RENCONTRES ESTIVALES #2. Pas loin de quarante ans de carrière et presque autant de livres, à l’écriture comme au dessin, ce n’est pas rien, et cela ne se résume pas à la succession de Tardi dans l’adaptation de l’œuvre de Léo Malet. Emmanuel Moynot, affectionne les univers sombres et adopte aisément un ton pessimiste, mais cela ne l’empêche pas de travailler avec acharnement. Et de se faire le porte-voix, quand l’occasion se présente, d’une profession à la précarité quasi institutionnalisée. Lauréat du Fauve Polar SNCF lors du FIBD 2020, une distinction qui consacre autant un livre au cordeau qu’un savoir-faire indéniable, il avait ainsi exprimé son désarroi et sa colère sur le scène du Théâtre d’Angoulême.
Fauve Polar 2020 pour No Direction chez Sarbacane : on se remet comment d’une telle distinction ? Cela laisse froid et on continue comme avant, ça laisse songeur, ça déstabilise ? Et surtout : ça ouvre des perspectives ou non ?
Je m’en suis fort bien « remis ». Ça ne pouvait pas mieux tomber. D’une part, ce livre m’avait été beaucoup refusé, et c’était en somme la confirmation du bien fondé de mon insistance à le faire. D’autre part, au sortir de sa réalisation, j’ai eu du mal à retrouver du boulot et ça m’a mis du baume au cœur. Si j’avais été primé, disons pour mon quatrième ou cinquième bouquin, ça aurait pu me compliquer la vie. Mais là, c’était tout bénef.
Vous vous étiez exprimé, lors de la remise de ce Fauve, sur la condition des auteurs de bande dessinée. Depuis, les choses ont-elles un peu bougé pour vous d’une part, pour la profession d’autre part ?
Ma situation personnelle s’est améliorée dans les semaines qui ont suivi Angoulême, sans rapport avec le Fauve, cependant. Il me reste de cette période de fortes dettes et une certaine amertume vis-à-vis de certains de mes anciens éditeurs.
La situation de la profession en général, elle, n’a pas évolué d’un pet. La politique sociale du gouvernement actuel pouvait le laisser prévoir. Mon inquiétude pour l’ensemble du secteur ne fait que grandir. Ses différents acteurs sont fortement interdépendants et la chute des uns entraînera la chute des autres. Mais ceux qui sont en haut de la pyramide s’en sortiront mieux : ils pourront toujours aller vendre autre chose. Des petits pois, par exemple.
Des raisons de se réjouir dans les mois qui viennent ? L’aboutissement d’un projet par exemple ?
Plusieurs, en fait. Une belle intégrale en deux tomes de mon premier « cycle noir » aux Enfants Rouges, dès novembre pour le premier tome et en début d’année prochaine pour le second, sous le titre Noir intégral.
Puis, en début d’année encore, La Philosophie dans la savane aux Éditions Rouquemoute - une histoire tout à fait imbécile que j’adore avoir fait - et L’Assommoir, d’après Émile Zola, transposé aujourd’hui, aux Arènes BD avec deux jeunes scénaristes à l’adaptation. Enfin, dès que ce dernier sera bouclé, je m’attaque à un nouveau polar pour Sarbacane.
Et, tous les deux mois, je fais le rigolo dans Fluide Glacial.
FH
Propos recueillis par Frédéric Hojlo.
Photographie en médaillon : F. Hojlo 2020.
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Voir en ligne : Consulter le site de l’Emmanuel Moynot.
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