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La Fantôme - Pervieux & Vaccaro - La Boîte à Bulles

Par Nicolas Fréret le 7 juin 2004                      Lien  
Marion passe son temps sur la terrasse d'un café, jour après jour, saison après saison. Rêvassante, elle se laisse transporter à souhait par les souvenirs héroïques du vieux barbu, André. Marion est aveugle, André alcoolique, un mélange doux amer et poétique. Un premier bouquin préfacé par l'illustre Baudoin

Dans un tourbillon oculaire, la vue perçante d’un rapace planant dans le ciel plante le décor. Posé sur le toit de l’église d’un petit village assurément azuréen, l’oiseau s’efface et nous abandonne à la terrasse du café de la place. Marion est déjà là, le visage fermé, de larges lunettes opaques masquant des yeux invalides. Elle boit, sans se presser, son « petit noir » du matin.

En une soixantaine de pages, on observe son intimité limitée, son oisiveté assumée, sa solitude appréciée. Une solitude à laquelle se marie quotidiennement celle, nerveuse, du serveur, amoureux secret de sa plus fervente cliente, et celle, mélancolique, du vieil André, aussi fou qu’affectueux, redorant sa triste existence d’aventures rocambolesques, de mythomanies en règle. La solitude accompagne le récit telle une musique de fond.

Marion est aveugle et donc différente. Elle ne vit pas comme les autres, ne ressent pas et n’appréhende pas les choses comme les autres, parce qu’elle n’est tout simplement pas comme les autres, comme ces deux cons moqueurs assis deux tables plus loin. Marginale de son état, elle ne voit pas sa différence, elle la subit. Son équilibre, elle l’a trouvé dans son exclusion. Marion a fini par se complaire dans l’obscurité et se confiner dans son handicap protecteur. Elle s’est peu à peu construit un monde bien à elle au gré d’une imagination fertile qu’elle partage avec André, en marge, lui aussi.

“La fantôme” est l’œuvre fraîche et paisible de deux jeunes auteurs prometteurs. Osant faire le pont entre la musique et le dessin, ils ont su préserver une légère mélodie. L’album ne s’éternise pas, ne s’appesantit pas sur un sujet lourd qu’ils allègent joliment au rythme du métronome. On est instantanément séduit par les personnages. On suit sans relâche leur quotidien routinier.

Au scénario, Guillaume Pervieux a su trouver les mots et éviter tout bavardage inutile, l’essentiel étant en dedans. Eddy Vaccaro a, lui, renoncé aux concerts pour se consacrer à la bande dessinée selon Edmond Baudoin. Mettant à profit ses années d’Arts Plastiques, il signe ici un dessin digne de son mentor, laissant l’impression d’un encrage direct, à main levée, au feeling, sans crayonné préalable. Profondeurs de champ et arrières plans sont le plus souvent inexistants, renforçant les cases quasi-désertes, aux ombres impératrices. Vaccaro semble se jouer de la bichromie, le noir et le blanc s’imposent à tour de rôle. Et ça colle ! « Un premier livre, c’est une porte qui s’ouvre sur d’autres portes qu’on devra, plus tard, ouvrir » écrit Baudoin dans sa préface. Et derrière ses portes, un chemin ? A lire à la terrasse d’un café, sans omettre de fermer les yeux et de tendre l’oreille.

(par Nicolas Fréret)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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