Pile ou face. L’avers et l’envers. L’adret et l’ubac. Voilà ce qui structurait le sidérant récit de Ces jours qui disparaissent. Un personnage, marqué par un mal inquiétant, à l’identité trouble, double et duplice à la fois. Une ossature que l’on retrouve en partie, retravaillée, dans le nouvel album de Timothé Le Boucher : Le Patient.
Une jeune fille, errante et sanglante, retrouvée par des policiers, conduit ces derniers à un épouvantable massacre. Toute une famille - au total sept personnes - assassinée. Par l’adolescente, retardée mentale. Seul l’un des membres de la fratrie, Pierre, en réchappe, grièvement blessé, pour ne sortir du coma que six ans plus tard.
Sa convalescence, dans un hôpital, se trouve ponctuée de consultations avec une psychologue qui avait suivi sa sœur, Laura, après le crime, jusqu’à son suicide, de visites d’un enquêteur qui s’interroge sur l’opportunité d’une enquête que l’on croyait bouclée mais dont certaines zones d’ombre resurgissent et d’échanges, avec d’autres jeunes patients ou un personnel médical pas insensible au beau jeune homme de vingt-et-un ans qu’il est devenu.
Le cœur de l’ouvrage réside toutefois dans la relation ambiguë que Pierre noue avec sa thérapeute, Anna. Entre jeu de séduction, non-dits et manipulations, l’intrigue élabore un écheveau trouble et angoissant qui trouve son exutoire, jusqu’au dénouement, dans les fils secondaires, assemblant pièce après pièce un puzzle toujours plus opaque qu’il n’y paraissait auparavant. La tension ménagée tout au long du volume témoigne à ce niveau d’une réelle maîtrise narrative et inscrit avec brio le récit dans le genre du thriller psychologique.
Reste que l’on pourrait formuler toutefois deux réserves. La première concernant des péripéties qui posent certes un contexte mais semblent mineures finalement au vu des enjeux principaux et donnent finalement l’impression de servir avant tout de fausses pistes. On pense là par exemple à l’histoire de la médecin ou aux passages sur la famille de Pierre, qui permettent certes de raconter et de mettre en scène l’avant, mais jouent aussi un rôle de trompe-l’œil quant au fond de l’intrigue. On pense aussi au dénouement, étonnant par sa soudaineté et peut-être un peu facile par le twist final qui laisse ouverte une piste en fin de compte juste suggérée et donc peu explorée.
Mais cela ne ternit pas l’impression globale, excellente, de cet album, l’un des meilleurs de l’année, déjà nominé dans deux sélections (celle du Grand Prix de l’ACBD d’une part, celle du prix Fnac-France Inter d’autre part). Graphiquement, c’est encore une belle réussite et l’on dévore d’une traite cet épais volume de près de 300 pages.
Surtout, il est frappant de voir à quel point Timothé Le Boucher compose déjà une oeuvre par le travail autour de certains motifs centraux. On pense bien sûr à l’identité, au double, à l’univers médical et à la psychologie, au sommeil et aux rêves. Mais aussi à leur mise en image : présence métaphorique des végétaux ou thématique de l’eau sont des témoins de figures qui habitent les récits du jeune auteur. De quoi donner encore plus envie de suivre une œuvre qui déjà se dessine.
(par Aurélien Pigeat)
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Le Patient. Par Timothé Le Boucher. Glénat, collection 1000 feuilles. Sortie le 10 avril 2019. 296 pages. 25 euros.