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Laura Simonati (Mariedl, une histoire gigantesque) : "Ce genre de prix nous légitime et nous aide à mener notre carrière" [INTERVIEW]

Par Christian MISSIA DIO le 30 janvier 2024                      Lien  
Les Espiègles, anciennement connus sous le nom de prix littéraires de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ont été décernés le 20 novembre lors d'une cérémonie au Théâtre royal du Parc. Cette édition a marqué le changement de nom de ces récompenses, qui ont été rebaptisées en hommage à "La légende d’Ulenspiegel", le roman de Charles De Coster. C'est à cette occasion que nous avons rencontré, au mois de décembre, deux des lauréats des prix littéraires : Laura Simonati, récompensée de l'Espiègle de la première œuvre en littérature de jeunesse pour "Mariedl, une histoire gigantesque" ; et Xavier Bouyssou, gagnant de l'Espiègle de la première œuvre en bande dessinée pour "Toonzie", un album déjà chroniqué sur ActuaBD.

La remise des neuf trophées des Espiègles, réalisés par la lauréate du prix de la première œuvre en littérature jeunesse en 2022 Almudena Pano, a marqué l’édition 2023 de ces prix littéraires. Les catégories comprenaient la poésie en langue française et régionale, l’essai en langue française, la première œuvre en langue française et régionale, la première œuvre en littérature de jeunesse, et la première œuvre en bande dessinée.

Les Espiègles visent à soutenir concrètement la création littéraire en offrant des dotations, des bourses, des mises à l’honneur, des résidences, des interventions en milieu scolaire, et des rencontres publiques. Le nom “Les Espiègles” incarne un esprit subversif, pragmatique, populaire, irrévérencieux, humoristique, réaliste et moqueur, à l’image de la créativité des auteurs et autrices belges francophones.

Pour parler un peu du palmarès de cette année, l’auteur Pierre Bailly a d’abord été récompensé pour l’ensemble de sa carrière de l’Espiègle de la bande dessinée – Prix Atomium de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui lui avait été attribué lors du BD Comic Strip Festival, au mois de septembre 2023.

Le palmarès de 2023 comprend aussi des lauréats tels que Célestin de Meeûs pour Cavale russe (poésie en langue française), André Leleux pour Éplénures du timps. El jour i fait sin tour (poésie en langue régionale), Myriam Watthee-Delmotte pour Dépasser la mort, l’agir de la littérature (essai en langue française), et d’autres talents émergents.

Les Espiègles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en plus de récompenser les auteurs et autrices, s’efforcent de mettre en avant des talents littéraires belges hors des sentiers battus, contribuant ainsi à la promotion d’une plus grande diversité dans le paysage littéraire. Pour en savoir plus sur les œuvres primées et les lauréats, un portail dédié, Objectif Plumes, propose des informations détaillées et des capsules vidéo.

Laura Simonati (Mariedl, une histoire gigantesque) : "Ce genre de prix nous légitime et nous aide à mener notre carrière" [INTERVIEW]

Mais assez parlé du prix, passons aux interviews :

Espiègle de la première œuvre en littérature de jeunesse : Laura Simonati pour Mariedl, une histoire gigantesque, Versant Sud Jeunesse

Laura Simonati, vous êtes lauréate du prix Espiègle de la première œuvre en littérature de jeunesse pour Mariedl, une histoire gigantesque. Quelles sont vos impressions ?

Laura Simonati : Déjà, je suis très heureuse ! J’ai reçu ce prix et je trouve que d’un côté, je suis très satisfaite, car au début, je n’aimais pas trop mon livre. C’était mon projet de fin d’études avant de le publier. Peut-être que lors de sa réalisation, j’étais un peu stressée... Donc je n’aimais pas trop mon livre. Toutefois, ce genre de prix nous légitimise d’une certaine façon, donc nous aide à mener notre carrière. Voilà, c’était une chouette surprise.

Laura Simonati
Photo © Christian Missia Dio

Votre livre, Mariedl, raconte l’histoire d’une géante. Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette histoire ?

