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Paul Roux : « On n’a pas besoin d’être à Paris, Bruxelles ou New York pour rayonner en tant qu’auteur. »

Par Marianne St-Jacques le 9 mars 2010                      Lien  
Paul Roux est l’un des principaux ambassadeurs de la BD québécoise, et plus particulièrement dans la région de l’Outaouais, où il est coordonnateur du Rendez-vous international de la BD de Gatineau et de la programmation BD au Salon du livre de l’Outaouais, collaborateur du programme de BD de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et parfois chroniqueur BD pour le journal {Le Droit} (Ottawa-Gatineau). Il est également auteur, et à l’automne dernier, il célébrait ses vingt ans de carrière. Entretien.

Cette année, le Rendez-vous international de la BD fêtait sa dixième édition. Vous êtes le coordonnateur de cet évènement depuis ses débuts, en plus d’assurer la programmation BD du Salon du livre de l’Outaouais. Comment êtes-vous devenu « ambassadeur de la BD » pour la région de l’Outaouais et comment le Rendez-vous est-il né ?

C’est par hasard. Au départ, quand j’ai commencé à travailler dans la région, au début des années 1980, je travaillais comme illustrateur, je faisais toute sorte de contrats, de livres scolaires pour le gouvernement, etc., mais je rêvais de faire de la BD. Je faisais de la petite BD dans des revues qui ne rapportaient rien, mais c’était des projets personnels et, en 1989, on m’a proposé d’illustrer un livre qui s’appelait Missionnaires en Nouvelle-France. C’était un projet où on était payé et qui était diffusé en Europe. J’ai illustré le livre et on a gagné deux prix, le scénariste et moi. On a aussi gagné un prix en Europe. C’était la première fois qu’un album fait ici était primé là-bas. J’ai reçu le prix de l’espoir québécois de la BD et on m’a envoyé participer au festival de Charleroi, à la Foire du livre de Bruxelles. À Québec, au festival BD où on m’avait invité, j’ai rencontré Greg, Gotlib. Tout d’un coup, je me suis retrouvé au milieu de tout ce monde. Pendant un an et demi, il y a eu une couverture médiatique, c’était fantastique. Après j’en ai fait un deuxième, ça avait eu un peu le même effet. Et après ça c’est un peu arrêté parce que c’étaient des commandes, et là je voulais faire de la BD de création. Puis il y a eu la récession. Donc j’ai créé deux petits personnages, Ariane et Nicolas, pour un petit éditeur, en noir et blanc. Et tout de suite après, ça a repris. Greg a vu les dessins et il les a aimés. Il m’a donné des cours par correspondance. J’ai fait un premier album, ça a fonctionné et petit à petit, on a parlé de moi tout le temps.

Paul Roux : « On n'a pas besoin d'être à Paris, Bruxelles ou New York pour rayonner en tant qu'auteur. »
Paul Roux interviewé par la télévision de Radio-Canada
Photo : Le Bédénaute

En 1996, les gens du Salon du livre de l’époque m’ont dit : « Ce serait bien d’avoir un volet BD au salon, il n’y en a pas. Organise ça. » Finalement, j’ai organisé un volet BD, ça a bien fonctionné et là, ça dure depuis quinze ans. C’était à l’époque un mini-festival avec un petit budget. Il y avait 5-6 auteurs, des expos et tout. Et puis après le journal Le Droit m’a dit « Ce serait bien d’écrire des chroniques sur la BD ». Je me suis mis à écrire des chroniques. Ensuite c’est l’Université qui est venue me voir – j’avais fait une grosse expo à la galerie Montcalm – et qui m’a dit : «  Il y a beaucoup d’étudiants qui font de la BD en cachette parce qu’il n’y a pas de cours. Est-ce que tu pourrais donner un cours ? » J’ai eu deux semaines pour créer un cours et il y avait vingt-cinq étudiants. Ça a très bien été et on m’a dit « On aimerait créer un programme. Est-ce que tu peux nous aider comme consultant ? » Pendant un an, on a eu des réunions, j’ai écrit des textes pour que la commission des études approuve la section BD.

En 2000, l’ancienne ville de Gatineau m’a dit qu’elle aimerait faire un festival BD et m’a demandé d’être auteur invité et organisateur. C’était une offre incroyable. Hélène Grandmaître, la directrice de l’époque qui a eu l’idée, a trouvé les moyens et, au mois de mai, on a fixé la date du festival au mois d’octobre. Je partais de zéro, mais j’avais quand même des contacts grâce au Salon du livre. À chaque fois, ces idées-là, on est venu me les parachuter. Ça s’est fait petit à petit, comme ça. C’est une façon de donner aux gens l’envie découvrir un art, de donner la chance aux auteurs d’ici de progresser et aux auteurs d’ailleurs de découvrir ce qu’on fait. C’est devenu beaucoup plus gros que ce que j’avais rêvé. Moi, tout ce que je voulais faire, c’était des livres.

