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Serge Ripoll (président du Festival BD Chambéry) : "C’est un sacerdoce. Comme le pape, ce sera jusqu’à la mort !" [INTERVIEW]

Par Romain GARNIER le 16 août 2023                      Lien  
Du vendredi 6 au dimanche 8 octobre, le festival BD Chambéry Savoie célèbrera la bande dessinée avec sa 47e édition. Invitée d'honneur ? Miss Prickly ("Mortelle Adèle", "À cheval !", "Animal Jack"). À ses côtés, de nombreux auteurs et autrices dont Eric Powell, Djet, Simon Léturgie, Grazia La Padula, Neyef, Salva Rubio, Thierry Mornet, Judith Peigne, Paul Salomone ou encore Jean-Louis Tripp. Une très belle année se profile pour le festival. En attendant, nous vous proposons de revenir sur son histoire et son organisation en compagnie de son président, Serge Ripoll, cheville ouvrière de ce succès indéniable et personnalité éminemment attachante.

En tant que président du festival de la bande dessinée de Chambéry, quel est votre parcours au sein de l’association qui en est l’initiatrice ?

C’est tout simple. Il faut remonter à 1978. J’étais alors un jeune garçon, livreur de colis. Un de mes collègues me dit qu’il y a un colis à livrer pour un certain M. Savoie - Festival BD de Chambéry. Je ne connaissais pas du tout. Je lui dit que je vais le livrer. On discute. Je dis que j’aime bien dessiner, que je donnerais bien un coup de main dans un festival. On me dit de revenir dans quelques mois, dans tel hôtel, où il y a une première réunion.

On me dit qu’un petit galop d’essai a été fait à la foire de Savoie, mais que l’année suivante sera organisé un véritable festival de bande dessinée, dont Franquin a dessiné l’affiche. Je suis arrivé là, au milieu de tout le monde. Quand je m’investis, je m’investis à fond. Je suis devenu bénévole. Je me suis d’abord retrouvé devant une porte de secours à surveiller alors que personne ne comptait y passer. (rire) Cela me laissait du temps pour rencontrer plein d’auteurs qui étaient là pour la première fois, dont un certain Enki Bilal. À l’époque, il n’y avait personne devant lui. Cela a bien changé ! Et puis il y avait Franz qui dessinait Jugurtha, Chéret avec Rahan.

Cela a démarré comme ça. Avec quelques auteurs. Ensuite, comme je m’investissais beaucoup, un jour, je suis devenu vice-président. Puis mon président a décidé de partir, et en 1990 je suis devenu président de Chambéry BD.

Serge Ripoll (président du Festival BD Chambéry) : "C'est un sacerdoce. Comme le pape, ce sera jusqu'à la mort !" [INTERVIEW]
Le trophée éléphant d’or, dessiné par Franquin, fait la fierté du festival et la joie des auteurs
© Romain Garnier

Donc cela fait 32 ans que vous êtes président !…Pas trop dure comme tâche ?

C’est fatiguant. C’est une passion. Disons que c’est un sacerdoce. Comme le pape, ce sera jusqu’à la mort (rire). Personne ne veut prendre ma place. C’est clair. Surtout, je connais tout le monde. Tous les rouages, les services de la ville, les partenaires.

Les partenaires, ce sont souvent des passionnés de BD. La culture, c’est tout de même plus difficile que le sport. Un sport, il y a une visibilité toutes les semaines, les télévisions. Nous, c’est trois jours de festival. Il n’est pas évident de trouver des partenaires qui souhaitent s’investir pour cela.

Depuis pas très longtemps, deux ans, j’ai une nouvelle équipe au conseil d’administration qui s’est beaucoup rajeunie. Mes amis, qui ont mon âge, ont laissé la place aux jeunes. Les jeunes, c’est une nouvelle dynamique, des idées d’auteurs dont les anciens n’auraient pas eu l’idée.

Alex Alice, c’est un bénévole qui s’occupe des auteurs qui a eu cette idée extraordinaire. Pour la communication, les expositions, on a des jeunes très dynamiques, sympas. Cela fait du bien dans cette association qui commençait à avoir une réputation d’association de vieux.

