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Thierry Groensteen : « Je pense que la quête de la respectabilité a été la plus forte. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 juillet 2009                      Lien  
Historien et théoricien de la bande dessinée, ancien directeur du Musée de la Bande Dessinée d’Angoulême, Thierry Groensteen a travaillé aussi bien sur la conception du Musée Hergé que du nouveau Musée d’Angoulême dont il a conçu le catalogue. Rencontre.

Est-ce que vous avez travaillé sur le nouveau Musée d’Angoulême ?

Quand j’ai quitté mes fonctions au Musée d’Angoulême en 2001, j’avais déjà rédigé le projet scientifique et culturel du nouveau Musée de la bande dessinée dont nous pensions qu’il ouvrirait dans les deux ans ou les trois ans qui suivent. Mais à l’époque, le projet était d’ouvrir dans le bâtiment Charbonneau, pas dans les chais. Entre-temps, ceux-ci ont été réhabilités, il s’est passé beaucoup de choses, et voilà !

Thierry Groensteen : « Je pense que la quête de la respectabilité a été la plus forte. »
Thierry Groensteen. Il a conseillé aussi bien le Musée Hergé que le Musée d’Angoulême.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Par rapport à ce projet culturel et scientifique qui avait été validé par la Direction des Musées de France et par les autorités locales, il y a un certain nombre de choses qui ont été conservées. Par exemple, le fait de mettre des îlots de lecture à l’intérieur même du musée, alors qu’avant celle-ci n’était possible que dans la bibliothèque attenante. Autre élément retenu : la section qui explique la fabrication d’une bande dessinée afin de permettre au néophyte de comprendre à quoi correspond la planche originale. C’était un manque évident de l’ancien musée qui avait été pointé. Je constate que cela a été fait. Si un certain nombre de choses sont issues du profil de mes préconisations, d’autres ont évidemment évolué, le lieu n’étant pas celui qui a été prévu.

Le Musée d’Angoulême avec ses coins de lecture.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Depuis, vous avez travaillé sur le Musée Hergé…

Plus précisément, j’ai travaillé pendant un an sur le projet du Musée Hergé, en 2002, c’est-à-dire l’année suivant mon départ du CNBDI et sept ans avant que le Musée Hergé n’ouvre ses portes. A la demande de Fanny et Nick Rodwell, nous avons travaillé à trois pendant un an. -Il y avait Joost Swarte, Philippe Goddin et moi-même- à réfléchir à ce que pourrait être le parcours d’un Musée Hergé : ce que l’on montrerait dans l’exposition permanente, dans quel ordre, à travers quel dispositif, pour quoi dire et à quel public. On a élaboré deux documents. D’une part un scénario pour le Musée, d’autre part un cahier des charges technique qui a été remis à l’architecte Christian de Portzamparc. C’est sur cette base qu’il a travaillé. Mais à partir de 2003, je n’ai plus été associé à rien du tout ! Philippe Goddin non plus d’ailleurs : il n’y a plus que Joost Swarte qui a continué à travailler.

Le Musée Hergé le jour de la visite du roi.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Pour avoir visité le Musée, je peux dire qu’il n’y a strictement plus rien qui correspond aux dessins que Joost Swarte avait faits. La raison est qu’une autre personne est passée derrière, le scénographe Winston Spriet, avec un esprit complètement différent. J’ai été assez surpris de voir que si, au niveau du scénario, environ 80% de nos préconisations avaient été reprises, tout ce que nous avions imaginé, en revanche, au niveau de la muséographie, a disparu. Notre version avait beaucoup plus de fantaisie. Comme le visiteur déambule d’une salle à l’autre, chaque salle devait ménager une surprise, au lieu de se ressembler, comme c’est le cas ici. Si nous appelions cela un « scénario », c’est parce que, pour moi, la visite d’un tel musée doit se parcourir comme une histoire, avec des rebondissements, une dimension ludique, spectaculaire. Toutes nos suggestions ont été gommées, il reste le contenu, avec d’autres principes muséographiques que je trouve personnellement un peu tristounes, pour les enfants en particulier. C’est dommage. Je pense que la quête de la respectabilité a été la plus forte.

Vous avez rédigé le catalogue du Musée d’Angoulême : La Bande Dessinée, son histoire et ses maîtres.

