Mais pourquoi donc une voiture, vous demanderez-vous ? Pour le symbole de réussite sociale ? Pour trimbaler une famille pléthorique ? Pas du tout. Le tandem espagnol qui signe ce récit nourri d’un quotidien assommant en fait le symbole de la liberté. Celle de notre témoin principale, fictionnelle mais largement inspirée de rencontres étalées sur une année. Pedro Riera a en effet profité d’un séjour professionnel offert à sa femme pour l’accompagner et témoigner. En l’occurence, cotoyer et écouter des femmes, étouffées par des lois, rarement officielles, d’un autre âge.
Avec 24 scènes courtes, efficaces, saisissantes, Riera éclaire le quotidien d’une anesthésiste célibataire, aux prises avec les règles implacables du régime yéménite, non seulement dans la vie de tous les jours, mais aussi dans sa famille. Dans les deux cas, l’homme est roi, lui qui peut autoriser un mariage, une sortie, ou bien nuire à une réputation en un coup de fil.
Des stratégies matrimoniales aux relations familiales tendues, on navigue dans un monde asphyxié par une vision déformée de l’Islam. Le port du niqab, voile intégral qui ne laisse voir que les yeux, fait partie des obligations. Dès la puberté. Une des grandes qualités de la voiture d’Intisar, c’est notamment de montrer comment les femmes utilisent aussi ce semi-anonymat dans leur intérêt : ne pas être reconnue, importunée, ou se faire passer pour une autre...
Avec un dessin typé reportage BD, rapide et minimal, seulement habillé de trames discrètes, Nacho Casanova se met tout entier au service du témoignage. Rien de beau, ni d’exotique, et encore moins de plages romantiques.
Aussi indispensable que ces 180 pages de tranches de vie, les annexes (en fin d’album) nous rappellent les lois de ce régime phallocrate et une réalité plus étonnante : l’emprise du qat (une plante proche d’une drogue quand on la mâche continuellement) sur la grande majorité de la population, surtout masculine...
(par David TAUGIS)
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