RENCONTRES ESTIVALES #16. Une fois n’est pas coutume : il est question ici d’un livre qui n’est pas - du moins pas encore - disponible dans l’espace francophone. Mais quand les histoires qu’il raconte, comme celle de sa création, sont extraordinaires et que le dessin impressionne à ce point, cela mérite un éclairage particulier. "Mijn Kameraad Che Guevara" d’Hilde Baele et Jeroen Janssen a été édité par Oogachtend en 2020. On y découvre la vie d’un jardinier rwandais qui fut le guide de Che Guevara pendant sa tentative de révolution au Congo et l’enquête des auteurs pour la reconstituer. Rencontre avec Hilde Baele et Jeroen Janssen.
Comment votre livre est-il né ?
Hilde Baele : Le livre fait partie d’un des (trois) derniers vœux d’un vieux jardinier rwandais. Il s’appelait Jérôme Sebasoni. Un jour, en 2008, alors que j’emmène les enfants au « cercle sportif de Kigali », au Rwanda, un vieux jardinier attire mon attention. Il est si atypique ! Je l’invite à s’asseoir à côté de moi et on discute. La discussion se poursuit pendant trois jours. Il raconte sa vie d’éternel rebelle. Il parle de combats et de meurtres. Il parle de Mobutu, de Kabila, de princes et de présidents [1].
Il parle aussi de son camarade Tatu, alias Che Guevara. Il parle de sa vie bien agitée au Congo, au Burundi, au Rwanda mais aussi à La Havane. Il termine ainsi son témoignage : « Tu peux vérifier. C’est la vérité. Et je compte sur toi pour en faire un livre. Je ne veux pas mourir sans avoir laissé mon témoignage. Je ne veux pas être oublié. Je n’ai pas vécu pour rien. »
Ensuite, j’ai commencé à vérifier ses dires. Son témoignage était tellement incroyable et gigantesque que j’ai passé douze ans à confronter ses mots à la réalité. J’ai eu l’incroyable chance de trouver Jeroen Janssen sur mon chemin. Cet ami, ce grand dessinateur, fidèle et très curieux, a rencontré Jérôme Sebasoni en 2014. Depuis ce moment-là, nous avons poursuivi l’investigation à deux.
Nous avons voyagé ensemble à la recherche de la vérité. Les taxis, les bus, les avions, nos jambes, nous ont emmenés au Congo, au Rwanda, au Burundi et à Cuba. Toute cette aventure a été écrite et dessinée dans le roman graphique Mijn Kameraad Che Guevara, édité chez Oogachtend en 2020.
Malheureusement, Jérôme n’a pas vu le livre. Il est décédé brusquement en 2016. Mais on a l’impression de le voir sourire !
Comment avez-vous travaillé, échangé, « construit » cet ouvrage ?
Hilde Baele & Jeroen Janssen : Notre méthode de recherche est très simple. Nous n’organisons rien. Nous comptons beaucoup sur le hasard, la chance et notre bonne étoile. Nous avons le témoignage de Jérôme Sebasoni. Nous avons des moments-clés de sa vie à vérifier, des engagements pris vis-à-vis de Jérôme.
Il y a aussi les trois promesses à tenir. L’une d’elle consiste à remettre trois lettres que Jérôme nous a confiées. Une lettre à la fille de Che, une autre à Fidel Castro et une dernière aux camarades du Che, à « Moja », Victor Dreke, commandant avec le Che au Congo [2]. Nous avons tenu cette promesse. Pour les deux autres, il faudra attendre que le livre sorte en français et alors vous lirez nos aventures.
Durant les douze ans d’investigation, nous avons eu énormément de chance. Nous avons rencontré des témoins au bon moment et au bon endroit, qui nous ont menés toujours un peu plus loin. Nous avons connu aussi beaucoup de (belles) surprises. Le fait de se rendre, sans organiser et sans préparer de scénario, au Rwanda, au Burundi, à Cuba ou dans une maison de retraite de Pères Blancs en Belgique, a fait de nous des journalistes incognitos, innocents, discrets.
Le crayon et le papier de Jeroen amusent les témoins. Ils n’ont pas peur de parler face aux croquis, aux crayons et parfois à un IPad mini… Ensuite, nous vérifions leurs dires. Nous lisons beaucoup de livres pour y trouver d’autres affirmations. Jeroen étant en Belgique et moi toujours quelque part en Afrique pour le travail, nous communiquons par Messenger et on se voit dans l’un ou l’autre pays pour continuer nos recherches.
Espérez-vous une édition francophone ou même dans d’autres langues ?
Hilde Baele & Jeroen Janssen : Oui, bien sûr que nous espérons trouver un éditeur francophone, ou anglophone, hispanophone… Une bourse sera d’ailleurs octroyée à la maison d’édition qui souhaite éditer le livre dans une « autrelangophonie » que la nôtre [3].
Dans Charlie Hebdo, en novembre 2020, Willem Holtrop [4] note que ça ne l’étonnerait pas que ce livre trouve un éditeur francophone. J’ai écrit à plein d’éditeurs. Beaucoup félicitent le travail, mais le genre graphique est difficile à classer. Il faut que les dessins restent sagement dans les cadres... Il faut souvent que l’œuvre entre dans le style des autres livres édités par la maison… Il n’y a souvent pas de place pour notre originalité. Il y a eu des contacts très intéressants, mais jusque maintenant rien de concret ne nous a été proposé.
Hilde Baele : Je travaille actuellement en Mauritanie. Jeroen travaille sur un nouveau livre en Belgique. Avec la Covid-19, les contacts avec les maisons d’édition se font par écrit, ce qui n’aide pas les auteurs à convaincre en face-à-face l’éditeur. On est et on reste trop anonymes. « Il faut qu’on y arrive, in the name of a pipe ! »
FH
Propos recueillis par Frédéric Hojlo.
En médaillon : couverture de Mijn Kameraad Che Guevara, Hilde Baele / Jeroen Jansen / Oogachtend, 2021.
Mijn Kameraad Che Guevara - Par Hilde Baele & Jeroen Janssen - Éditions Oogachtend - éditrice : Ann Jossart - langue : néerlandais - 24,8 x 29,6 cm - 160 pages en couleurs - couverture cartonnée - parution le 30 août 2020 - 32 €. 9789492672384
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Voir en ligne : Consulter le site de l’éditeur Oogachtend
[1] Mobutu Sese Seko (1930-1997) dirige la République démocratique du Congo de 1965 à 1997 ; Laurent-Désiré Kabila (1939-2001), opposant et successeur de Mobutu, dirige la RDC de 1997 à 2001 (NDLR).
[2] Viktor Dreke (né en 1937), acteur de la révolution castriste de 1959, a participé à la guérilla au Congo en 1965 avant de revenir en Afrique de 1966 à 1968 (NDLR).
[3] Le néerlandais (NDLR).
[4] Willem tient dans l’hebdomadaire satirique une chronique régulière nommée « Autre Chose », où il signale ses découvertes, particulièrement des livres (NDLR).
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