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Batman la légende T2 - Par Jim Aparo & Bob Haney (Trad. Jean-Marc Lainé) - Urban Comics

Par Guillaume Boutet le 15 août 2014                      Lien  
Second tome, toujours très épais, de la collection des aventures de Batman, signées Jim Aparo et Bob Haney, dans lesquelles les plus grands super-héros de la Terre viennent lui prêter main forte. Des histoires à l'ambiance {seventies}, passant d'un genre à l'autre avec habileté, qui nous font découvrir une facette quelque peu oubliée, mais épatante, du Croisé Capé.

Lorsqu’on évoque Batman et les années 1970, on pense inévitablement à Dennis O’Neil et Neal Adams. Ces derniers ont en effet totalement repensé et ré-imaginé le personnage après une décennie caricaturale, pas forcément toujours de bon goût, en lui reforgeant une identité mystérieuse, solitaire, sombre et nocturne. Un travail à la fois visuel et d’écriture qui a posé les bases modernes du personnage et constitue aujourd’hui encore une référence majeure et incontournable du Limier Masqué.

Cependant les années 1970 sont également le cadre d’un autre âge d’or de Batman, celui de ses aventures dans la série The Brave and the Bold, menées de main de maître par le scénariste Bob Haney et illustrées par Jim Aparo, au sommet de son art, et à l’honneur avec cette série, Batman la Légende, au ton et à l’approche résolument différents de ceux de Dennis O’Neil et Neal Adams !

Avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons un bref rappel historique.

Batman la légende T2 - Par Jim Aparo & Bob Haney (Trad. Jean-Marc Lainé) - Urban Comics
Batman : premier flic de Gotham !
© Urban Comics / DC Comics

The Brave and the Bold est une très longue série comics, dont la publication initiale s’étala de 1955 à 1983, pour un total de 200 numéros [1]. Originalement il s’agissait de récits mettant en scène des personnages évoluant dans des univers historiques (comme Silent Knight ou Viking Prince). Puis à partir du numéro 25, la série devint un lieu d’expérimentation pour de nouveaux personnages et concepts. Par exemple, c’est dans le numéro 28 de The Brave and the Bold (1960) que fut lancée Justice League, créée par Gardner Fox et Mike Sekowsky, et qui obtient sa propre série après trois numéros.

Pour la suite The Brave and the Bold changea une nouvelle fois de formule, à son numéro 50 (1963). Le principe fut alors de mettre en scène un duo de super-héros changeant à chaque épisode. Puis au numéro 74 (1965), en raison du succès de la série TV Batman avec Adam West, la présence du Détective de la Nuit devint systématique, et seul son coéquipier continua à changer à chaque numéro. Cette formule ne bougea plus jusqu’à l’arrêt de la série, en 1983.

Wildcat et Batman jouant des poings !
© Urban Comics / DC Comics

Bob Haney écrivit des histoires pour The Brave and the Bold dès 1955 -au numéro 4- et commença à devenir le scénariste quasi-exclusif du comics à partir du numéro 50, au passage en récit de duo de super-héros. Un poste qu’il conserva jusqu’en 1979 (son dernier épisode fut le 157). Il écrivit à lui seul plus de cent numéros, répartis essentiellement sur une quinzaine d’années [2].

Une signature de Jim Aparo : le jeu de la cape de Batman
© Urban Comics / DC Comics

Jim Aparo arriva sur la série en 1971, au numéro 98 et demeura son dessinateur principal jusqu’à son arrêt, au numéro 200, en 1983. En dépit de son travail sur d’autres personnages, comme Aquaman ou le Spectre, il devint célèbre surtout en tant que spécialiste de Batman.

En effet après l’arrêt de The Brave and the Bold, Jim Aparo dessina Batman and the Outsiders (1983-1985), et signa par la suite de nombreux numéros de Batman et de Detective Comics, dont certaines histoires cultes, comme la mort de Jason Todd, le second Robin (1988), ou le combat entre Batman et Bane, qui laissa le Détective de la Nuit paralysé (1993). C’est cette longue carrière au service de Batman qui fait aujourd’hui de Jim Aparo un dessinateur indissociable du Limier Masqué.

Batman la Légende nous propose de découvrir les épisodes de The Brave and the Bold dessinés spécifiquement par Jim Aparo. Ce second tome, de plus de 500 pages, couvre la période allant de 1975 à 1979. On trouve également, en tant que complément « Batman », deux épisodes de Detective Comics [3]. En effet il fut question à l’époque que Jim Aparo devienne le dessinateur régulier de la série, mais pour des raisons d’emploi du temps chargé, cela ne se fit pas - un acte manqué rattrapé heureusement plus tard !

