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Bédu : « L’arrêt des Psy me relance dans un nouveau projet »

Par Charles-Louis Detournay le 17 juin 2019                      Lien  
Entamée en 1992 dans le Journal Spirou, la série des "Psy" tire sa révérence dans un vingt-deuxième et dernier tome. Son dessinateur Bédu nous explique cette conclusion et lève le voile sur son prochain projet, "Sangdragon".

Bédu : « L'arrêt des Psy me relance dans un nouveau projet »« Vive la retraite ! » crie votre docteur dès la couverture ! Vouliez-vous d’entrée de jeu indiquer au lecteur que ce serait le dernier album ? Et qu’il avait tout intérêt à en profiter ?

Oui c’est ça. C’est effectivement le dernier album du docteur auquel je participerai. Le personnage se lancera très probablement dans de nouvelles aventures, comme on le découvre dans la dernière histoire : profiter de sa retraite tout seul dans son coin, et donc sans ses auteurs.

Cet arrêt de la série était-elle une décision émanant de Dupuis ou bien un choix collégial ?

Julien Papelier, directeur général des Editions Dupuis
Photo : Charles-Louis Detournay.

Cela se profilait déjà depuis un certain temps. Des tendances actuelles du marché, il résulte que nous ne sommes plus tout à fait performants : les ventes ont connu une lente, mais certaine érosion. La direction a donc proposé de mettre fin à la série. Cette proposition ne m’a pas pris de cours, je n’étais pas surpris et je dois saluer les conditions dans lesquelles cela s’est déroulé : avec humanité et respect.

Ce type de décision est annoncé généralement de manière assez abrupte. Ici, la démarche de Dupuis a été très respectueuse et ce n’est pas courant. Tout s’est fait avec beaucoup de délicatesse et je les en remercie. Julien Papelier, le directeur des éditions Dupuis est extrêmement attentif et précautionneux. La preuve en est : il a agi avec beaucoup d’élégance, prenant la peine de venir m’expliquer la situation chez moi, en personne.

Cette annonce anticipative, avant la fin de l’album, vous a peut-être aussi permis, à Raoul Cauvin et vous, de réfléchir à une ou deux histoires apportant une fin à la série qui fasse sens ?

Au départ, nous en avons peu parlé. Nous avons chacun rencontré la direction séparément avant de se retrouver. Lorsque nous nous sommes revus, Raoul m’a transmis le scénario qu’il avait imaginé, et je l’ai très rapidement lu. Je l’ai considéré comme étant le dernier récit, il était temps de baisser le rideau.

Comment Raoul Cauvin a-t-il pris la nouvelle ? N’était-il pas trop triste ?

Disons qu’il l’a pris plus difficilement que moi. Cela se comprend, c’est une décision difficile. Le personnage nous accompagne depuis plus de 25 ans maintenant ! On ressent une forme de nostalgie, mais sans plus. Nous avons tout de même écrit 22 albums et je pense que nous pouvons être fiers de notre parcours.

En cours d’album, une première histoire entame le sujet de la fermeture du cabinet

Dupuis vous imposait-il de vous arrêter donc directement ?

Certainement pas, l’éditeur proposait de réaliser encore un ou deux albums. Personnellement, je préférais ne pas prolonger l’aventure alors que nous connaissions la date de fin, par risque de desservir la série par un manque d’enthousiasme. Il fallait que l’on se quitte sur une bonne note. A la façon d’une longue tournée, on range, on ferme le théâtre, on achève les petites pièces, et un léger regret subsiste, mais d’autres choses sont à faire.

À cette annonce, avez-vous regretté d’avoir laissé quelques idées de côté en se disant qu’il fallait attendre le moment le plus opportun pour les dessiner ? Ou au contraire avez-vous laissé Raoul Cauvin s’occuper seul du récit ?

J’ai laissé la main à Raoul. Il avait certainement encore des idées en tête, d’autres possibilités de scénario. De mon côté, je n’intervenais que très rarement sur la partie scénaristique. Je lui proposais des pistes de temps à autre, ou bien des articles que je trouvais. Il les consultait et en faisait ce qu’il voulait en voyant s’il était possible ou non d’utiliser ces idées.

Le tomber de rideau

Est-ce qu’une partie de votre plaisir résidait alors dans le fait de dessiner de nouveaux personnages ?

Entre autres, oui, c’est une partie du plaisir. Dans les Psy, ce n’est pas tellement le décor qui amuse le dessinateur, car il finalement assez répétitif : on démarre souvent dans le cabinet du psy où il n’y a pas grand-chose, on y trouve un divan, avec son fauteuil, ainsi qu’un petit bureau. Ce n’était pas là que je m’amusais le plus, c’était dans le sujet.

Raoul a tout de même abordé certaines idées de manière assez étonnantes. Il a produit un travail de sociologie assez prodigieux, tout en ayant cette capacité à pousser à l’absurde à l’extrême. Ce qui était extrêmement drôle. C’est là que je trouvais mon plaisir : dénicher la tête du patient en essayant de varier les caractéristiques corporelles et le développement du récit. La retranscription des effusions de ces personnages était également l’un des grands plaisirs de cette série.

À l’origine, qui a eu l’idée de cette série ? Est-ce Raoul Cauvin ou bien lui avez-vous soumis l’idée ?

