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Joseph Smith et les Mormons - Par Noah Van Sciver - Ed. Delcourt

Par Romain GARNIER le 3 mai 2024                      Lien  
Connaissez-vous l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ? Vous êtes probablement plus intimes avec le nom qui a été historiquement dévolu à ce mouvement religieux, celui de mormonisme. Joseph Smith, étasunien de la première partie du XIXe siècle, est le fondateur de ce mouvement sectaire. Aux éditions Delcourt, Noah van Sciver, lui-même élevé dans le culte mormon, propose une biographie dessinée de ce personnage historique, prophète autoproclamé, chef politique et militaire, qui fut assassiné à seulement 38 ans. Un récit passionnant qui relate sur 450 pages les différents processus qui conduisent à l’édification d’une religion contemporaine par un leader omnipotent.

Que ceux qui ne s’intéressent pas à l’histoire, ni aux religions, passent leur chemin. Cela peut cependant être une occasion pour vous de vous y mettre. La bande dessinée est véritablement passionnante. Toujours est-il qu’un ouvrage dont l’auteur revendique un lien avec le mormonisme pose la question de la sincérité de sa démarche. Avons-vous nous entre les mains une hagiographie de Joseph Smith ?

Une hagiographie de Joseph Smith ?

Noah van Sciver est né dans une communauté mormone. Mais la séparation de ses parents va l’en éloigner. Sa mère lui dit que l’enfer et le paradis n’existent pas. Devenu adulte, il souhaite renouer avec l’univers culturel dans lequel il a grandi. Il engage de nombreuses recherches et s’adonne à d’importantes lectures afin de connaître au mieux Joseph Smith, qui le fascinait, et les conditions de la création du mormonisme. Ce travail intense le conduit à la création de cette bande dessinée qui retrace le parcours du prophète mormon.

Joseph Smith et les Mormons - Par Noah Van Sciver - Ed. Delcourt
© Éditions Delcourt / Noah Van Sciver

Tous les événements essentiels sont abordés, que l’on puisse les juger positifs ou négatifs, confirmés par la recherche historique ou non. Un parti pris graphique nous indique également ce qui relève des visions mystiques des personnages. Nous ne sommes absolument pas dans l’hagiographie. La sincérité de l’auteur est précieuse dans notre manière de lire cette BD qui ne nous cache rien de sa démarche : « La foi d’aujourd’hui a autant de détracteurs enragés qu’à l’époque de Joseph Smith, chacun avec sa propre hache. […] Ce livre est mon interprétation de son histoire, et ce récit est le plus simple que je pouvais faire. Une certaine licence artistique est nécessaire quand on crée une histoire à partir de faits réels. J’ai omis ou combiné beaucoup de personnages, et tous ceux que j’ai inclus n’ont pas forcément tenu les propos que je leur attribue ».

Les notes de l’auteur, au terme de l’album, aident à mieux comprendre certains passages (références religieuses et culturelles) et nous invitent à effectuer nos propres lectures et recherches à l’aide d’une bibliographie indicative. « Mon but était de raconter cette histoire américaine à travers des dialogues, de faire participer le lecteur à l’histoire et non de lui dire quoi penser » (Noah van Sciver). Pari réussi.

© Éditions Delcourt / Noah Van Sciver

Joseph Smith, du chercheur de trésor à l’errement spirituel

Le mormonisme demeure encore aujourd’hui un mouvement essentiellement américain. Joseph Smith est peu connu en France et cette bande dessinée est donc une véritable occasion de découvrir l’histoire de la création d’une religion relativement récente à l’échelle de l’histoire.

Joseph Smith (1805-1844) est, dès son plus jeune âge, un glass-looking. Une activité répandue qui consiste à promettre la découverte de trésors enfouis dans les sols contre de l’argent. Comment opère un glass-looking ? Il se sert d’une pierre transparente qu’il place au fond de son chapeau. Il place alors sa tête dans le chapeau et l’éclat de la pierre est censé révéler l’endroit où il faut creuser. Une pratique qui est cependant mal perçue socialement.

Selon ses propres dires, Joseph Smith, jeune adolescent, est profondément confus vis-à-vis des croyances chrétiens alors que de nombreuses Églises chrétiennes protestantes cherchaient à attirer de nouveaux fidèles. En 1820 – date infirmée par les historiens qui placent l’événement entre 1823 et 1825 - un pasteur méthodiste l’invite à lire l’Épître de Jacques (1 : 5) affirmant qu’il parviendra alors à trouver l’Église dans laquelle il serait le mieux : « Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée ». Il en vient à prier en forêt, à l’âge de 14 ans, et aurait eu une première apparition. Ni plus, ni moins que Dieu et Jésus-Christ. Le point de départ d’une aventure spirituelle.

