Le marché n’est déjà pas facile lorsqu’on est un auteur confirmé, c’est donc encore plus compliqué de percer actuellement en tant que ’débutant’. Avec un style qui ressemble à celui de Crisse, Beno est un jeune auteur qui en veut ! Sur le scénario de Serge Perrotin, il nous propose un univers où la technologie apparaît décadente.
Comment s’est déroulée votre première rencontre avec Crisse ?
À l’époque, je collaborais à un fanzine intitulé Le Cri du menhir, et nous avions été invités au festival vendéen Abracadabulle par l’organisateur du festival d’origine bretonne. Normalement, les fanzines dans les salons sont plutôt relégués dans un coin, mais pour le coup, la camaraderie était de rigueur car nous mangions tous ensemble en fin de journée avec les autres auteurs de bande dessinée, ce qui était pour nous une grande chance de côtoyer quelques auteurs confirmés. Ce qui m’a permis d’approcher Crisse dont j’étais fan depuis longtemps, ainsi que Serge Perrotin dans le jardin duquel nous dormions sous tente. De fil en aiguille, Serge a accepté de jeter un coup d’œil sur les futurs dessins que je pouvais lui envoyer.
Mais juste après, vous aviez également rencontré Olivier Ledroit ?
Oui, en 2005, j’ai collaboré ainsi aux Chroniques de la lune noire, en étant épaulé par Guillaume Sorel et Olivier Ledroit, plus en particulier sur un spin-off qui n’a pas encore vu le jour. J’avais alors envoyé ces planches à Serge Perrotin et il m’a fait savoir que j’avais beaucoup progressé dans l’année qui s’était écoulée. C’est alors qu’il me proposa de faire un essai sur un prequel de Kookaburra, car j’avais un trait qui ressemblait à celui de Crisse, avec qui il s’entendait très bien. Comme mon style se rapprochait plus naturellement de ceci que celui de Ledroit, je suis parti dans cette aventure.
Ce n’était pas dangereux de se lancer dans un Kookaburra avec un trait qui ressemble furieusement à celui de Crisse ?
C’est exactement ce qu’il m’a dit lui-même, lors d’un dîner organisé par Serge Perrotin pendant lequel nous étudions les planches d’essai. J’avais effectivement déjà storyboardé et dessiné deux albums dans de petites maisons d’édition, mais cela représentait mon premier projet destinée à une distribution d’envergure. Didier Crisse craignait que je me fasse cataloguer en me lançant directement dans ce prequel, et me proposa de réaliser d’abord un autre projet. C’est alors que Serge me sort deux scénarios, Sphères et L’Autre Terre. Le premier comportait pas mal d’engins futuristes, ce qui est loin d’être mon fort, tandis que l’univers de L’Autre Terre me convenait bien mieux, bien que j’aie galéré à réaliser les vaisseaux des premières pages !
Vous avez donc proposé L’Autre Terre à Soleil ?
D’autres maisons d’édition étaient également intéressées, mais nous avons opté pour Soleil car ils nous ont garanti de publier la trilogie complète, ce qui pour nous était le plus important. Seul bémol, leurs contrats ne sont jamais faits pour plusieurs tomes, c’est album après album. Mourad [Boudjellal]m’avait donc expliqué directement que c’était la procédure, mais qu’il ferait les trois tomes ! Nous, on a joué la confiance et on a avancé sur l’album. Pendant ce temps, notre projet est passé de main en main avant d’arriver, après plusieurs changements de responsables, chez Jean Waquet. Et alors que je rendais mes planches régulièrement, ils m’ont demandé de changer mon personnage principal à la moitié de l’album.
Mais vous auriez dû vous entretenir sur le look du héros en premier lieu !
Mais Mourad avait validé le perso qui jouait la carte de l’anti-héros en étant un peu frêle ! Mais à la planche 27, Jean Waquet m’a contacté en me disant qu’ils s’étaient réunis et avaient décidé qu’il fallait rendre le héros plus charismatique. On m’a alors expliqué qu’un anti-héros n’est pas forcément frêle, comme Lanfeust qui est charismatique mais parfois un peu maladroit ou bougon. J’ai beaucoup de mal à comprendre leur vision de l’anti-héros, mais j’ai rendu mon perso plus carré et plus charismatique, en faisant des collages sur toutes mes planches. Puis, j’ai eu d’autres mésaventures comme dans l’une de ces premières planches qui représentait un vaisseau ressemblant à une tortue de l’espace. Mourad trouvait que le vaisseau n’était pas assez futuriste. J’ai donc revu ma copie avec un beau vaisseau stellaire, mais cela ne leur convenait toujours pas. J’ai fait une troisième version, très stylée, bref le suppositoire ! Entretemps, notre dossier avait donc changé de main et, arrivant chez Jean Waquet, je l’entends dire que ce vaisseau ne convenait pas, trop inspiré de Star Trek, et que je devais une nouvelle fois le refaire. Recommençant pour la quatrième fois cette planche, que j’avais colorisée à chaque fois, je me suis dit que je pourrais peut-être renvoyer la première version, juste pour tenter le coup. Et sur ce coup-là, Jean Waquet était emballé !
