Comment vous-êtes vous intéressé à la bande dessinée ?
J’en lisais quand j’étais enfant et adolescent, de la BD taïwanaise et des mangas japonais traduits chez nous.
J’ai étudié le cinéma et le théâtre. En 1984, j’avais 22 ans, je faisais partie d’une troupe de théâtre, et on est tombés sur des pages de Moebius, Les Yeux du Chat, cela m’a marqué.
Et c’est devenu une profession ?
Ensuite, j’ai travaillé comme assistant-réalisateur.
En 1989, l’éditeur China Times m’a proposé de travailler sur des journaux, des revues, avec un contenu de bande dessinée. Dans les années 80, la BD taïwanaise s’est beaucoup développée, notamment le dessin d’humour, les strips, qui ont envahi les journaux et qui mettaient des images et des mots sur les changements de la société.
Je me rendais de temps à autre au Festival d’Angoulême, au Comicon de San Diego, en Corée, etc. Et en 1997, je suis allé vivre en France pendant deux ans. Dans ces années, j’ai donc découvert de plus en plus la BD européenne.
En 2003, vous avez créé le label Dala publications ?
Le patron de Locus Publishing voulait créer un label de BD et m’a proposé de m’en occuper. On s’est engagés sur le créneau d’un BD adulte, on a proposé quelque chose de différent au public taïwanais.
Ici, ce style de BD, c’est un peu comme du cinéma d’auteur, ce n’est pas si facile. Même pour les auteurs locaux, ce n’est pas facile.
Ici, c’est le manga qui prime ?
C’est 95% du marché. Quand on a commencé, il y avait cette idée générale que la BD, c’était pour les enfants et ados, que c’était de l’humour, etc. On a beaucoup travaillé pour changer le regard des Taïwanais : articles sur Internet, dans les revues, les journaux, expositions.
Aujourd’hui, on est diffusés dans les grandes chaînes de librairie, comme Eslite, et dans le réseau des librairies indépendantes, bien défendu par le gouvernement taïwanais. On fait aussi de 30 à 40% de notre chiffre d’affaires sur Online Bookstore.
Vous avez des problèmes de censure ?
Non, aucun. Comme on publie certaines œuvres érotiques, on doit juste spécifier sur la couverture que c’est pour un public adulte.
Quels auteurs choisissez-vous de publier ?
Les grands auteurs locaux, par exemple Chen Uen, qui est aussi très connu en Chine et au Japon, Richard Metson, ou Sean Chuang.
Et des auteurs majeurs comme Manara, Bilal, Moebius, De Crécy, Loustal, Schuiten, Giardino ou encore Johanna Schipper, qui est née à Taiwan et qui en a parlé dans un album, Julie Maroh...
On est dans une démarche adulte, d’auteurs, qui restent accessibles à un public de non-connaisseurs.
Vous travaillez avec d’autres pays d’Asie ?
On édite des recueils où se rencontrent des artistes de Chine continentale, de Hong-Kong, de Singapour, et des artistes locaux. Ce n’est pas si évident.
Par exemple, en général, les Taïwanais ont un à-priori sur tout ce qui vient de Chine, et les Chinois se méfient un peu de ce qui est fait par les auteurs taïwanais. Mais on espère plus d’échanges en 2016.
Dala a été créée en 2003. Qu’est-ce qui a changé en 12 ans pour la BD taïwanaise ?
Le marché a changé et l’idée d’une BD adulte s’est fait une petite place. On essaye de montrer la diversité de la BD européenne.
Il y a des groupes de jeunes créateurs, liés au milieu artistique, qui publient des recueils collectifs de BD de recherche, d’avant-garde.
Il y aussi d’autres créateurs, très inspirés par le manga, mais parlant de sujets locaux, qui publient des gros recueils, par exemple la revue Creative Comic Collection.
Et je m’occupe depuis plusieurs années du pavillon taïwanais à Angoulême. Nos auteurs locaux ont donc gagné en visibilité. On participe à des expositions internationales, des catalogues sont édités. On est mieux connus en France et aussi aux États-Unis.
Quelle est l’actualité de Dala ?
On vient de publier le tome 2 de Mes années 1980, de Sean Chuang, aussi édité en France chez Akata cette année. Ce sont des histoires courtes, réalistes et amusantes sur sa jeunesse. Il y parle des changements de la société taïwanaise.
On va éditer un recueil où trois auteurs néo-zélandais collaborent avec des auteurs locaux.
On poursuit notre collaboration avec Futuropolis sur la collection consacrée au Louvre, et il y aura une exposition en novembre dans un musée ici en partenariat avec une université.
(par Yohan Radomski)
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