L’idée venait de Raoul, mais lorsque l’on s’est rencontrés, il était parti sur une tout autre piste : les avocats. Il s’est rendu compte en écrivant un scénario, que cela risquait d’être quelque peu lourd, trop parlant et pas assez dessiné. Il ne parvenait pas à trouver la bonne recette.

Toutefois, en travaillant sur les avocats, il s’est intéressé aux psychiatres qui intervenaient lors des procès, et s’est dit qu’il y avait matière plus propice. Avec le recul, je peux vous affirmer que ce choix était le meilleur. La matière des Psy était riche et drôle !

Tout en opérant le choix de ne pas aborder les sujets les plus lourds, comme les cas nécessitant un enfermement, ou poussant au crime !

Oui, nous n’avons jamais abordé les pathologies, nous nous cantonnions aux petites folies de monsieur tout le monde, aux névroses de tous les jours. Nous nous sommes rendus compte qu’il était risqué et compliqué d’aborder les pathologies sans blesser certaines personnes. Ce n’était pas le but ; nous voulions faire rire nos lecteurs, c’est le principe de l’humour ! Nous sommes donc restés dans les petits travers du quotidien.

Ce dernier album se conclut sur un récit de quatre pages où l’on explique la retraite de notre psy préféré.

Comme s’annonce l’après-Psy pour vous : avez-vous des idées dans les cartons, des envies particulières ?

Bédu dans son atelier
Photo : Charles-Louis Detournay.

Oui, j’avais commencé à élaborer un projet avec Frédéric Niffle->art18773], maintenant directeur de publication du Journal Spirou, mais aussi éditeur chez Dupuis. Cette idée a fait son chemin, lentement, s’est construite… Et finalement, cet arrêt des Psy est tombé au bon moment pour moi, car je ne prends pas ma retraite avec la fin des Psy, je passe à autre chose.

Ah, vous attisezz notre curiosité ! De quoi s’agit-il ? Une nouvelle collaboration ?

Non, je reviens à ce que je faisais il y a une trentaine d’année, avec Hugo, c’est à dire en réalisant le scénario et dessin. Ce nouveau projet se rapproche d’Hugo, car il se déroule également dans un monde d’Heroïc Fantasy. Toutefois, avec trente ans de plus, le concept sera assez différent. Tout en restant tous publics, l’univers sera beaucoup plus sombre. Sans vouloir entrer dans les détails, sachez que l’histoire tournera autour d’un dragon et s’intitulera Sangdragon.

Un arc narratif est-il déjà développé ?

Au départ, j’avais prévu cette série en deux albums. Puis Frédéric Niffle s’est rendu compte que je m’amusais à développer le scénario, en introduisant des nouveautés. Le rythme du scénario est complètement différent de celui de Hugo où il y avait énormément de petits personnages et un rythme assez rapide. Ici c’est un peu plus lent et je développe différemment. Au lieu de faire deux albums, nous n’en réaliserons donc sans doute qu’un seul, mais plus conséquent, car il devrait compter entre 90 et 100 planches.

Notre psy ferme son cabinet, l’esprit tranquille.

L’arrêt des Psy est donc la fin d’une belle aventure qui vous permet d’en entamer une nouvelle !

Oui, mais une aventure qui sera longue ! J’ai déjà travaillé seul sur une histoire, et je me souviens qu’avec Clifton, j’étais heureux d’arriver à la 44e planche et d’y mettre le mot de la fin. Ici, je ne sais pas à quelle planche arrivera la conclusion, je sais seulement que j’en suis encore loin. C’est donc un travail beaucoup plus long. Certains jours sont plus complexes que d’autres, le rythme de travail n’est pas du tout le même que lorsque l’on officie uniquement au dessin, il faut tenir sur la longueur.

Un tel marathon est-il plus compliqué ?

Non, ce n’est pas plus compliqué en soi. Dans les Psy, ce qui était compliqué, c’était de trouver le personnage chaque fois : au moment lorsque je l’avais dans la main, le récit s’achevait. Ici, j’ai le temps de posséder mes personnages et de les laisser partir. Ils ont chacun leurs qualités, défauts et inconvénients.

Une prépublication dans le Journal de Spirou est-elle prévue ?

En principe, la série devrait y être publiée avant une sortie en album. Nous n’avons pas pour autant fixé de date, pour ne pas me mettre la pression une fois la prépublication commencée. Je ne pense pas non plus qu’ils le publieront en une fois, car c’est un petit peu long, mais ils feront au mieux !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay, et retranscrits par Thomas Figuères.

Bédu au travail, avec les premières planches de Sangdragon : cela promet !
Photo : Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782800170152

Sur le même sujet, lire notre article : Fin de séries chez Dupuis

Concernant Bédu, lire nos précédents interviews de l’auteur :
- "L’arrêt de la série Hugo a été une petite mort pour moi" (2016)
- "Je peux passer des heures sur une seule case" (2013)
- "J’ai dû travailler pour cerner les expressions des personnages" (2008)
ainsi qu’une interview de Raoul Cauvin où il parle des Psy : « Écrire un scénario, cela prend du temps. Se le faire refuser, c’est l’affaire de quelques secondes. »

Sans oublier les albums :
- la superbe intégrale d’Hugo dans l’article : Les intégrales de l’été, 4e partie : Le Lombard frappe un grand coup
- les Psy :

Photo de Bédu, y compris en médaillon : Charles-Louis Detournay.
Pas d’utilisation sans autorisation préalable.

 
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