À l’origine, Mariedl était mon projet de fin d’études. J’ai fait la Cambre, communication visuelle et graphique. On était libres de faire ce qu’on voulait. Et moi, j’ai décidé de faire un livre illustré. Je ne connaissais pas encore très bien le sujet, mais j’étais très intéressée par ce territoire du Tirol du Sud en Italie car j’ai aussi étudié là-bas. En parcourant des articles, des livres sur ce territoire situé dans les Alpes et qui possède une nature extraordinaire ainsi qu’un folklore très vivant, je suis tombée sur l’histoire de Mariedl. Cette histoire vraie raconte la vie d’une femme née justement au Tirol du Sud. Elle était grande, elle mesurait environ 2 mètres 20 ! À cause de sa différence, elle a été « forcée » de quitter son village pour aller travailler dans un cirque itinérant, un freak show. Nous sommes au début du XXe siècle, c’était encore quelque chose d’assez courant, malheureusement.

Cette histoire m’a beaucoup marqué pour le courage de cette femme. Et en même temps, j’ai trouvé très intéressant de développer visuellement l’environnement du Sud-Tirol : sa nature, son folklore, mais aussi celle du cirque. J’ai trouvé que, dans ce livre, je pouvais vraiment combiner plusieurs choses sur lesquelles je voulais m’étendre visuellement. Aussi l’idée de la taille de Mariedl qui change dans les pages, qui est hors normes, m’a semblé intéressante.

Travaillez-vous essentiellement dans le livre Jeunesse ?

Oui, je travaille surtout dans la littérature jeunesse. Mais j’ai aussi fait de l’illustration pour des magasins, des magazines, des journaux, des choses plus commerciales, des affiches, etc.

Mariedl, une histoire gigantesque
Laura Simonati © Versant sud

Quel regard portez-vous sur votre métier d’illustratrice jeunesse ? Rencontrez-vous les mêmes difficultés de vivre de votre travail que vos collègues dans la BD ?

Je dirais que la situation des illustratrices et des illustrateurs est presque la même que celle que vivent les bédéistes : elle est difficile en général ! Surtout lorsque l’on sort de l’école, c’est très difficile de gagner sa vie, parce qu’on a une expérience encore limitée. C’est parfois difficile d’avoir des commandes, surtout d’avoir des commandes qui sont bien rémunérées. C’est la même chose aussi concernant des commandes commerciales, mais aussi des livres ou des publications. Et j’ai passé les dernières trois années à travailler à côté de mon métier d’illustratrice. J’ai travaillé comme graphiste durant pas mal de temps, également pendant mes études. Afin de boucler mes fins du mois, j’ai dû faire aussi un job alimentaire. Et ça, c’est l’expérience de beaucoup d’illustratrices et d’illustrateurs, et je crois, de bédéistes. Mais je trouve qu’au moins en Belgique - je ne connais pas très bien la situation en France - il y a le statut d’artiste, il y a des aides à la création et au développement des projets, notamment celle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est déjà quelque chose qui nous aide à pouvoir continuer ce métier. Mais ce n’est pas facile. C’est un métier qui (parfois) devient aussi un peu élitiste, je trouve.

Mariendl est sorti en 2022. Quelle est votre actualité ? Quels sont vos prochains projets ?

Depuis Mariedl, j’ai continué ma profession d’illustratrice sous commission, donc pour des commandes variées, surtout des institutions culturelles à Bruxelles. J’ai aussi fait d’autres petits projets publiés en Italie avec Coraini edizioni, qui a aussi publié Mariendl en italien. J’ai également publié le livre Il y a des gâteaux... aux éditions Vous êtes ici. C’est un petit bouquin sur les gâteaux pour les enfants. J’ai aussi d’autres projets en cours de réflexion.

Espiègle de la première œuvre en bande dessinée : Xavier Bouyssou pour Toonzie, éditions 2024

Xavier Bouyssou, vous êtes le lauréat de l’Espiègle de la première œuvre en bande dessinée pour Toonzie. Qu’avez-vous ressenti en recevant ce prix ?