Paul Roux et Albert Uderzo, exposition rétrospective « 20 printemps en BD »
(Photo : Marianne St-Jacques)

En tant que coordonnateur du Rendez-vous et responsable de la programmation au Salon du livre, quel est selon vous votre plus grand accomplissement ?

C’est d’abord d’avoir créé le festival, parce que la formule c’est moi qui l’ai imaginée. On était deux au départ : il y avait une personne qui travaillait à la ville qui s’occupait de la logistique et moi je m’occupais de la forme du festival, de trouver les auteurs, de trouver les activités. J’ai tout mis sur pied en fonction des choses que j’avais vécues, vues, et je me suis dit que j’aimerais que ce soit quelque chose de convivial, amusant et qui ne demande à personne des efforts. On vient rencontrer des gens, on n’a pas besoin de faire parler pendant trois heures de la technique de la plume et du pinceau, ce n’est pas important. On n’a pas envie non plus de parler trop en détail de certains trucs techniques. On veut que ce soit ouvert. Ça, c’était le point de départ.

Mais ensuite, c’est d’avoir pu faire venir des gens comme Lynn Johnston. Ça m’a pris huit ans pour la faire venir. Trondheim, ça aussi ce n’était pas facile. J’ai fait venir Derib, ça m’a pris 4-5 ans. J’ai fait venir Janry qui fait le Petit Spirou, ça m’avait pris quelques années. J’ai 2-3 personnes hyper-connues que je talonne depuis quelques années. J’ai fait venir Anne Goscinny au Salon du livre, j’ai fait venir Mézières, Dany, Batem, des auteurs que je lisais quand j’étais petit et qui, pour moi, étaient des idoles. J’ai pu aussi avoir une espèce de contact privilégié car quand je leur parle, j’ai la chance d’être auteur aussi, et je suis organisateur. Souvent c’est cette double personnalité qui permet de convaincre des gens comme Derib qui ne font plus beaucoup de festivals parce qu’ils ont connu beaucoup de mauvaises expériences en Europe où c’étaient des foires de signatures un peu sauvages et qui sont très prudents ; ils disent toujours non au départ. Il faut qu’ils aient vraiment confiance pour dire oui.
Donc, c’est peut-être ça la plus grande chose, et aussi d’avoir pu développer ce qu’on fait chez nous. L’idée de « l’auteur de la relève », c’est moi. Je me suis dit qu’il y avait les finissants du programme de l’UQO. J’ai appelé tout le monde en me disant : on a va inviter un jeune de la relève qui n’a pas d’album. Personne ne fait ça nulle part, mais nous on va le faire. Depuis ce temps-là, il y en a. Donc, j’ai toujours poussé pour que la BD se développe et pour que tout le monde en profite, autant le public que les auteurs.

Cette année, dans le cadre du Rendez-vous, l’exposition « 20 printemps en BD » vous était consacrée. Celle-ci mettait en valeur vos vingt ans de carrière en tant qu’auteur. Parlez-nous un peu de cette exposition.

C’est le genre de choses que je n’aurais pas imaginé moi-même parce que lorsqu’on organise, on n’organise pas pour soi. C’est le conseil d’administration qui m’a proposé l’idée. J’avais dit, par hasard, quelques mois plus tôt, que ça allait faire vingt ans que je faisais de la BD. Ce n’était pas par rapport au festival, mais c’est tombé dans l’oreille de quelqu’un et on m’a dit que ce serait bien de souligner ça. J’ai accepté, mais on n’avait pas nécessairement l’espace pour faire plusieurs grosses expositions. J’avais fait, il y a deux ans, à l’Alliance française, une grosse expo avec des dessins originaux. J’ai pensé que ce serait redondant, répétitif, alors je me suis dit que ce serait peut-être amusant de montrer le résultat, non pas les dessins, mais les livres, les objets, quelques trophées, quelques photos, une caricature. C’était une manière de montrer un autre aspect et en même temps de montrer ce qu’on peut réaliser quand on habite à Gatineau. On n’est pas nécessairement à Paris, à Bruxelles ou à New York, on est dans une petite région et on peut quand même produire et travailler avec des gens de l’extérieur, et avoir une vie en tant qu’auteur et rayonner. Et puis, en même temps, c’est une façon de dire : « tout est possible ». Moi, je n’aurais jamais cru qu’à Gatineau où tout ça arriverait, qu’on aurait un festival. Je remercie la région en général, l’ouverture des gens qui permettent que tout ça existe.

