Il avait connu la plupart des grands moments de l’évolution de la bande dessinée turque de son époque. Né le 20 avril 1958 à Konya, Galip Tekin avait fait ses débuts dans le fameux magazine Gırgır en 1978. La ligne éditoriale de ce journal étant humoristique, il s’y conformait mais, en 1984, son dessin prit un tour semi-réaliste plus moderne, mieux adapté aux histoires qu’il racontait dans une veine dédiée au fantastique et à la Science-Fiction.
Passé successivement de Gırgır à Hıbır, Fırfır, Limon, LeMan et L-Manyak, il avait aussi collaboré au quotidien Günaydın, avant de prendre brièvement la rédaction en chef de Dıgıl magazine en 1989.
Il s’était fait une réputation grâce à un dessin virtuose dans la lignée de celui de Oğuz Aral, mais avec des influences d’auteurs franco-belges comme Bilal, Moebius et Franquin, ses idoles, Ses scénarios inventifs étaient inspirés par l’actualité politique de son pays, ce qui lui valut plus d’une anicroche avec les pouvoirs en place.
C’était un personnage charmant et passionné par son métier. Il avait appris ses rudiments d’anglais en courtisant gentiment les touristes anglophones sur la Corne d’Or. C’était un observateur avisé de la bande dessinée franco-belge et en particulier de Franquin publié en Turquie dès le milieu des années 1960 dans Milliyet par Turhan Selçuk, le fameux créateur d’Abdulçanbaz.
Il avait longtemps caressé l’idée de se faire publier en France mais au moment où, enfin, il se décide de contacter le journal (A Suivre) en 1997, c’était pour apprendre que le fameux mensuel de Casterman s’arrêtait… Il était venu en 2011 à Angoulême à la Cité de la bande dessinée, n’hésitant pas à échanger librement avec les autres artistes car cet homme moderne ne s’est jamais laissé embarquer dans des idéologies mortifères.
Ses travaux récents s’intéressaient comme toujours aux problèmes politiques et sociétaux dans la veine métaphorique qui était la sienne. La plupart des dessinateurs de la nouvelle génération le reconnaissent comme un chef de file. Après avoir travaillé sur différents supports, son travail avait été publié ces dernières années par Penguen (aujourd’hui arrêté), qu’il avait rejoint à ses débuts, puis par Uykusuz, dont il était un des piliers actuels, publiant une page chaque semaine dans ce qui constitue l’hebdomadaire satirique le plus diffusé du pays. Il publiait également dans le mensuel Hortlak récemment fondé par Memo Tembeçizer.
Depuis 1985, il enseignait la bande dessinée te le dessin animé (quelques-unes de ses BD avaient été adaptées à l’écran) à l’université Boğaziçi d’Istanbul, l’une des plus réputées du pays. Hélas, la situation politique en Turquie avait fragilisé sa situation, comme enseignant d’abord, et comme auteur ensuite, la revue Uykusuz, une revue fondée par des auteurs, ne rémunérant plus ses associés ces derniers temps.
Il a été retrouvé mort hier dans son atelier par sa sœur et par son frère. Galip Tekin confiait à ses amis qu’il devait penser à arrêter de fumer et à surveiller son diabète. Il n’en a pas eu le temps.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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