© Éditions Delcourt / Noah Van Sciver

Joseph Smith, le prophète du livre de Mormon

En 1823, lui serait apparu l’ange Moroni qui lui révèle l’emplacement de plaques d’or sous la colline de Cumorah, dans un coffre de pierre. Joseph Smith y découvre également l’Ourim et Thoummim, éléments d’un pectoral porté par le Grand prêtre d’Israël, selon la Bible hébraïque, ayant trait à la divination. Grâce à ces outils, il doit pouvoir traduire le texte inscrit sur les plaques. Il s’agirait d’écritures saintes qui viendraient s’ajouter à la Bible chrétienne.

Le texte retrace l’histoire des origines des Indiens d’Amérique qui seraient les descendants des Hébreux venus trouver refuge en Amérique, durant l’Antiquité. Ces plaques d’or relatent l’histoire des prophètes et dirigeants religieux, des paroles dites saintes et récits (départ de Jérusalem par le prophète Lehi et sa famille, affrontements entre les Néphites et les Lamanites…) de ce groupe humain. Tout aurait été compilé par un historien et prophète du nom de Mormon (qui aurait vécu au IVe siècle). D’où le nom du livre et de la communauté religieuse de Joseph Smith, qui a été avant tout utilisé par ses détracteurs. Joseph Smith parvient à convaincre son entourage de ses révélations, dont sa femme, Emma. Il met plusieurs années à traduire le texte et parvient à le faire éditer. Ses premiers missionnaires partent alors sillonner les États-Unis.

© Éditions Delcourt / Noah Van Sciver

Joseph Smith, un chef religieux, militaire et politique

Dès 1830, Joseph Smith organise son Église – création d’un Collège des douze apôtres - qui prend, avec le temps, le nom de « l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ». Installée dans l’Ohio (Kirtland), sa communauté grandissante (une estimation de 20 000 adeptes en 1835) va susciter des réactions violentes et des persécutions, pas tant pour des raisons religieuses que des raisons politiques et économiques. Les persécutions pour raisons religieuses viendront ensuite.

Une colonie est fondée dans le Missouri afin d’y établir une nouvelle Jérusalem. Un premier temple mormon y est construit. Cependant, les Mormons finissent pas être violemment expulsés de la région. Nauvoo (Illinois) fut la dernière ville où Joseph Smith parvint à développer sa communauté de manière importante. Il recourt alors aux révélations divines pour asseoir son autorité, ses décisions et son autoritarisme grandissant face aux contestations doctrinales auxquelles il peut faire face de la part de mormons.

© Éditions Delcourt / Noah Van Sciver

Car ce qui est passionnant dans cette bande dessinée, c’est de constater comment Joseph Smith adapte régulièrement et progressivement sa doctrine religieuse à l’exercice de son pouvoir religieux, militaire et politique. Des évolutions qu’il fonde sur de prétendues révélations divines : restaurationnisme et mariage plural (polygamie officiellement pratiquée par l’Église entre 1852 et 1890 – Joseph Smith ayant eu, dans un secret relatif, entre 30 et 50 femmes), baptême pour les morts, la possibilité pour un humain de devenir un dieu et qu’il existe d’autres dieux que le Dieu chrétien dans l’univers (voir Livre d’Abraham), le Plan de salut, doctrine d’Adam-Dieu le Père (croyance du XIXe siècle qui fait d’Adam le Dieu qui a engendré les humains, désormais seulement pratiquée par les fondamentalistes mormons), rituels inspirés par la franc-maçonnerie, etc.

Plusieurs pratiques doctrinales qui font que contrairement à la très grande majorité des mouvements religieux issus du christianisme, le mormonisme n’adhère pas au Symbole de Nicée (325) qui a établi les points fondamentaux de la confession de foi chrétienne. La spiritualité fondée par Joseph Smith n’est donc pas toujours considérée comme chrétienne par les autres mouvances chrétiennes.

Nous n’aborderons pas tous les éléments afin de vous laisser les découvrir lors de la lecture, mais les préceptes doctrinaux et récits relèvent de croyances influencées par des philosophies, des traditions monothéistes et de mythologies antiques. Il est enfin à noter que le mouvement mormon est perçu comme sectaire par certaines organisations de luttes contre les sectes en France (UNADFI), en Italie ou en Espagne, mais ne l’est pas par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS).

Un dessin au service de l’intrigue et du propos

Le dessin de Noah van Sciver est d’une grande lisibilité, avec des pages régulièrement organisées sous la forme de gaufrier. Quelques belles pleines planches modifient occasionnellement ce rythme. Comme l’affirme l’auteur, les dialogues entre les personnages sont centraux dans cette bande dessinée, qui laissent cependant toute la place nécessaire à un dessin très agréable à explorer. Les paysages et les atmosphères sont très bien retranscrits avec des couleurs toujours justes. Cette bande dessinée, particulièrement stimulante et réussie, est un coup de cœur, tant sur la forme que sur le fond.

© Éditions Delcourt / Noah Van Sciver

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782413077053

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