Refaire plusieurs une planche pour rien, cela arrive parfois, mais ce n’est jamais très joyeux…
Bah, j’ai eu d’autres petites surprises comme de refaire la couverture quinze jours avant la publication alors qu’elle avait été validée des mois auparavant. Et après quinze jours de boulot acharné et pleins de mails échangés, on m’a dit qu’on allait garder la première ! Lorsque je reçois la maquette, je m’aperçois qu’ils ont viré ma page de titre et qu’ils en ont refaite une autre sans notre avis en prenant le bout d’une planche. La quatrième de couverture était également un patchwork de cases de l’album, choisis sans nous consulter. Enfin, les pages de garde étaient celles d’un autre album, tandis que la couverture était finalement un mélange des deux couvertures que j’avais réalisées. En plus, la typographie était assez moyenne, donc j’exprime mes opinions, mais on m’informe que de toute façon, c’était trop tard car l’album partait à l’impression le lendemain. D’où l’intérêt de nous demander notre avis la veille !
Mais bref, on arrive à la sortie de L’Autre Terre, tome 1. Alors que le contrat stipulait une sortie à huit mille exemplaires, Soleil a préféré opter pour un tirage de placement, selon les mises en place demandées par les libraires, qui n’atteignait pas les huit mille contractuels. En dédicace, les festivals ne trouvaient plus d’albums car le stock du diffuseur était vide. Je me suis retourné vers Jean, lui demandant s’il comptait rééditer afin que je puisse faire la promo, mais l’idée était plutôt d’attendre les retours pour envisager sereinement la chose. Pendant trois-quatre mois, j’ai donc tourné à vide, passant plutôt inaperçu au milieu des autres sorties.
Malgré tout, cette première édition s’est plutôt bien vendue !
Effectivement, vu les retours assez faibles, Jean Waquet m’a donc informé d’un second tirage de trois mille exemplaires, qu’on signait bien entendu pour le second tome avec une augmentation. De retour chez moi, je me remets donc au travail avec entrain mais, quatre mois plus tard, je reçois un coup de fil de mon scénariste Serge Perrotin, m’annonçant la fin de la série ! J’avais déjà une déception pour l’accompagnement, car comme l’album est sorti deux semaines avant Angoulême, j’ai juste demandé à pouvoir être présent sur Saint-Malo, certain qu’un auteur breton rameuterait du monde ! Mais malgré mes insistances, on m’a informé que Saint Malo était plein mais qu’on pouvait me tuyauter pour être présent dans des galeries marchandes.
Vous aviez envoyé les planches du second tome au fur et à mesure ?
Bien entendu, mais Soleil évoquait la période de vacances pour expliquer le retard du paiement de celles-ci. Nous, auteurs, avions signé le contrat, mais nous attendions encore le retour de notre exemplaire contresigné par l’éditeur, ce retard expliqué de la même manière que pour le paiement. Depuis le jour où Serge m’a annoncé cette brusque interruption, je n’ai jamais réussi à joindre Jean Waquet au téléphone, ni obtenu une réponse à l’un de mes mails. On m’a juste renvoyé mes planches accompagnées d’un recommandé pour officialiser l’arrêt de la série. Finalement, Serge est parvenu à joindre Mourad qui lui a expliqué que la crise avait durement impacté la maison d’édition et qu’ils ont dû écrémer un quart de leur catalogue.
Comment fait-on alors pour retomber sur ces pattes ?
Mourad nous avait tout de même sympathiquement rendu les droits de la série et on a racheté le stock de deux milles albums. Puis, nous nous sommes mis en quête d’une autre maison d’édition et c’est comme cela que Joker nous a accueillis à bras ouverts ! Il a donc pris la trilogie. On a ressorti le premier tome, avec une nouvelle maquette, une nouvelle couverture, des retouches couleurs, on a refait le lettrage du texte, etc.
Joker est plus petite structure que Soleil, je suppose que cela doit avoir ses
qualités comme ses défauts ?
Oui, mais on y trouve une réelle écoute, un accompagnement, on sent que Thierry [Taburiau] se casse réellement la tête pour trouver ce qui convient le mieux. Et je n’ai même pas eu besoin de demander à faire un festival, on m’a directement proposé Angoulême, alors que ce n’était que la réédition du premier tome ! Puis, la tournée en Belgique pour la sortie du second tome ! Il y a peu de maisons d’éditions qui se risquent à reprendre une série et, dans notre cas, on sent une réelle volonté de porter ce choix, et cela fait plaisir.
Le premier tome de la série n’aborde que partiellement la globalité de votre intrigue ?
Le deuxième tome est fortement lié au premier, donnant beaucoup d’éléments pour mieux comprendre comment est régi cet univers. Le troisième et dernier tome apportera alors une touche finale pour s’axer plus particulièrement sur le récit en lui-même. Nous croyons profondément en la qualité de l’imaginaire que nous avons mis en place et je pense que le lecteur qui nous a fait confiance lors des premières parutions chez Soleil sera content de voir que la série se poursuit. Après la lecture du tome 2 qui contient une grosse surprise , le public aura envie de replonger dans le premier tome pour découvrir une autre histoire…
(par Charles-Louis Detournay)
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