Même si je ne suis pas jeune, je ne me sens pas suffisamment vieux pour abandonner mon poste. Si on me pousse dehors, bien que cela m’étonnerait, je serais en très bonne relation avec eux. Tout va bien !

De gauche à droite : Renaud Beretti, conseiller départemental, Serge Ripoll, président du festival BD de Chambéry Savoie, et Alex Alice, invité d’honneur du 46e festival BD de Chambéry Savoie
© Romain Garnier

Combien de bénévoles pour un tel festival ?

Pour le préparer, on est 11 bénévoles au conseil d’administration avec une salariée, Véronique. Pour le faire fonctionner, on est 80. En été, on peut se retrouver jusqu’à 120. Mais bon, on a un peu écrémé, car même s’ils sont bénévoles, il y a des repas qu’il faut financer. Donc on a fait un peu d’économies sur les bénévoles.

Cela a été rappelé lors de la cérémonie d’ouverture, le festival de Chambéry est le plus ancien de France après Angoulême. Aujourd’hui, en terme de fréquentations, à quelle place se situe t-il ?

Devant nous, il y a Angoulême, les salons professionnels. Saint-Malo qui est un gros festival. Le festival de Lyon qui grossit et commence à avoir du monde. Ce sont des festivals où il y a des professionnels avec je ne sais combien de salariés. Nous n’avons qu’une seule salariée. On fait tous le travail bénévolement, en dehors de notre boulot. Sauf moi qui suit à la retraite, c’est facile pour moi.

L’avantage qu’on a, comme beaucoup de gens nous le disent, c’est que nous bénéficions avant tout d’une chose : une notoriété depuis 46 ans. Les gens viennent nous voir depuis longtemps.

On a quelques années d’écart avec Angoulême, c’est vrai. À l’origine, lors de la création du festival de Chambéry, notre président était monté à Paris, en 1975, voir un libraire, lui disant vouloir créer un festival de bande dessinée à Chambéry. Cela aurait été le premier festival.

Un monsieur à côté, qui écoutait tranquillement, affirme vouloir en faire un dans sa commune dont il est le maire : Angoulême. Ils se sont alors dits qu’ils allaient faire un festival. Lui a démarré l’année d’après grâce à cette volonté municipale. Nous, il y a fallu convaincre les élus de l’époque pendant trois ans, afin d’obtenir des locaux, des subventions. Sans cela, nous aurions probablement commencé en même temps. En Europe, le festival le plus ancien demeure Lucca, en Italie.

Serge Ripoll lors de la cérémonie des éléphants d’or - Remise de l’éléphant d’or pour l’ensemble de son oeuvre à Jean-Yves Mitton, absent suite au décès de son ami François Corteggiani
© Romain Garnier

46 années ont passé. Nous venons pour la première fois et nous sommes surpris de voir à quel point il s’agit d’un festival à taille humaine.

La première des choses est qu’on a tout de suite fait un choix. Cela ne consiste pas jouer la carte de la compétition, du nombre de dessinateurs. Nous, on se limite à soixante auteurs. Quand on a soixante auteurs, on peut les gérer, les voir, discuter avec eux, passer du temps en leur compagnie.

Quand il y en a 120, 200 ou 300 dessinateurs comme dans certains festivals de la région, il est compliqué d’aller auprès d’eux. Avec soixante, on peut organiser pas mal d’animations. Le vendredi, ce sont surtout les professionnels et les collectionneurs qui viennent. Le samedi et le dimanche, ce sont principalement les familles qui sont présentes.

Quel budget pour ce festival ?

Petit budget. 200 000 euros. Bien plus petit que d’autres festivals. On est obligé de faire des économies. Même si on ne fait pas cela avec des bouts de ficelle, non plus. Sur les 200 000 euros de budget, il y a le déplacement. Cette année, nos étrangers viennent de très loin. On a des auteurs brésiliens, espagnols, italiens, canadiens, américains, danois. Tous ces gens-là il faut les déplacer. Cela représente un certain budget. Plusieurs milliers d’euros qui sont retirés de l’enveloppe globale.