Les vingt-sept épisodes de The Brave and the Bold du tome sont écrits par Bob Haney à l’exception d’une histoire, signée Cary Burkett (et d’une autre, écrite à quatre mains par Haney et Burkett).

Combat sous-marin pour Batman : aucun lieu se trouve en dehors de sa juridiction !
© Urban Comics / DC Comics

Ces aventures voient donc à chaque numéro Batman s’associer à un nouvel allié. La variété des personnages et des histoires, passant du polar au fantastique, de la chasse aux trésors au voyage dans le temps, assurent une vitalité et un divertissement de grande qualité, sans cesse renouvelé. De plus Batman voyage beaucoup à travers le monde, et ces aventures l’emportent aussi bien en Europe qu’en Amazonie.

Outre la présence de « stars », c’est également l’occasion pour le lecteur de rencontrer des figures de DC Comics moins connues, comme Kamandi, Mister Miracle, Deadman ou le sergent Rock. Le succès à l’époque est énorme, et la série dépasse même, en termes de vente, Batman et Detective Comics. Cette réussite doit tout à l’alchimie parfaite entre Bob Haney et Jim Aparo.

Mauvaise nuit pour Batman : sauvé par Wonder Woman, il laisse échapper un félin voleur !
© Urban Comics / DC Comics

Le Batman de Bob Haney a pour particularité d’opérer dans un cadre légal. Ainsi il est membre d’honneur de la police de Gotham, dirige certaines opérations, donne parfois des directives à Gordon sur ses enquêtes. Le Croisé Capé se trouve également sollicité par le gouvernement américain pour accomplir certaines missions – comme retrouver un satellite tombé en mer. Même si la nuit et les ruelles sombres restent des cadres exploités, ce Batman opère donc en plein jour et en public, et se pose davantage comme un super-flic que comme un super-héros.

Ruby Ryder, Némésis de Bruce Wayne
© Urban Comics / DC Comics

Cette logique se retrouve dans les antagonistes de la série : peu de super-vilains sont mis en scène. Batman et ses amis affrontent essentiellement des gangsters, des terroristes et des trafiquants en tout genre (drogue, armes, œuvres d’art, etc.). Bob Haney avait même créé un adversaire récurrent dans cette veine : Ruby Ryder, femme d’affaire véreuse, dont l’un des objectifs est de ruiner Bruce Wayne. Un personnage réussi et fort, qui malheureusement ne fut pas repris par d’autres auteurs [4].

À ce cadre s’ajoute une façon de traiter Batman très particulière. Chez Bob Haney le Limier Masqué apparaît comme très faillible : régulièrement blessé, et même assommé, il se montre parfois incapable de s’en sortir seul, devant être sauvé par son ou ses acolytes. Si cet aspect n’est pas systématique, et Batman démontre néanmoins souvent ses compétences exceptionnelles, de nombreux passages écornent tout de même le mythe.

Ainsi notons, alors que deux malfrats s’entretuent, Batman ne peut intervenir à temps car sa jambe est coincée ! Autre exemple : il tente de stopper un bandit (sortant de chez un vendeur d’armes) et ce dernier lui tire dessus sans qu’il puisse éviter la balle. Notre héros a la vie sauve grâce au boutiquier qui avait donné des balles à blanc au voleur ! Et lorsqu’il se retrouve en prison, Batman doit attendre l’intervention providentielle de Metamorpho pour s’évader !

Le procédé est évidemment classique pour mettre en avant les compagnons du héros, cependant Bob Haney semble clairement s’amuser de l’aspect iconique du personnage, en le ramenant à une dimension de détective hard-boiled : celui qui prend des coups, échoue de façon peu digne dans un premier temps, pour finalement triompher et retrouver son honneur dans un second temps. Et le cadre fortement orienté « gangster / espionnage » participe grandement à cette impression générale.

Qui de mieux que Deadman pour piéger un patron de la mafia ?
© Urban Comics / DC Comics

Enfin complétons ce tableau par un ton souvent ironique et des aventures rocambolesques et truffées de retournement de situation : nous sommes bien loin de ce que Dennis O’Neil fait à la même époque ! Mais qu’il n’y ait pas de malentendu : les aventures proposées par Bob Haney sont bluffantes d’imagination et de malice, et le scénariste a une vraie tendresse pour ses personnages. De plus en dépit du ton a priori léger, le récit sait ménager certains moments dramatiques, plus sombres et mélancoliques - comme lors d’une histoire autour d’immigrés clandestins, victime de passeurs (forcément) peu scrupuleux.