C’est Gilles Ciment, le directeur de la Cité, qui m’a demandé si je voulais bien m’atteler à la rédaction de ce catalogue. L’idée était de reprendre un livre existant paru en 2000, Astérix, Barbarella et compagnie, une histoire de la bande dessinée francophone, de le remettre à jour, et de le compléter par trois textes complètement inédits, à savoir un texte équivalent à la première partie sur l’histoire de la bande dessinée.

Le catalogue du Musée de la BD d’Angoulême
Ed. Cité de la BD / Skira

On a donc pour la première fois dans le même livre une histoire comparée de la tradition francophone d’un côté, et de la tradition américaine de l’autre.

À cela s’ajoutent deux autres parties plus courtes, Les maîtres du trait qui est une réflexion d’ordre esthétique sur le dessin et les grandes écoles de la bande dessinée, et puis une partie plus technique, L’atelier du dessinateur sur l’élaboration d’une bande dessinée. Ces deux parties correspondent à deux salles du musée. On suit la structure du musée de ce point de vue. Évidemment, l’iconographie est en grande partie renouvelée et la maquette est différente. C’est un livre d’un million de signes alors que je partais de 350.000 au départ. En revanche, je ne suis responsable que d’un quart des notices d’œuvres, les autres ont été partagées avec les autres membres de l’équipe scientifique du Musée.

Propos recueillis le 20 juin 2009.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Thierry Groensteen par D. Pasamonik (L’Agence BD).

 
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6 Messages :
  • Peut-être qu’ActuaBD fera un article sur le catalogue du Musée d’Angoulême. En attendant, j’ai juste envie de partager mon sentiment sur ce livre que j’ai parcouru hier chez mon libraire...
    - le titre laissait présager un parcours complet de l’histoire et des maîtres de la BD, illustrés avec les oeuvres du Musée, mais il n’en est rien ! Un chapitre sur la BD franco-belge et un sur la BD américaine. C’est tout ! Et le reste des auteurs BD ? Les italiens (pas un visuel de Pratt !), les espagnols, les argentins, les asiatiques,...??? Incroyable mais vrai...
    - la conception même du livre est aussi un regret, plus subjectif il est vrai : rien d’original, mise en image des plus classiques, catalogue didactique, que du déjà vu.

    Mais bon, faudrait-il bouder son plaisir ? Car c’est vrai que certains chapitres sont des plus intéressants.

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    • Répondu par Lester le 16 juillet 2009 à  23:45 :

      Faire un livre intitulé "La Bande Dessinée, son histoire et ses maîtres" est omettre Hugo Pratt, ça tient de l’erreur professionnelle, et il n’y a guère que Malnati pour penser que Pratt est un mauvais dessinateur.

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      • Répondu par Pierre le 17 juillet 2009 à  22:04 :

        ah ah, moi non plus je n’ai jamais considéré Pratt comme un grand dessinateur... (je mets "Jesuite Joe" à part). Il a commis de superbes illustrations (hhmmm, ses aquarelles...), mais graphiquement parlant, Corto me tombe des mains !

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        • Répondu par Lester le 18 juillet 2009 à  15:50 :

          Il y a de la marge entre "mauvais dessinateur" et "grand dessinateur", mais pour trouver qu’il est mauvais dessinateur, il faut avoir un compas dans l’oeil, côté pointe bien-sûr, et même dans les deux yeux.

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  • On peut toujours couper les cheveux en quatre. 456 pages, 480 illustrations, pas moins de 9 pages où il est question de Pratt... Une histoire de la bande dessinée franco-belge et de la bande dessinée américaine comme il n’en existe pas d’autre. Deux volumineux chapitres complémentaires sur l’esthétique de la BD ("les maîtres du trait") et sur la technique, illustrés par des Italiens, des Espagnols, des Argentins, etc. Les illustrations sont tributaires, semble-t-il, des collections du musée d’Angoulême, qui détient des planches de Pratt, mais peut-être pas suffisamment belles ou représentatives de son talent pour que le musée (ou l’éditeur ?) les intègrent au livre.

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    • Répondu le 23 novembre 2009 à  14:09 :

      On peut en effet tergiverser sans fin : le livre de Groensteen n’en reste pas moins le meilleur (et de très loin) sur le sujet. Il n’a aucun équivalent en français en terme d’exactitude dans les faits énoncés, autant que de rigueur dans le choix des auteurs évoqués.

      A mon avis, tout amateur se voulant un petit peu éclairé se doit de se procurer cette somme absolument impressionnante.

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