages familiaux, alors que tout autour, l’amour libre, le Flower Power, l’usage permissif des drogues et l’envoûtant chemin de Katmandou semblent si tentants.
Tout cela, Marcelino Truong le raconte d’une façon posée et simple dans cette autobiographie qui tient du roman d’initiation. L’alignement des chromos n’aseptise pas le propos. C’est quelquefois la gorge serrée et les larmes aux yeux que l’on parcours ce livre, l’un des plus émouvants de la saison.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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