Et évidemment pour donner corps à ces histoires, il y a le grand Jim Aparo, au trait élégant et précis, qui donne vie à un Batman plus humain que mystérieux, très expressif et dynamique. Nettement moins connu que Neal Adams, dans un style proche, avec lequel on le confond parfois, Jim Aparo a néanmoins parfaitement sa place au panthéon des grands artistes du comics. Son style se distingue par un travail constant autour des cadres, des compositions, jouant sur la profondeur de champs, avec une aisance à jongler entre les ambiances. Capable de mettre en scène n’importe quel type de décor, des ruelles sombres à la jungle suffocante, son association avec Bob Haney apparaît ici comme une évidence.

Batman avec Mister Miracle le roi de l’évasion !
© Urban Comics / DC Comics

L’édition proposée par Urban Comics se présente comme la reprise fidèle de l’édition US de Legends of the Dark Knight : Jim Aparo Vol. 2, sorti en octobre 2013, agrémentée d’une présentation et de quelques fiches de personnages et d’auteurs bienvenues, remplissant parfaitement leur office. Signalons également la traduction de Jean-Marc Lainé, d’une grande qualité, qui restitue le style de l’époque -et son argot- d’une manière saisissante ! Une véritable plongée dans le passé ! [5]

Un album épatant, qui permet de retrouver ou découvrir un grand artiste, pas forcément très connu, qui a pourtant marqué son époque. Ces aventures de Batman peuvent bien entendu apparaître aujourd’hui comme datées, d’un autre temps, marquées par une exubérance désuète. Cependant, au-delà de leur aspect historique, elles possèdent un véritable charme. Le rythme effréné, les rebondissements multiples, les situations et les genres variés, le traitement étonnant mais touchant des personnages, dont un Batman, plus humain, maladroit, servis par un artiste génial, sont autant de qualités qui traversent les époques. Une magie qui opère toujours !

Atom et Green Arrow réussiront-ils à sauver Batman ?
© Urban Comics / DC Comics

(par Guillaume Boutet)

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Code EAN :

Batman la légende T2. Par Jim Aparo & Bob Haney. Traduction Jean-Marc Lainé. Urban Comics, collection "DC Archive". Sortie le 22 août 2014. 544 pages. 35,00 euros.

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[1Concernant le rythme du comics, il fut bimestriel jusqu’au numéro 117 (1975), et ensuite mensuel jusqu’à son arrêt.

[2Dans le cadre de The Brave and the Bold, Bob Haney co-créa le personnage de Metamorpho (#57, 1965), ainsi que l’équipe des Teen Titans (#54 , 1964).

[3Les épisodes contenus dans Batman la Légende T2 sont :
- Detective Comics #437 & #438 (novembre 1973 & janvier 1974)
- The Brave and the Bold #123-136, #138-145, #147-151 (décembre 1975 à juin 1979)

[4Le personnage apparaît néanmoins dans la série TV d’animation, Batman : The Brave and the Bold (2008-2011).

[5Notons néanmoins une coquille : Wally West, alias Kid Flash, est appelé lors d’un dialogue Speedy... alors qu’il s’agit du nom -trompeur- du side-kick de Green Arrow, Roy Harper.

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6 Messages :
  • Notons néanmoins une coquille : Wally West, alias Kid Flash, est appelé lors d’un dialogue Speedy... alors qu’il s’agit du nom -trompeur- du side-kick de Green Arrow, Roy Harper.

    Ce n’est pas une coquille, c’est un surnom affectueux et moqueur (c’est Kid FLASH, voyez le rapport), comme quand on appelle la Chose Rocky, on ne le confond pas pour autant avec Stallone.

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    • Répondu par Guillaume Boutet le 16 août 2014 à  10:15 :

      Il s’agit de personnages qui cohabitent dans le même récit, et non d’un clin d’oeil référentiel à une autre œuvre ^_^

      Dans cette histoire, les Teen Titans sont au nombre de quatre : Robin, Wonder Girl, Kid Flash et Speedy. Ce dialogue a lieu lors de la répartition des tâches de la mission. Robin décide que Speedy et Wonder Girl vont s’infiltrer chez les méchants. Cependant quelques cases plus loin on se rend compte qu’il s’agit de Kid Flash et Wonder Girl – et Wally retrouve son vrai alias dans les dialogues. Tandis que Speedy fait équipe avec Robin.

      C’est juste une petite confusion entre les noms de deux super-héros, lors d’un dialogue. Cela arrive !

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  • A quand des articles sur des publications de l’Association ?

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