Thierry Culliford écrit quelques courts récits alimenter la production des dessins animés des Schtroumpfs pour Hanna & Barbera, un phénomène de télévision qui comptabilise plusieurs centaines d’épisodes.
Pour pouvoir continuer à créer des albums, Peyo crée un studio de dessin alors qu’il avait jusqu’ici l’habitude de travailler avec des collaborateurs (Delporte, Gos, Will, Derib, Walthéry, Wasterlain, ou Matagne… pour mentionner les principaux).
Ce sera son fils Thierry qui s’acquittera de cette tâche, d’abord pour fournir des modèles de qualité aux licenciés d’une exploitation des Schtroumpfs alors en plein boom. Rencontre.
Comment avez-vous monté ce studio ?
D’abord avec Daniel Desorgher [qui quittera le studio pour créer la série Jimmy Tousseul avec Stephen Desberg. NDLR.] pour relancer la production des albums, puis pour le lancement du mensuel Schtroumpf.
À la fin des années 1980, j’arrive à convaincre mon père d’arrêter de s’investir dans les aspects commerciaux et administratifs de ses affaires puisque ma sœur, qui s’occupait du merchandising, avait les choses bien en main.
Je l’ai convaincu de relancer non seulement les Schtroumpfs mais aussi Johan & Pirlouit et Benoît Brisefer. Et, pour les Schtroumpfs, des histoires de 44 pages plutôt que des courtes histoires de 12 pages. Malheureusement, il était déjà physiquement très amoindri. J’ai eu le temps de faire avec lui Le Schtroumpf financier. C’était difficile, car il ne pouvait plus travailler que le matin et j’apportais les crayonnés au studio dans l’après-midi. C’est vraiment lui qui a dessiné l’album. D’ailleurs le Lombard a publié un album avec ces crayonnés. Quand il nous a quittés, j’ai accompli la promesse de réaliser les Johan & Pirlouit et les Benoît Brisefer que nous leur avions promis.
Jeune homme, vous vous voyiez dans ce rôle ?
Pas du tout ! J’ai entendu pendant toute mon enfance le souhait que je reprenne cet univers, comme on reprendrait une épicerie… Je ne m’y voyais pas spécialement, ce n’était pas mon truc à l’époque. Ce n’est qu’au fur et mesure que je travaillais avec mon père, et surtout que je me suis retrouvé seul avec lui, que je me suis plus investi dans cet univers. Nous avons produit des albums de Johan & Pirlouit qui ont été bien reçus par la presse à l’époque mais qui prenaient beaucoup de temps pour un tirage modeste. Comme du temps de mon père, les Schtroumpfs cannibalisent la production. Il y a tellement de choses à faire au niveau mondial avec les Schtroumpfs que, malheureusement, Johan & Pirlouit et Benoît Brisefer sont momentanément laissés de côté.
Vous vous sentez piégé ?
Non, parce que j’ai l’expérience de mon père qui était dans cette situation depuis longtemps. Nous produisons un album Schtroumpf par an. Depuis plus d’une vingtaine d’années, nous sommes parfaitement structurés pour cela. Nous avons un département avec des dessinateurs qui ne font que de la BD, un autre qui ne s’occupe que du merchandising.
Derrière chacune de vos histoires, il y a une fable morale.
Je le fais plus que mon père, je le reconnais. Bien qu’on la retrouve dans Le Schtroumpfissime, dans Schtroumpf Vert & Vert Schtroumpf, ou dans L’Aéroschtroumpf. Le Schtroumpf financier, c’est un compte qu’il avait à régler avec quelques banquiers, idem pour Le Docteur Schtroumpf que nous avons réalisé après sa disparition. Les médecins et les hôpitaux, il les avait bien connus...
C’est mon père le premier qui disait que les Schtroumpfs étaient les reflets de notre société : le Schtroumpf gourmand, le Schtroumpf grognon, etc. Pour moi, les Schtroumpfs, c’est un petit peuple magique qui nous ressemble étrangement. Cela m’amuse de prendre un fait de société et de le transposer dans le monde des Schtroumpfs sous la forme d’une caricature. C’est un thème de base sur lequel il faut écrire une aventure, des rebondissements, etc. Le dernier, L’Arbre d’or, porte sur la superstition. J’insiste plus que mon père sur le côté caricature du monde dans lequel nous vivons. En tout cas, je ne donne pas de conseil, pas de message, je ne dis pas au lecteur ce qu’il doit faire. Je veux seulement que les enfants posent des questions à leurs parents.
Ce sont toujours les enfants qui lisent Les Schtroumpfs ?
Je n’en sais rien. Nous visons les 5-12 ans. Mais je pense que les parents les lisent. C’est un phénomène intergénérationnel. J’espère qu’ils le lisent en constatant qu’on y retrouve l’esprit de Peyo.
Est-ce qu’il a voulu expressément que tout continue après lui ?