Xavier Bouyssou : C’est un grand honneur, c’est mon premier prix ! Je suis très content ! C’est d’autant plus particulier car je ne suis pas Belge, je suis Français. Je suis venu en Belgique pour mes études. C’est un peu mon pays d’adoption. J’habite ici depuis 9 ans. Donc gagner un prix en Belgique, c’est d’autant plus émouvant. D’autant que vivre à Bruxelles, pour moi, c’est comme faire un pèlerinage. Je suis tellement fou de BD que, pour moi, Bruxelles c’est BD-ville ! Lors de ma première année dans cette capitale, j’étais hyper content de voir que la signalétique urbaine ressemblait à ce que je voyais dans Gaston, dans Tintin, dans Spirou. Donc, recevoir un prix de la part de l’État belge, c’est d’autant plus chouette !

Quel a été votre parcours avant la publication de Toonzie ?

Je suis né à Agen, dans le Lot-et-Garonne. J’ai vécu là-bas jusqu’à mes 18 ans. Ensuite, j’avais une soif d’idéal artistique. Du coup, je suis allé faire mes études au Beaux-Arts de Toulouse, des études en art contemporain. J’aime l’art et je voulais faire des choses fortes et puissantes. Donc, j’ai fait de l’art contemporain à Toulouse. J’ai fait les 5 ans, mais je ne me suis pas trop retrouvé dans l’ambiance art contemporain. C’est vraiment la BD qui me parlait. À la fin de mes études aux Beaux-Arts, je suis venu à Bruxelles. J’ai fait mes études de BD. Après ma formation, j’ai un peu vivoté. J’ai fait plein de jobs alimentaires. J’ai été marionnettiste, animateur de camping... En parallèle, j’ai publié des fanzines. J’ai fait des petites BD autopubliées. J’ai réalisé des histoires courtes sur Instagram. Petit à petit, j’ai commencé à avoir des gens qui me lisaient. J’ai trouvé un éditeur. J’ai sorti Toonzie, qui était mon premier livre, et ma première récompense, le prix du premier album.

Comment est née Toonzie ?

Je dirais que l’inspiration principale, c’était le gourou Raël. Un gourou français des années 1970 qui aurait rencontré des extraterrestres. Les aliens lui ont dit qu’il était l’élu. Il a monté toute une communauté autour de lui. Le but de cette communauté, officiellement, c’est de créer une ambassade pour accueillir les extraterrestres quand ils reviendront. Mais en attendant, il y a toute une partie des femmes de la communauté qui n’ont le droit de coucher qu’avec les extraterrestres ou avec leurs représentants sur Terre, c’est-à-dire Raël. C’est quelqu’un qui voulait être connu. Il voulait être chanteur. Il voulait être pilote de rallye. Rien n’a marché ! Il a donc monté sa secte. Une fois qu’il a fait ça, tout lui a souri. Il a pu avoir autant d’argent qu’il voulait, autant de femmes qu’il voulait. Il a pu courir les 24 heures du Mans grâce à l’argent de ses adeptes. Il a fait des concerts, il a écrit des chansons, et tous ses adeptes les connaissaient par cœur. Bref, il a vécu son rêve, mais à travers un mensonge. Je me demandais comment on se sent quand on a une vie un peu de rêve, mais que tout repose sur un mensonge.

Xavier Bouyssou
Photo © Christian Missia Dio

C’est pour ça que vous lui avez fait votre tête ?

Oui, c’est ça. C’était une façon de me projeter dans ce rôle-là. Il y avait aussi un truc un peu de vanité. Il y a beaucoup d’artistes qui ont fait des portraits de l’artiste en jeune homme. Quand ils sont vieux, ils se dessinent, ils peignent des portraits d’eux-mêmes quand ils étaient jeunes. L’inverse arrive peu souvent. Moi, je trouve ça marrant d’imaginer comment je vais vieillir, qui je serai quand je serai vieux et dans quel monde je vivrai. Je trouve que c’est une question qu’on a tous un peu en nous mais que l’on n’exploite pas... Que l’on n’a pas forcément exploité tant que ça en art. Donc oui, je lui ai fait ma tête pour pouvoir me projeter émotionnellement dans ce personnage qui est un connard.