Avant de vous consacrer à la BD jeunesse ainsi qu’à votre travail d’ambassadeur de la BD, vous avez publié dans de nombreuses revues (Djinn, Solaris, Imagine, Pignouf). Parlez-nous un peu de cette époque de votre vie.

C’était une époque spéciale, c’était les années 1980 où j’avais des commandes pour des livres scolaires. Alors je passais parfois des trois mois à travailler comme un fou, 18 heures par jour, à faire des centaines de dessins pour des livres sur la qualité de la langue, sur le français, l’anglais, etc. J’ai dessiné des chats, des chiens, des bananes, des poires, tout. J’avais plein de contrats comme ça. Pour Radio-Canada, je faisais des dessins pour les nouvelles. J’avais besoin de garder le côté créatif. Donc, collaborer à toutes ces revues, qui souvent n’étaient pas payantes du tout, ou un tout petit peu, je le faisais pour le plaisir, pour l’amour de la chose. C’était une façon de continuer de développer ce côté créatif et de ne pas juste devenir un exécutant qui fait des petits dessins pour gagner de l’argent. Petit à petit, j’ai pu faire des choses plus personnelles, avoir des contrats, et depuis 1989, je ne fais que des projets que je choisis, je fais des livres que j’aime, j’ai ce côté créatif tout le temps dans mon travail, et il m’arrive de faire des affiches ou des dessins pour d’autres choses, mais c’est par choix. La BD c’est le centre, et la périphérie, faire des couvertures de romans, c’est amusant de temps à temps, sortir de la BD, faire un dessin et passer juste trois jours plutôt que six mois ou un an sur un album, ça me fait du bien.

Depuis quelques années, vous publiez exclusivement de la BD jeunesse ainsi que des ouvrages pédagogiques. Ces œuvres sont donc d’un style très différent de vos publications antérieures. Qu’est-ce qui vous a mené vers cette nouvelle orientation.

Ça a toujours été là parce que, depuis que je suis petit, j’adore Astérix, Gaston Lagaffe et tout ça, donc faire de la BD avec des dessins humoristiques, c’était pour moi normal. Mais quand j’ai fait tous ces projets dont on a parlé, souvent c’était parce qu’il y avait des revues de science-fiction qui m’avaient demandé de collaborer, donc je poussais ce modèle-là. Mais il n’y avait pas de revues de BD jeunesse. J’avais toujours rêvé de faire ça. Un chanteur de musique pour enfant avait fait une cassette et m’avait demandé de faire un dessin pour la couverture et un cahier d’activités. J’avais fait des petits personnages qui marchent sur un arc-en-ciel et c’étaient les ancêtres d’Ariane et Nicolas. Et, à partir de là, j’ai commencé à faire un petit récit en 1992, Voyage au pays des mots, qui a été repris après dans un album. Et à partir de là, ça s’est mis en route, et je suis retourné vers ce côté humoristique qui avait toujours été comme mes premières amours. J’adorais Blueberry, j’adorais Moebius, j’adorais Bilal, mais avant ça j’adorais Tintin, Gaston Lagaffe, Achille Talon et Astérix. Et ensuite, j’ai fait la collection Ernest chez Bayard qui, à l’époque était raton-laveur, parce que l’éditeur a vu Ariane et Nicolas et m’a dit : « j’aimerais avoir des BD pour les plus jeunes ». Alors, j’ai fait l’album Chut !, qui s’est vendu à 15 000 exemplaires et depuis, ça roule, je suis en train de faire le douzième. Bayard a racheté la maison d’édition.

Je ne savais pas où j’allais au départ, et il m’est arrivé plein de bonnes choses, et finalement les choses se sont mises en place toutes seules. Je n’ai pas eu à soumettre de projets aux éditeurs, c’est eux qui m’ont approché. Donc, j’ai eu de la chance, vraiment, et j’en suis heureux.

Diverses couvertures de revues réalisées par Paul Roux, exposition rétrospective « 20 printemps en BD »
(Photo : Marianne St-Jacques)

Pensez-vous retourner un jour à la BD pour adultes ? Quels sont vos projets à venir en tant qu’auteur ?

Je m’amuse des fois, entre deux planches, à esquisser des débuts de BD avec des styles différents, à faire des expériences et il commence à mijoter des scénarios dans ma tête, alors ce n’est pas exclu. Pour l’instant, c’est une question de temps et d’organisation, car j’ai des projets qui sont déjà en production, mais je ne l’exclus pas parce que je vois qu’il y a une bonne réception. Ça me donne envie et ça reste une possibilité.

(par Marianne St-Jacques)

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