Assurer une dimension internationale au festival de Chambéry, est-ce une chose à laquelle vous tenez ?

C’est ainsi que nous pourrons survivre. Faire venir des auteurs comme Tony Moore, premier dessinateur et co-créateur de The Walking Dead, c’est s’assurer que plein de passionnés viennent pour cela. Les gens sont heureux de le rencontrer et il est très accessible. C’est quelqu’un qui cherche à parler un petit peu français avec les gens.

Il me disait ce week-end « - Cela est extraordinaire en France. Aux États-Unis, ce n’est pas sympa. Il n’y a pas trop de public, c’est assez froid. Ici, c’est chaleureux, le public est passionné ». Il est enchanté. De même pour Doug Weathley, le dessinateur canadien de Star Wars, qui nous avait fait l’affiche de la 40e édition et qui en a refait une spéciale, magnifique, pour cette année.

Affiche du festival BD de Chambéry Savoie - 47e édition - Réalisée par l’invitée d’honneur, Miss Prickly
© Festival BD Chambéry Savoie

À l’occasion de la cérémonie des éléphants d’or, nous avons pu constater la présence notable de Glénat. Un partenaire essentiel de Chambéry Savoie ?

Au départ, j’avais fait une demande de devis à tous les libraires du coin. Quand Bédéfix a cessé son activité, il fallait retrouver un libraire spécialisé. Je suis allé voir tout le monde. Tous ne m’ont pas convaincu, et quand je suis allé voir Jacques Glénat, qui avait des librairies Glénat, tout de suite, il avait été enthousiaste.

En fin de compte, le partenariat avec les éditions Glénat, cela se base surtout sur des conseils et sur la venue de personnalités. Depuis quelques années, ils nous ont fait venir de nombreuses personnalités qui ont permis de donner une certaine notoriété à la journée professionnelle. Si bien que cette année, nous avons 105 participants.

C’est énorme pour nous, pour la région Rhône-Alpes. Après, c’est marrant, il s’est passé quelque chose vendredi soir, lors de la cérémonie de remise des prix. Presque tous les prix étaient des prix Glénat. Bien sûr, cela a discuté dans les rangs. Mais c’est un pur hasard. Je n’avais jamais vu cela.

Les gens du comité de lecture, quand ils votent pour un auteur qu’ils apprécient, ils ne votent pas pour l’éditeur. Le comité de lecture, s’il entendait cela, il s’offusquerait. Comme les enfants qui sont à Chambéry le Haut. Les petits gamins, les maisons d’enfance, ils ne savent même pas ce que c’est Glénat. Un hasard donc et une première en six ans. L’ensemble est un beau palmarès avec des auteurs exceptionnels.

Jacques Glénat, heureu du succès de sa maison d’édition lors de la cérémonie des éléphants d’or - De gauche à droite : Julien Berthet, vice-président de Chambéry BD, Ariane Delrieu (autrice), Jacques Glénat (éditeur), Marie Jaffredo (autrice), Serge Ripoll (président du festival BD Chambéry Savoie), Judith Peignen (autrice)
© Romain Garnier

Ces prix, les éléphants d’or, symbole du festival, sont-ils encore amenés à évoluer ? Est-ce discuté tous les ans ? Par exemple, depuis deux ans, une très belle démarche avec le centre hospitalier a donné naissance au prix Centre Hospitalier Métropole Savoie.

Les prix sont discutés chaque année. L’année prochaine, il y aura un éléphant d’or pour un auteur québécois. Ils vont faire un comité de lecture pour cela. Le lauréat sera jumelé avec une autre manifestation au Québec, celle de Shawinigan.

Effectivement, vous avez un partenariat avec des auteurs québecois. Chambéry Savoie enverra lui-même des auteurs au Québec ?

