Dans le train, Célestin regarde, les yeux dans le vague, une photo sur laquelle se trouve Mathilde et leur jeune fils, Marcel. Les reverra-t-il seulement… ? Sur le front, la guerre est impitoyable, sale, meurtrière. Celestin voit ses camarades tomber un à un. Lors d’un repli, il sent une vive douleur dans un mollet. Il s’effondre. Lorsqu’il se réveille, hagard, des brancardiers l’embarquent. Il n’a plus de mâchoire inférieure ni de langue, et on doit l’amputer d’une jambe. À la douleur physique s’ajoute une douleur psychologique : hanté par le souvenir de la guerre, lourdement handicapé, au seuil de la mort, Célestin a le sentiment de faire peser sur son épouse et sur son fils le poids de ses tourments.
Le principal atout de cette première bande dessinée de Julien Langlais, issu de "l’académie Delcourt", réside dans la capacité à nous faire vivre la souffrance de Célestin dans sa chair et dans son esprit, à travers des plans subjectifs opportunément choisis. Le récit est construit de façon en apparence décousue, car se mêlent des bribes de souvenirs et des espoirs, entre les tranchées et la salle de soins, dans un ordre pas toujours chronologique. De la sorte, si ce n’est pas toujours très clair, c’est comme si le lecteur était happé par la propre désorientation du personnage principal.
Pour le reste, le dessin est réaliste, dans des tonalités souvent pâles, qui insistent beaucoup - trop ? - sur les corps affreusement mutilés des "gueules cassées". Les visages des personnages sont étonnamment familiers, comme si on les avait déjà rencontrés, mais surtout comme s’il était difficile de sortir de certains codes obligés pour représenter cette époque.
L’album, en dépit de quelques maladresses inhérentes à un premier travail d’ampleur, ne laisse pas indifférent et laisse entrevoir un potentiel intéressant chez Julien Langlais.
(par Damien Boone)
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