Soutenu par le Syndicat des auteurs de BD (Snac), Obion et Arnaud Le Gouëfflec, avaient décidé de porter l’affaire devant les tribunaux. À la fin du mois de juin, les auteurs avaient introduit une action judiciaire en référé près du Tribunal de Grande Instance de Rennes, afin de faire interdire la commercialisation de l’impression fautive. Celle-ci, selon eux, dénaturait leur travail et portait atteinte à leur droit moral. Les auteurs demandaient en conséquence d’en faire détruire les stocks. Ils exigeaient par ailleurs 8.000 € de dommages et intérêts, ainsi que 1.500 € pour les dépens.
Entretemps, les éditions Casterman avaient procédé à une nouvelle impression de l’ouvrage aussitôt distribuée dans les librairies. L’éditeur a également offert la possibilité aux lecteurs et aux libraires d’échanger cette réimpression contre les exemplaires défectueux. Lors des débats qui se sont tenus devant la cour le 18 juillet dernier, l’éditeur avait versé différentes pièces attestant la destruction de 6.769 exemplaires litigieux, et les mesures prises pour retirer le livre de la vente. En conséquence, dans son ordonnance du 13 septembre dernier, le Tribunal de Grande Instance de Rennes constata que les éditions Casterman avaient pris les mesures nécessaires, et déboutait les auteurs de leur demande de faire retirer les ouvrages de la vente.
Mais par ailleurs, le tribunal considéra que l’impression fautive avait dénaturé le travail des auteurs. « La comparaison entre les deux exemplaires de l’ouvrage, résultant de la première impression contestée puis la nouvelle impression peut-on lire sur les attendus du jugement, établit de façon certaine qu’il a été, lors de la première impression, porté atteinte aux droits des auteurs sur leur œuvre ». Dans cette ordonnance, la cour détaille un décalage des pages qui porte atteinte aux effets visuels, aux effets de rythme. L’éditeur semble ne pas avoir tenu compte du courrier du 8 mars 2007, dans lequel Obion avertissait son éditeur que la page 1 commençait à droite, et précisait le fonctionnement des vis-à-vis par paires. Le tribunal constata également que les teintes du premier tirage étaient plutôt grises que noires, alors qu’il était prévu un tirage en noir et blanc.
Pour leur défense les éditions Casterman avançaient l’existence de l’article 8 du contrat d’édition signé par les parties, lequel stipulait que « la réalisation technique, la présentation générale de l’œuvre (type de support papier, format, caractères, mise en page, couleurs, couvertures, etc), ainsi que la collection, la publicité, la date de mise en vente, les canaux de distribution, les services de presse, les hommages et les conditions de vente sont laissés à la seule appréciation de l’éditeur ».
Le tribunal a statué sur ce fait. L’ordonnance mentionne que « les éditions Casterman ne peuvent leur opposer les dispositions de l’article 8 du contrat d’édition, qui ne porte que sur les aspects techniques de la réalisation de l’ouvrage, la position déterminée des pages étant en l’espère inhérente à l’œuvre elle-même et en tant que telle ne pouvant être modifiée par l’éditeur[…] La faute commise par l’éditeur, qui a fait imprimer et diffuser un ouvrage non-conforme à ce que voulaient les auteurs, n’est pas sérieusement contestable ». Le tribunal admet le préjudice des auteurs, puisqu’entre juin et juillet, un peu plus de quatre mille exemplaires litigieux avaient été vendus.
Par ces faits, les éditions Casterman perdent ce procès en référé, et sont donc condamnés à payer aux auteurs 4.000 € de dommages et intérêts et 1.200 € de dépens.
Cette décision judiciaire, en référé, peut être renversée si l’une des parties fait appel. Un jugement sur le fond de l’affaire peut donc avoir lieu, probablement au Tribunal de Première instance de Bruxelles [1]. Les auteurs ont donc gagné la première manche. Mais ce succès se transformera-t-il en une victoire à la Pyrrhus ? Pas sûr. Il est possible que, de part et d’autre, l’heure soit à l’apaisement.
(par Nicolas Anspach)
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En médaillon. Dessin extrait de Vilebrequin par Obion et Arnaud Le Gouëfflec (C) Casterman
[1] Le contrat d’édition mentionne que ce tribunal est compétent pour régler les litiges. Le tribunal de grande instance de Rennes s’est déclaré compétent pour se prononcer en référé, puisque la requête de Obion et Arnaud Le Gouefflec tend à obtenir des mesures conservatoires et provisoires.
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