Et ce faisant aussi, pour moi, il y avait l’idée de me tendre un piège à moi-même, de représenter un futur de moi-même où je me suis laissé aller à tous les penchants narcissiques, mégalomanes et égoïstes qu’on peut tous avoir. Et comme j’ai déjà matérialisé cette forme-là de moi, je ne peux décemment pas devenir cette personne-là quand je serai vieux. Donc c’était une façon de me tendre un piège à moi-même. Et Raël, en fait, il a ce truc aussi où il est censé être immortel parce que quand il va mourir, les extraterrestres vont le ressusciter. Il n’est donc pas censé avoir peur de la mort. Mais dans les chansons qu’il écrit et qu’on peut écouter gratuitement sur son site internet, il y a un truc de... On sent que cette question-là revient souvent. Il est habité par la question du vieillissement, de la mort. Il ne peut pas vraiment parler aux gens, donc il cache ça dans les paroles de ses chansons. Et donc c’est ça aussi qui m’a un fait un déclic pour écrire Toonzie.

Le prix littéraire de la Fédération Wallonie-Bruxelles que vous avez reçu vous a-t-il ouvert des portes, en termes d’opportunités ou au niveau du public ?

Ça m’a débloqué une interview avec ActuaBD (rire). Plus sérieusement, le livre est sorti en 2022. Donc, j’ai l’impression que le gros des effets du livre est déjà passé. Par contre, l’effet moral est incontestable. Parce que, quand vous êtes artiste, quand vous faites de la BD, ça veut dire qu’en général, vous voulez en faire depuis que vous êtes enfant. Donc depuis que vous êtes enfant, on vous dit qu’un bédéiste qui cartonne c’est 1 sur 1 million. Ce n’est pas possible, on ne vient pas du bon milieu, des trucs comme ça que tout le monde a entendus. Et tous les jours, effectivement, c’est une bataille d’exercer ce métier. Tous les jours, vous avez envie d’abandonner parce qu’il faut avoir des tafs alimentaires à côté, et c’est épuisant ! Tous les jours, vous avez des raisons d’abandonner. Donc un prix, c’est une raison de continuer et ça, moralement, c’est vachement bien. L’effet est incontestable ! Après, en termes de retombées médiatiques, je ne sais pas trop.

Toonzie
Xavier Bouyssou © Éditions 2024

Ce n’est pas tellement en termes de retombées médiatiques, mais c’est plus au niveau de la profession, du secteur. Est-ce qu’il y a des éditeurs, des directeurs de publication qui se sont dit « Tiens, j’ai vu ton bouquin, j’ai aimé. J’aimerais te proposer un projet » ?

Ah oui, ça, c’est plutôt arrivé en 2022 quand le bouquin est sorti. C’est à ce moment-là que j’ai senti un regard sur moi… Sans les prix, mais il y avait eu beaucoup de presse, donc il y avait déjà eu une lumière sur moi à ce moment-là.

Quels sont vos prochains projets ? Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

C’est un peu secret, mais après Toonzie, j’ai sorti un autre livre intitulé Le livre oracle, qui est sorti en septembre.

Chez le même éditeur ?

Chez le même éditeur. C’est un recueil de petites prophéties en dix cases que j’ai fait sur mon Instagram. C’est un genre d’horoscope maudit du futur, 26 visions à la fois effrayantes et rigolotes, et j’espère un peu politiques, sur demain. Comme un genre de truc à la Nostradamus. Et donc là, je travaille sur la suite de ça. Et puis, je travaille aussi sur un livre dans la collection BD-CUL, qui devrait sortir en septembre 2024. Et je travaille sur un prochain très gros projet. Mais là-dessus, je ne peux rien vous dire.

Voir en ligne : Découvrez Les prix littéraires de la FW-B sur le site Culture.be

(par Christian MISSIA DIO)

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Photos : Laura Simonati et Xavier Bouyssou
Crédits : Christian Missia Dio

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