Tout à fait. Ce sont des dessinatrices qui partent au Québec, en février (2023), avec moi. On part à 6. Un petite délégation. Là-bas, nous serons reçus et allons ratifier un accord entre nos deux festivals (rires), et j’en suis ravi. Les représentants de Shawinigan sont là depuis une semaine. Ce sont des gens extraordinairement gentils. L’accent ne gâche rien. Ils sont sympas, d’une grande simplicité. Ils ont été reçus comme on reçoit tout le monde.

Leur festival, il n’y a que dix ou douze auteurs, mais ce n’est pas grave. Ce n’est pas le nombre d’auteurs qui fait la qualité d’un festival. D’autres festivals que j’adore ne sont pas des grands festivals. Par exemple, celui de Bellegarde-sur-Valserine. 25-30 auteurs, un petit festival, très très sympa. C’est à une heure d’ici, dans l’Ain. Ils sont intéressants, ils ont toujours des idées particulières.

Là-bas, un jour, alors que je buvais un verre avec un copain, deux personnes viennent s’asseoir à notre table : Georges Lautner et André Pousse. J’étais scotché. Ils étaient là dans le cadre de la BD sur les Tonton flingueurs. Ils avaient fait toute une opération au cinéma avec Laurent Gerra qui faisait les voix d’acteurs. Un petit festival, mais qui a des idées. On collabore ensemble, on parle. Ce sont des gens qu’on a envie d’aider car ce sont des personnes qui apportent quelque chose de neuf, de nouveau.

© Festival BD Chambéry Savoie

Comment est née cette idée de créer un partenariat avec des auteurs québécois ?

Un pur hasard ! Voilà quatre ans, le maire de Shawinigan est venu à Chambéry pour mettre en place des rencontres avec certaines entreprises. Le maire de Chambéry lui dit alors de venir avec lui car il se rend à la remise des prix BD de Chambéry Savoie. Le maire de Shawinigan explique qu’un festival est également organisé dans sa ville. Le directeur de la culture était là. C’est comme cela que tout a commencé. (rires) Après, on a été en contact avec des auteurs, qui sont venus, François Saint-Martin et Marc Bruneau, et c’est parti là-dessus.

46e édition. Les cinquante ans se profilent. Le conseil d’administration se projette et envisage d’ores et déjà des projets ou chaque chose se fera en son temps, année après année !?

On arrivera peut-être pas à faire aussi bien que pour les vingt. Pour les vingt, c’était une période où il y avait un gros budget avec de gros partenaires qui nous avaient aidé à l’organiser. On avait une société de communication qui avait mis un gros budget pour faire venir sur scène Philippe Dana (présentateur de Ça cartoon sur Canal+), CulturePub avait animé la soirée, il y avait du beau monde.

C’était la première cérémonie des éléphants d’or et on avait créé en même temps la BD du siècle. On nous avait dit « - mais vous êtes fous ! La BD du siècle, vous allez vous faire tuer par la presse. » J’ai répondu que justement, c’était bien. Ceux qui vont nous dénigrer, cela va nous faire de la pub.

Finalement, c’était une réussite. On a fait cinq BD du siècle. On a vu le fils d’Hugo Pratt venir chercher le prix, Anne Goscinny, la petite fille de Tchang est venue pour Tintin. C’était une grande année. C’étaient Spirou et Fantasio les invités d’honneur avec Janry à l’affiche.

Mais avant de penser à la cinquantième, pensons aux années proches. J’ai titillé un peu notre ami Jacques Glénat en lui disant que je voulais une affiche manga. Les plus gros festivals ne l’ont pas fait. Moi j’aimerais bien qu’on tente le coup, car on a une grosse clientèle qui est demandeuse. La jeunesse, les 12-15 ans. Ils veulent du manga.

Je vais révéler un petit secret, cela ne se fera peut-être pas, mais Jacques Glénat me disait qu’il voulait faire venir le dessinateur d’Akira. Katsuhiro Otomo est connu dans le monde entier. Ce serait extraordinaire. L’affiche, on la demanderait à un ou une jeune mangaka. Faut voir. Le cinquantième, c’est sûr, il va falloir qu’on y pense. Mais il faudra vraiment trouver quelque chose à part.

© Festival BD Chambéry Savoie

(par Romain GARNIER)

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