Le tome 71 marquait l’arrivée de nos héros sur l’île de Dressrosa, tenue par le Corsaire Don Quijote Doflamingo, alias "Joker". Tout le volume avait mis en place les intrigues, rapidement diffractées, et offert la découverte de l’île, typique de l’imaginaire débridé d’Eiichiro Oda, multipliant, croisant et réaménageant des références diverses. Entre autres, paysage ibérique avec Cervantès, Gaudi, corrida et flamenco ou univers du conte avec le Stoïque Soldat de plomb d’Andersen et des lilliputiens directement sortis des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift.
La capacité du mangaka à intégrer, de manière naturelle et fluide, un si riche matériau à la trame de son histoire, un shonen d’aventure et de combats ultra-efficace, continue à sidérer. On mesure là pourquoi One Piece constitue le phénomène manga le plus important depuis Dragon Ball. Rappelons qu’au Japon les tirages des derniers tomes de One Piece avoisinent les quatre millions d’exemplaires au titre et que son lectorat est considéré, aujourd’hui, comme majoritairement adulte, de fait transgénérationnel, loin de la cible originelle visée, les enfants, dont Eiichiro Oda se soucie toujours malgré tout de manière évidente. Si vous ne connaissez pas encore la série, cet arc narratif, qui condense tout ce qu’elle a de bon à proposer, constitue une bonne occasion de prendre en route les histoires de l’équipage du Chapeau de Paille.
Le tome 72 se recentre sur un premier lot de combats, menés par le héros, Luffy, ayant adopté une fausse identité. Luffy se fait appeler Lucy pour participer au tournoi, clin d’œil au shonen rival de One Piece au Japon, Fairy Tail de Hiro Mashima, dont l’héroïne se nomme Lucy. Lorsque Luffy endosse cette fausse identité, Fairy Tail en est à un arc narratif mettant lui aussi en scène un tournoi. Précisons en outre que le déguisement de Luffy en rappelle un autre, célèbre : celui de Tortue Géniale, de Dragon Ball, lorsque celui-ci participe au grand tournoi des arts martiaux. On le voit, le jeu référentiel déployé par Eiichiro Oda dans cet arc est pléthorique.
Ces combats ne concernent qu’un enjeu secondaire, récupérer le fruit du démon du défunt frère du héros, prix promis au vainqueur du tournoi organisé par Doflamingo pour appâter Luffy et le faire tomber dans un piège. Tour de chauffe pour les vrais affrontements qui concluront cette aventure, cette participation de Luffy à un tournoi est cependant d’importance pour qui s’intéresse au manga, à ses codes et à son histoire.
En effet, Eiichiro Oda n’est pas à un paradoxe près : produisant avec One Piece en quelque sorte l’essence-même du nekketsu [1], son manga avait jusque-là évité le marqueur par excellence du nekketsu chez son illustre ainé Dragon Ball, à savoir le tournoi. C’est chose réparée avec ce tome 72 qui fait donc de la participation de son héros à un tournoi le centre de l’action.
Mais s’il a fallu attendre si longtemps pour voir intervenir cette figure majeure, elle est bien évidemment revisitée par Eiichiro Oda. Au lieu de duels, nous avons droit à des mêlées. Le motif de la corrida s’y trouve en outre ajouté. Les participants y sont traités de manière chorale et non individuelle et servent à ouvrir le monde de One Piece, multipliant les appels vers des lieux, contrées et organisations qui étoffent l’univers par un simple jeu de mentions.
Mais il est aussi l’occasion de faire avancer l’histoire à travers quelques protagonistes plus importants, à coup de flashbacks plus ou moins développés. Celui de Rebecca, à la fin du tome, étant appelé à devenir le moteur de l’action future. Eiichiro Oda fait ainsi du tournoi un véritable outil narratif, un moyen plutôt qu’une fin, et cela fait toute la différence.
Autour de cet épicentre du volume, les autres intrigues poursuivent leur développement, de manière accélérée : Sanji s’amourache de la belle Violette, Law fait face au Corsaire Doflamingo et à l’amiral Fujitora, Robin et Usopp découvrent le monde des Tontattas tandis que Nami et compagnie se trouvent changés... en œuvres d’art !
One Piece est, comme d’habitude a-t-on presque envie de dire, absolument formidable. Ce nouveau volume en offre une nouvelle et éclatante démonstration.
(par Aurélien Pigeat)
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Broché : 208 pages
Editeur : GLENAT (1 octobre 2014)
Collection : One piece - Edition originale
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[1] Signifiant littéralement "sang bouillant", le nekketsu correspond à un canevas régissant une grande partie des shonen manga, principalement ceux d’aventure, de combat et de sport.