Oui, il disait qu’il avait de la chance de travailler avec ses enfants, pour cela. Il y a une évolution indéniable, mais on reste dans l’esprit.
La collaboration avec Alain Jost se fait comment ?
On choisit un thème et on discute à bâtons rompus. Je travaille beaucoup par téléphone et par email avec lui. Au studio, Pascal Garay ou Jeroen De Koninck font chacun leur album. Il n’y a pas de division des tâches. Chacun est responsable de son album de A à Z.
Antoine Bueno vient de faire un petit essai sur les Schtroumpfs. Cela vous a choqué ?
Ce qui m’a choqué, bien que certaines choses m’étaient connues car il n’a pas tout inventé là-dedans : que les Schtroumfs sont la plus grande communauté homosexuelle de la bande dessinée, qu’ils sont communistes car c’est une société égalitaire, que le Grand Schtroumpf a une barbe blanche comme Karl Marx, que son bonnet est rouge comme la couleur du communisme, que le Schtroumpf à lunettes ressemble à Trotski, cest qu’il affirme que Gargamel est un stéréotype antisémite qui représente la mainmise des juifs sur le capital mondial, cela, j’en avais entendu parler….
C’est tout et n’importe quoi. C’est sa vision de l’œuvre. Elle est rendue publique, je laisse faire. Ce qui me dérange, c’est qu’il laisse entendre, il évite de le dire ouvertement, que mon père puisse avoir eu des opinions nazies ou antisémites qu’il n’a jamais eues. Mon père n’était pas engagé politiquement. Lorsqu’il y avait des élections en Belgique, je me souviens qu’il demandait à ma mère comment il fallait voter. Il s’en foutait royalement. Si Buéno voit tout cela, c’est son affaire, mais je ne le cautionne pas. Parce qu’il n’a pas rencontré l’auteur et parce que, comme il emploie des termes sérieux, il y a des gens pour prendre tout cela au premier degré.
C’est quand même une société bizarre, les Schtroumpfs. Une seule Schtroumpfette pour tout le village et encore, c’est un Golem…
Mon père ne portait pas de message particulier.
Le Schtroumpfissime est quand même une analyse politique.
Oui, mais très très premier degré. Il regardait les politiciens et leur blabla, et il en a fait un album. À la fin de l’histoire, le Schtroumpfissime est pardonné. Quand j’étais ado, lorsque je tentais de discuter de politique avec mon père, cela ne l’intéressait pas. Jamais. Pour lui, le Schtroumpf à lunettes n’est pas un intellectuel, c’est un emmerdeur. C’est Agnan dans Le Petit Nicolas. Cela se limitait à cela. Ces interprétations ne me dérangent pas sauf quand elles prennent un tour sérieux et qu’elles prétendent démontrer quelque chose que Peyo aurait caché toute sa vie. Rien de ce qu’il raconte ne concerne mon père. S’il avait dû lire ce livre, il aurait pissé de rire !
Il avait un jour rencontré une psychologue qui le complimentait sur le langage admirable des Schtroumpfs qui symbolisait « l’incommunicabilité des peuples entre eux ». Ça l’avait bien amusé.
Le film 3D des Schtroumpfs arrive au mois d’août. Va-t-il changer l’image des Schtroumpfs ?
Non, pas fondamentalement. Leur apparence sera différente, mais comme celle que l’on a pu voir dans les premiers dessins animés pour la télévision. Mon père aurait sûrement approuvé ce qui va sortir. C’est surprenant car, pour la première fois, les Schtroumpfs seront filmés dans notre monde moderne. Leur apparence est différente car on voit la texture de leur bonnet, la couture, leurs yeux sont plus réalistes, ils sont plus fins pour qu’ils soient plus agiles dans le film. Ce n’est pas de la 2D, de l’à-plat, c’est autre chose.
Depuis Shrek, depuis Nemo, depuis Cars, le dessin animé a changé de nature. C’est une nouvelle étape. C’est que j’aime vraiment beaucoup dans cette version, c’est que l’on se rend compte pour la première fois que les Schtroumpfs sont des petits êtres magiques, à notre échelle, à côté d’une fourchette, d’un chien, d’une chaussure. Il est donc normal qu’ils aient peur car ils sont en danger tout le temps. Dans la forêt, on en arrive à oublier leur taille.
Cela fera crier les puristes qui sont conditionnés par la bande dessinée, pour qui les dessins animés sont déjà un premier crime. Mais pour une grande partie du public, ils ne savent même pas que c’est tiré d’une BD. Les enfants de notre génération le prendront au premier degré, comme cela doit être pris.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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« Pierre Culliford, dit Peyo : La vie et l’œuvre d’un conteur merveilleux »
Exposition à Paris – Hôtel Marcel Dassault
7 Rond-Point des Champs-Elysées
75008 Paris
M° Champs-Elysées - Clémenceau.
Du 7 juillet au 30 août 2011, du lundi au dimanche de 11 à 19 heures.
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